Dune, un chef d’oeuvre de la science-fiction, de Nicolas Allard
Quatrième de couverture :
Œuvre d’une ambition folle, « Dune » a ému et fasciné des générations de lecteurs et reste à ce jour le roman de science-fiction le plus vendu au monde. Lire – et relire – Frank Herbert, c’est se plonger dans un univers d’une richesse inégalée, qui a inspiré des artistes aussi différents que George Lucas, Denis Villeneuve, George R. R. Martin ou Hayao Miyazaki. Un chef-d’œuvre intemporel, dont les thématiques restent d’une actualité brûlante : politique, écologie, transhumanisme…
A travers cet essai, Nicolas Allard nous guide dans une oeuvre complexe et foisonnante, et nous offre les clés permettant de décrypter ce monument de la science-fiction.
Pour ne rien comprendre à l’envers (des sables…)
Et c’est Nicolas Allard qui s’y colle. Agrégé de lettres modernes, grand amateur de SF et fin connaisseur de « Dune », il a écrit plusieurs livres sur Jules Verne, « Game of Thrones » et « Dune » donc. Paru aux éditions Pocket en 2023, ce « Dune, un chef d’œuvre de la science-fiction » est une réédition remaniée de la première version parue aux éditions Dunod en 2020. Remaniée entre autres pour mieux coller à l’actualité puisque le premier film de Denis Villeneuve est arrivé sur les écrans entre ces deux éditions (à quand une version remaniée avec le deuxième film ?).
Découpé en trois parties à peu près égales, ce petit livre (enfin, petit, plus de 300 pages quand même, sous une jolie couverture du même type que celle de « Lire Tolkien », un autre essai de la collection, cette fois sur… Tolkien ! Ouais, c’était super dur là aussi… 😀 ) est redoutablement facile à lire tout en regorgeant d’informations et d’analyse passionnantes.
On débute la première partie classiquement avec un rapide retour sur la vie de Frank Herbert, ses inspirations (« Les sept piliers de la sagesse » de Thomas Edward Lawrence, « Une princesse de Mars » de Edgar Rice Burroughs) et ce qui l’a amené à écrire « Dune », avant de s’intéresser aux adaptations, réelles ou pas (Lynch, Jodorowski, Villeneuve), en insistant sur les spécificités du roman qui le rendent si difficile à adapter à l’écran et en regardant comment les différents réalisateurs s’en sont dépatouillé. Complexité du contexte, pensées intérieures des personnages, importance du personnage de la princesse Irulan qui est pourtant presque systématiquement hors champ, esthétique du décor et des personnages, idées philosophiques, les écueils sont très nombreux.
La deuxième partie se concentre sur l’analyse du texte pour en ressortir les principales thématiques et les détailler. Le messie / le tyran (religion, politique, etc…), l’écologie, le féminisme, le transhumanisme, l’aventure (au sens large et à différents niveaux) puis la tragédie… Aucune révélation miraculeuse ici mais le propos est juste, clair, pertinent, facile à lire, absolument pas élitiste, c’est un modèle du genre.
Enfin la troisième partie s’intéresse aux « héritiers » de « Dune », c’est à dire les œuvres (littéraires ou cinématographiques, de pop culture de manière générale) qui se sont inspirées de celle de Frank Herbert. Un gros morceau de cette partie est consacré à « Star Wars », sans aucun doute à juste titre tant la démonstration des liens qui unissent ces deux univers de SF est limpide et édifiante. Mais aussi peut-être un peu longue dans sa volonté d’être quasi exhaustive… D’autant qu’on pourra tiquer ici ou là dans la volonté de voir « Dune » partout à l’intérieur de « Star Wars » (Jessica est omniprésente : chez Obi-Wan Kenobi, Anakin et Luke Skywalker…). Peut-être, plutôt que d’y voir une pure influence de « Dune » (sans aucunement la nier), faut-il aussi regarder du côté du monomythe du « Héros aux mille et un visages » de Joseph Campbell, dont George Lucas avoue la grande influence qu’il a eu sur « Star Wars » et qui, puisqu’il est paru en 1949, a aussi pu être présent à l’esprit de Frank Herbert, lui qui déjà fut marqué par l’ouvrage de Lord Raglan « The hero » paru en 1936 et qui s’intéresse aux mêmes thèmes que l’ouvrage de Campbell.
La démonstration de Nicolas Allard ne s’arrête pas là, puisque c’est « Le Trône de Fer » (et son pendant télévisuel « Game of Thrones ») qui est ensuite abordé. Là encore, on peut voir « Dune » ici ou là dans l’œuvre de George R. R. Martin (tout autant que de nombreux archétypes pas forcément spécifiques à « Dune » mais relevant plutôt d’effets narratifs ou de personnages plus ou moins universels), il est d’ailleurs évident que Martin a lu « Dune » et connait bien la saga, et on peut comparer Paul Atréides et Bran Stark (un point de comparaison parmi de nombreux autres pertinents exposés par Nicolas Allard), mais Frank Herbert n’a pas la primauté sur le fait de mettre en scène un personnage doté de pouvoirs supérieurs à la moyenne qui s’éloigne d’une certaine forme d’humanité. Arthur C. Clarke n’avait-il pas montré dans « Les enfants d’Icare » (en 1953, donc avant « Dune ») une « élévation » d’une partie de l’humanité (les fameux enfants) qui, sous l’influence de pouvoirs surhumains, perdaient justement ce statut d’humains ? Je suppose qu’on peut trouver d’autres exemples (le Dr. Manhattan dans « Watchmen » par exemple, plus récent que « Dune » pour le coup, mais comment savoir qui a inspiré quoi en ce qui concerne Bran Stark ?). Je ne dis pas que l’analyse de Nicolas Allard est fausse (car Paul et Bran ont bel et bien plusieurs points communs, jusqu’à leur parenté, Leto Atréides et Ned Stark pouvant également être comparés à plus d’un titre) mais simplement que, peut-être, tout ne doit pas systématiquement être ramené à « Dune » et que le roman de Frank Herbert ne représente pas l’alpha et l’omega de ce qui a été publié à sa suite dans les littératures de l’imaginaire…
Plus loin, parmi d’autres œuvres abordées (« Nausicaä », « Avatar », « Jurassic Park »…), on note « Terminator » ou « Matrix » pour la guerre contre les machines, appelée le jihad butlérien dans « Dune ». Un nom qui ne doit sans doute rien au hasard puisque Samuel Butler, en 1863 dans l’article « Darwin among the machines » (dispo en français) puis en 1872 dans le roman « Erewhon », avait déjà très précisément abordé ce thème, avec peu ou prou les mêmes conclusions que le jihad butlérien de Frank Herbert. Dommage que Nicolas Allard n’ait pas juger bon de l’indiquer dans le livre… Et donc, quelles sont les sources d’inspiration de « Terminator » et « Matrix » : « Dune » ou Samuel Butler ? Là encore, il faut sans doute prendre un peu de recul.
Enfin, « Avatar » pour lequel James Cameron a avoué s’être inspiré de « Une princesse de Mars » pour développer son intrigue et son univers, le roman de Burroughs étant justement une source d’inspiration de celui de Herbert. Dès lors, faut-il dresser des ponts entre l’œuvre « intermédiaire » (« Dune ») et l’œuvre finale plutôt qu’entre cette dernière et l’inspiration originelle reconnue par son créateur ?
Bref, il ne s’agit pas de nier l’influence de « Dune », mais peut-être de remettre le roman à sa juste place : tout ne se rapporte pas à lui, même s’il faut bien admettre qu’il constitue une étape importante (qui s’inscrit dans une évolution continuelle du genre SF) dans la diffusion d’un certain nombre d’idées et de thèmes devenus des classiques de la SF. Et pour « Matrix » par exemple, au-delà de son côté christique, il faut bien avouer que les point communs entre Neo et Paul sont nombreux (messie, élu, pouvoirs, perte de la vue, mort puis résurrection…). Mais il reste toujours bien délicat de savoir qui influence qui, et finalement l’essai de Nicolas Allard parvient peut-être mieux à dresser des parallèles entre différentes oeuvres qui, à peu près toutes, s’abreuvent aux mêmes sources originelles plutôt que de mettre en avant l’idée que « Dune » a, à lui tout seul, inspiré le reste de la SF…
Quoiqu’il en soit, si je peux paraître un peu critique sur la troisième partie de cet essai, je reconnais sans peine que « Dune, un chef d’œuvre de la science-fiction » est une lecture passionnante pour qui souhaite approfondir ses connaissances du roman de Frank Herbert (et quasiment lui seul, les autres romans ne sont presque pas abordés, sauf peut-être « Le Messie de Dune » qu’il vaut mieux avoir lu auparavant pour ne pas se faire spoiler) et en détailler les thématiques essentielles. Personnellement, je l’ai tout simplement dévoré !
Lire aussi les avis de L’épaule d’Orion, Xapur, Célindanaé, Stéphanie Chaptal, Fantasy à la carte…
Très intéressant dans ses excès même. Merci.
Si tu publies encore un billet sur Dune, je penserai que tu es en fait Lloyd Cherry sous pseudo!!! 😀 😀
😀 😀 😀
Je crois que je suis au bout de mon stock sur Dune là, pour le moment. Dommage. 😀