Si ça saigne, de Stephen King
Quatrième de couverture :
Les journalistes le savent : si ça saigne, l’info se vend. Et l’explosion d’une bombe au collège Albert Macready est du pain bénit dans le monde des news en continu. Holly Gibney, de l’agence de détectives Finders Keepers, travaille sur sa dernière enquête lorsqu’elle apprend l’effroyable nouvelle en allumant la télévision. Elle ne sait pas pourquoi, mais le journaliste qui couvre les événements attire son attention…
Quatre nouvelles magistrales, dont cette suite inédite au thriller « L’Outsider », qui illustrent une fois de plus l’étendue du talent de Stephen King.
King assure aussi sur les novellas
Quatre novellas donc, tournant pour trois d’entre elles autour d’un peu plus de cent pages et pour le texte éponyme qui fait suite à « L’outsider » à plus de 250 pages, on est donc là carrément dans un court roman (ou un roman tout court si on regarde par exemple « Running Man » et ses 300 pages à la police de caractères un peu plus grosse qu’ici…), le tout nous donnant un beau volume d’à peu près 600 pages bien tassées.
Le premier texte, « Le téléphone de M. Harrigan », qui a été adapté en film en 2022 sur Netflix (avec au casting le regretté Donald Sutherland), nous présente Craig, jeune garçon qui a appris à lire très tôt ce qui lui a valu d’être vite remarqué par le révérend du coin (dans la petite ville de Harlow, perdue au fin fond du Maine) pour faire la lecture de quelques passages de la Bible lors de la messe dominicale. A la suite de quoi c’est le vieux (et très riche) John Harrigan qui lui demande de venir lui faire la lecture à domicile (et prendre soin de ses plantes vertes), contre rémunération.
L’air de rien, une solide amitié va lier les deux personnages, faite de lectures régulières et de rituels devenus passages obligés comme les quatre lettres annuelles envoyées par Harrigan à Craig lors de la Saint Valentin, de l’anniversaire de Craig, de Thanksgiving et de Noël, des lettres toujours accompagnées d’un ticket de loterie. L’un de ces tickets va permettre au jeune garçon de gagner une jolie petite somme et pour remercier un Harrigan qu’il voit comme un gentil vieux monsieur parfois un peu engoncé dans ses habitudes de vieil homme loin de toute technologie, le jeune garçon décide de lui acheter un iPhone flambant neuf.
Il ne faut guère en dire plus pour garder le suspense sur ce qu’il adviendra ensuite (ce sera le cas aussi pour les récits suivants). Au-delà d’un petit côté fantastique qui n’est au fond pas foncièrement original venant de Stephen King, ce récit vise surtout juste sur l’amitié pudique mais profonde qui se construit petit à petit et qui lie Craig et Harrigan, avec comme toujours avec l’auteur américain deux beaux portraits justes et touchants et un Craig qui va devoir prendre sa vie en main et s’émanciper dans une histoire de coming of age dont le rite de passage prendra un tour très concret.
Le deuxième texte, « La vie de Chuck » (adapté au cinéma cette fois, avec notamment Tom Hiddleston et Mark Hamill, pour une sortie en juin 2025, je suis dans les starting-blocks !), est une véritable petite merveille. Déconstruite sur le plan narratif (de manière anti-chronologique), elle débute avec Marty Anderson pris dans des embouteillages alors qu’il rentre chez lui. Le lecteur s’aperçoit vite que le problème est bien plus vaste, alors que de grands et étranges panneaux publicitaires à travers la ville célèbrent les « 39 années formidables » d’un certain Chuck…
Et puis, et puis… Je m’arrêterai là, sachez simplement que les trois actes de ce texte semblent passer du coq à l’âne mais forment pourtant un tout remarquable qui parle de la vie, de comment en profiter, sans arrière-pensée, de ce que signifie être vivant, et de la mort avec ce qu’elle coûte et ce qu’elle fait disparaître. Il y a sans doute un peu de King dans Chuck devant l’arrivée de la fin. La fin d’un monde, la fin d’un homme. Tout le texte est contenu dans ces quelques mots de Walt Whitman : « Je suis vaste, je contiens des multitudes. ».
J’ai tout simplement adoré ce récit qui ouvre de multiples possibilités d’interprétation. Stephen King n’écrit pas que des récits d’horreur, on le sait, mais « La vie de Chuck » le montre de manière éclatante. Très beau, simple et très émouvant, une superbe réussite que je suis très curieux de découvrir au cinéma tant l’originalité du récit semble être difficile à rendre à l’écran.
Je garde le troisième récit pour la fin et je passe directement au quatrième, « Rat », qui met en scène un grand classique dans la carrière de Stephen King : un personnage d’écrivain avec Drew Larson, auteur de quelques nouvelles publiées mais qui n’a jamais réussi à franchir le cap du roman (trois tentatives ratées), l’écriture de l’un d’entre eux ayant même failli virer au drame avec une dépression et un début d’incendie de la maison familiale.
Et soudain c’est l’illumination, une scène lui vient en tête, et bientôt tout un récit. Il faut l’écrire, vite, avant que la Divine Inspiration ne se tarisse ! Drew parvient à convaincre son épouse que cette fois c’est la bonne mais qu’il va devoir s’isoler dans un vieux chalet ayant appartenu à son père, en pleine forêt montagneuse, pour se concentrer de la meilleure des façons. Les premiers jours, tout va bien, le texte coule tout seul mais les choses deviennent rapidement plus compliquées alors qu’en parallèle une énorme tempête s’annonce, risquant de le priver de tout moyen de communication pendant un bon moment, si ce n’est pire…
Récit relativement classique offrant des choix à faire au personnage de Drew à mesure que le lecteur voit les nuages (physiques et métaphoriques) s’accumuler sur la situation de l’écrivain, le tout débouchant sur un pacte faustien aux effets un peu trop proches de ceux présentés dans « Le téléphone de M. Harrigan » (même si la situation de départ est bien différente), « Rat » est un récit sympathique sur l’écriture, l’inspiration, les sacrifices à consentir pour un prix trop cher à payer (ce qui est présenté dans le texte fait penser à l’éloignement (contraint ou non, et pas seulement physiquement) des proches, que l’écriture fait subir aux autrices et auteurs, jusqu’à ce que parfois il soit trop tard), mais reste à mon avis le moins intéressant du recueil.
Et enfin, le texte éponyme, « Si ça saigne », suite directe de « L’outsider ». Entièrement dédié à l’un des personnages préférés de Stephen King, la détective Holly Gibney, on retrouve cette dernière qui a une sorte d’intuition en voyant à la télévision un journaliste arrivé rapidement sur les lieux d’une explosion meurtrière dans un collège de Pennsylvanie, journaliste qu’elle revoit le soir même et sur lequel elle note un détail troublant. De fil en aiguille, et prenant en compte les conséquences pour Holly du roman « L’outsider », le récit va mettre l’enquêtrice à nouveau sur la piste du surnaturel, aidée par la mémoire visuelle hors pair d’un vieil homme ancien policier qui a longtemps aidé à l’élaboration de portraits-robots.
C’est vrai qu’après « L’outsider », sans aller jusqu’à dire que ça fait doublon, on sent qu’on est dans un récit de la même veine. Et pour cause. Même narrativement parlant on peut trouver quelques similitudes (le fait de relancer l’enquête principale avec d’autres affaires passées par exemple). Il n’empêche que Holly Gibney est un personnage passionnant et très attachant que l’on découvre ici de manière plus intime, entre ses petites habitudes, ses difficultés sociales, ses collègues détectives, sa mère particulièrement vexatoire (pour ne pas dire par moments blessante), son oncle atteint de la maladie d’Alzheimer, etc… Encore un excellent portrait signé King, il est redoutable sur ce terrain. « Si ça saigne » est donc une sorte de (gros) récit bonus qui se lit facilement, encore une fois très prenant, pour ceux qui ont apprécié « L’outsider » et le personnage de Holly Gibney. Ce fut mon cas, heureux je suis.
On a donc là un excellent recueil, qui souffre certes d’un peu de redites ici (par rapport à « L’outsider » mais on pardonnera sans problème à King le fait d’avoir voulu remettre Holly Gibney sur le devant de la scène) ou là (certains éléments de « Rat » et « Le téléphone de M. Harrigan » sont un peu similaires) mais qui montre que côté novellas King assure sacrément bien. Et surtout on a avec « La vie de Chuck » un vrai petit bijou que je ne suis pas près d’oublier.
Leave A Comment