Dracula, de Bram Stoker

Posted on 27 janvier 2025
On entre là dans le domaine des grands classiques. « Dracula » de Bram Stoker, publié en 1897, a depuis longtemps dépassé son statut de roman gothico-fantastique ayant durablement défini la figure du vampire (il est le troisième élément d’une Sainte Trinité dont les deux premiers sont « Le Vampire » de John William Polidori (1819) et « Carmilla » de Joseph Sheridan Le Fanu (1872), qui sont également au programme de mes lectures) pour atteindre celui de classique de la littérature tout court.

 

Quatrième de couverture (extrait repris depuis le site de l’éditeur) :

Une lueur se fit jour dans les yeux du comte et il dit : « Écoutez-les — les enfants de la nuit. Quelle musique ne font-ils pas ! » 

Voyant, j’imagine, sur mon visage une expression qui ne lui était pas connue, il ajouta : « Ah, monsieur ! Vous autres, habitants de la ville, ne pouvez connaître de l’intérieur les sentiments du chasseur. »

 

Sang pour sang classique

Que dire qui n’ait pas déjà été dit sur ce roman ? Roman le plus fameux de l’auteur irlandais Bram Stoker, il a posé un jalon longtemps indépassable puisqu’il a en quelque sorte constitué l’alpha et l’omega concernant la figure du vampire. Stoker n’en est certes pas l’inventeur puisqu’il reprend certaines bases littéraires déjà posées par d’autres avant lui (Polidori ou Le Fanu comme dit plus haut, mais aussi Théophile Gautier et quelques autres), sans parler des bases folkloriques de la créature, mais il les a en quelques sorte figées dans le marbre, en plus d’y apporter sa propre contribution. Avec Stoker, le vampire devient une créature « établie », avec ses codes : il possède une grande force physique, il peut se transformer (chien, loup, chauve-souris, brume…), consommer du sang le fait rajeunir et lui donne une potentielle immortalité, il doit se reposer en terre consacrée, un miroir ne réfléchit pas son image, il peut se déplacer sous la lumière du jour mais celle-ci l’affaiblit, il craint les objets liturgiques ainsi que l’ail (les fleurs, pas les gousses !), et pour le tuer il faut lui planter un pieu en plein cœur en plus de le décapiter, et j’en passe…

En plus de cet aspect presque « mythologique » sur le vampire, le roman (dont on a dit, sans que j’ai pu le vérifier, qu’il fait partie des livres les plus vendus de l’histoire, après la Bible…) ne manque pas d’attrait sur le plan littéraire. C’est un parfait exemple du roman épistolaire, sans qu’il ne se contente pour autant d’échanges de lettres entre les personnages puisqu’il propose également des extraits de journaux intimes, des télégrammes, des articles de journaux, etc… Riche sur le plan formel, le roman brasse de nombreux thèmes. En le replaçant dans son contexte d’écriture, on ne manque pas de constater l’intérêt de Stoker pour la science : utilisation de phonogrammes, photos, transfusions sanguines, psychiatrie, etc.. Le personnage de Van Helsing est un représentant de cette science, parfaitement rationnel mais à l’esprit ouvert à des manifestations… surnaturelles ! C’est en fait un peu l’affrontement entre la superstition et la rationalité scientifique qu’offre le roman. Et puis bien sûr, s’agissant d’un roman vampirique, quand bien même il fut écrit à la fin du XIXe siècle, on ne peut pas passer sous silence sa charge érotique (attention, ce n’est pas non plus de la bit-lit hein !). La morsure (dans le cou !) est un symbole évidemment très explicite, et certaines scènes parlent d’elles-même (Mina Harker buvant le sang du vampire à même sa poitrine…), sans oublier la fameuse scène dans le château du comte Dracula dans laquelle Jonathan Harker est sur le point de succomber aux charmes des trois femmes vampires. Quant aux femmes du roman, elles offrent deux personnages très différents. D’une part Lucy Westenra, jeune femme de pensée assez libre qui succombera aux attaques du vampire, et Mina Harker, son amie beaucoup plus consensuelle et fidèle à son mari (et qui survivra, elle, faut-il y voir ici une leçon donnée par Stoker ? 😉 ), donc beaucoup plus classique d’une certaine manière, mais qui participera activement à la traque de Dracula en montrant toute l’utilité de ses capacités intellectuelles (classement et mises au clair des notes de tous les protagonistes pour obtenir un déroulé limpide des évènements tels qu’ils sont offerts au lecteur, utilisation de la sténographie, etc…). Au XIXe siècle, ce n’est pas rien, même si le statut des femmes commençait déjà à changer à l’époque.

Et puis bien sûr il y a Dracula. Son ombre menaçante plane sur le roman, même si c’est paradoxalement (et sans doute aussi ce qui fait toute sa force) le seul personnage du roman qui ne s’exprime pas directement à travers ses écrits. Sa présence la plupart du temps hors champ, avec pour seuls indices laissés au lecteur le résultat des ses méfaits sur les personnages (Lucy et Mina en premier lieu) ou sur le microcosme londonien, le rend impalpable mais pourtant terriblement menaçant. Et son affrontement « à distance » avec Van Helsing est passionnant. Tout comme l’ensemble du roman en fait, qui se révèle être, presque 130 ans après sa parution, toujours un véritable page-turner (même s’il souffre parfois aussi, il faut le dire, de quelques longueurs).

Je n’ai pas parlé de l’intrigue du roman, mais est-ce bien nécessaire ? Roman à la mécanique bien huilée et à la construction parfaitement pensée, magnifié par un personnage iconique comme rarement (qui reste cantonnée à une menace plus diffuse que véritablement incarnée d’ailleurs), à un point tel qu’il a irrigué tout un pan de la littérature puis du cinéma, « Dracula » est un classique du genre et de la littérature tout court. Il y aurait sans doute encore beaucoup à en dire mais des spécialistes le feraient bien mieux que moi, il faut donc savoir rester humble. 😀 Son statut de grand classique est donc bien mérité, et j’ai (re)dévoré ce roman comme rarement alors que ma dernière lecture de ce texte remonte à l’adolescence.

Pour finir, un mot sur la splendide version des éditions Callidor (qui reprend la traduction d’Alain Morvan, originellement parue pour le volume des romans vampiriques à la Pléiade). Relié, avec dos toilé rouge sang, papier de grande qualité, sous une couverture (avec vernis sélectif) et des illustrations intérieures de Christian Quesnel, l’objet est superbe, d’autant qu’il bénéficie d’un vrai travail sur la maquette avec un choix pertinent de polices de caractères manuscrites pour représenter les écrits des différents personnages. Un vrai plus pour l’immersion (même si la fluidité de lecture s’en ressent forcément un peu : on ne lit pas l’écriture manuscrite aussi bien qu’une police classique…). Bravo, c’est à l’image du reste de la collection « Collector » des éditions Callidor (dont je possède déjà « Sallambô » de Gustave Flaubert et « Le grand dieu Pan » de Arthur Machen) : magnifique !

 

 

 

  
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