L’outsider, de Stephen King

Posted on 14 mars 2025
On continue l’exploration de l’oeuvre de Stephen King avec « L’outsider », un roman récent (2018 en VO, 2019 en français) que je n’avais à l’origine pas prévu de lire mais que la lecture d’un recueil contenant un récit qui lui fait directement suite (le recueil « Si ça saigne » qui contient le texte du même nom, dont la critique arrivera sous peu) m’a poussé à lire malgré tout. Et je ne le regrette absolument pas.

 

Quatrième de couverture :

Le corps martyrisé d’un garçon de onze ans est retrouvé dans le parc de Flint City. Témoins et empreintes digitales désignent aussitôt le coupable : Terry Maitland, l’un des habitants les plus respectés de la ville, entraîneur de l’équipe locale de baseball, professeur d’anglais, marié et père de deux fillettes. Et les résultats des analyses ADN ne laissent aucune place au doute. Pourtant, malgré l’évidence, Terry Maitland affirme qu’il est innocent. Et si c’était vrai ?

 

King en mode polar très noir

Difficile de faire plus accrocheur que le début de « L’outsider » : une arrestation en public au cours d’un match de base-ball, des témoignages successifs et entremêlés à l’enquête et aux suites de l’arrestation, témoignages qui vont tous dans le même sens et accusent le même homme, le très respectable et respecté Terry Maitland, entraîneur des équipes de jeunes, qui clame pourtant son incompréhension et surtout son innocence. On lui reproche un crime odieux, et tout le confond : les témoignages donc, mais aussi ses empreintes digitales et même son ADN. Dès lors, la machine s’emballe, et Maitland est pris dans la lessiveuse judiciaire. King déroule son intrigue de main de maître et, de manière très progressive, amène ici un indice, ici un léger flottement, qui finissent par laisser planer le doute. Jusqu’à ce que l’inconcevable arrive : l’alibi de Maitland est en béton et la police (qui ne l’a pas vérifié avant de l’arrêter, sûre de son fait) se retrouve face à l’impossible : tout accuse Maitland mais il  semble pourtant être innocent tout autant que coupable… Où est l’arnaque ? Ralph Anderson, l’enquêteur en charge de l’affaire, va devoir démêler tout ça et tenter de résoudre ce qui pourrait bien être une énorme bavure…

« L’outsider » m’a pris dans ses filets comme rarement. J’ai immédiatement accroché, tournant les pages les unes après les autres, sans me soucier de l’heure, cherchant absolument à savoir où King allait me mener. Un début captivant qui s’offre même le luxe de ne pas faiblir par la suite, en tout cas pas avant un bon moment, l’enquête de ce roman 100% policier (du moins dans sa première partie…) s’avérant passionnante et parfaitement menée. Suspense et tension sont au rendez-vous, de même que (on en a l’habitude mais c’est toujours à souligner tant c’est la grande qualité de la plupart des récits de Stephen King) des personnages de Monsieur et Madame tout le monde très justement dépeints. Entre les questionnements et les doutes qui s’installent et les réactions des habitants de Flint City, c’est encore une petite communauté que King met à nu avec toujours autant de talent. Bluffant.

Et puis à mesure que l’enquête évolue avec de nouveaux éléments, King met dans le mille avec un vrai coup de théâtre très marquant (dans une scène incroyable et terriblement cinématographique, pleine de tension) puis relance son intrigue avec une affaire similaire qui remet tout en perspective. Du grand art narratif, rien à redire, c’est encore une fois prenant et passionnant.  L’auteur amène progressivement l’idée de quelque chose « d’autre », de différent, de possiblement surnaturel et ce de manière naturelle justement, alors que la bascule dans les esprits des personnages est bien difficile à opérer.

Alors c’est vrai qu’une fois plus ouvertement tourné vers le fantastique, le roman perd un peu de son impact car même si l’enquête reste intéressante, le lecteur sait que la fin approche et que ce qu’il lui reste à lire n’est qu’un tunnel conclusif qui mène à la confrontation et que même si King joue un peu plus dans le registre de l’action pour garder la narration sous tension, la surprise n’est plus tout à fait là. C’est souvent le cas : moins on en sait plus on est accroché, et une fois le pot aux roses découvert le suspense retombe quelque peu. C’est le cas ici d’autant que, sans vouloir en dire trop, la dite confrontation (nécessaire) n’est pas tout à fait à la hauteur, même si le mal à l’oeuvre ne manque pas d’être marquant avec des attributs qui tiennent d’un vampirisme bien particulier…

Ceci dit, qu’on ne se méprenne pas, ce petit défaut n’est guère pénalisant, j’ai dévoré ce gros roman de 800 pages en quatre jours, chose rare chez moi, c’est dire si j’ai accroché à mort. Avec l’arrivée d’un personnage bien particulier issu de la trilogie « Bill Hodges » (composée de « Mr Mercedes », « Carnets noirs » et « Fin de ronde », que je n’ai pas lue, ce qui est dit dans « L’outsider » dévoile d’ailleurs quelques éléments de cette trilogie, attention donc), Holly Gibney, socialement un peu inadaptée mais hautement sympathique au lecteur (que l’auteur avoue adorer et ça se sent) qui sert d’élément faisant avancer l’enquête avec son esprit plus « ouvert », moins terre à terre (Holly Gibney est un peu le Fox Mulder du roman, Ralph Anderson étant le Dana Scully), le roman surfe sur les deux tableaux, roman policier d’une part, que Stephen King maîtrise à la perfection (je me répète mais le début du roman est un véritable modèle du genre, impossible à lâcher !), et roman fantastique auquel l’auteur nous a habitué depuis longtemps.

Encore un fois King parvient à dépeindre de manière remarquable ses personnages (avec leurs petits secrets, défauts et drames personnels) et les réactions d’une communauté ici bardée d’a priori desquels il est difficile de se défaire, à plusieurs niveaux : celui des enquêteurs d’abord, qui ne parviennent pas à « franchir le Rubicon » du surnaturel (chose que King parvient très bien à décrire), et celui des habitants de Flint City pour lesquels le mal est fait et le coupable tout désigné, quelles que soient les preuves et les décisions de justice. Des descriptions très vraies, dans lesquelles il n’est pas bien difficile de se retrouver, preuve que l’acuité de Stephen King à propos des réactions humaines est toujours bien présente.

Franche réussite que cet « Outsider » donc, qui ne souffre pas tant que ça d’une conclusion un brin en deçà du reste du roman. Ça se dévore presque tout seul, c’est passionnant, toujours aussi maîtrisé sur le plan narratif et toujours aussi avisé sur celui des personnages. Pas grand chose d’autre à dire donc si ce n’est que c’est excellent, et fortement recommandé.

 

Lire aussi les avis de L’ours inculte, Anudar, Yogo, Symphonie, Lune, La taverne d’Onos.

 

  
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