1984, de George Orwell
Quatrième de couverture :
Winston sentit son cœur lui manquer à la pensée de la puissance démesurée qui était déployée contre lui, à la facilité avec laquelle n’importe quel intellectuel le remettrait à sa place avec des arguments subtils qu’il serait incapable de comprendre, et plus encore de contrer.
Et pourtant, il avait raison ! Ils avaient tort, il avait raison. Il fallait défendre les évidences, les platitudes, les vérités. Les truismes sont vrais, accrochons-nous à cela ! Le monde physique existe, ses lois ne changent pas. Les pierres sont dures, l’eau est liquide, tout objet lâché est attiré par le centre de la terre.
Avec le sentiment de s’adresser à O’Brien, et aussi d’énoncer un axiome important, Winston écrivit : « La liberté est la liberté de dire que deux et deux font quatre. Si cela est accordé, tout le reste suit. »
La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force
Je me suis longtemps demandé, suite à ma lecture du roman, si j’allais en parler sur ce blog. Non pas que je n’ai rien à en dire, mais plutôt que tout a déjà été dit. Le texte a été analysé, décortiqué, disséqué, étudié à de multiples reprises et il n’a plus guère de secrets à dévoiler aujourd’hui. Alors je ne vais pas moi-même y aller de ma pseudo analyse personnelle qui n’apporterait rien de plus que ce qui a déjà été maintes fois démontré.
Modestement, j’en resterai donc à mon ressenti personnel : wow ! Voilà, merci, au revoir. Bon, ok, c’est un peu court. Alors disons que j’ai pris une belle claque. Je disais juste au-dessus que le roman n’a plus de secrets à dévoiler mais ce n’est pas tout à fait exact. Si du côté de l’analyse tout a déjà été dit, pour un lecteur qui s’en est tenu éloigné (volontairement ou pas, et c’est un peu les deux me concernant), il y a au moins l’intrigue à découvrir, et la manière qu’a George Orwell de mettre ses éléments en place pour souligner son discours.
Car oui, je ne connaissais pas l’histoire de Winston Smith, petit fonctionnaire du Ministère de la Vérité, chargé de modifier différents éléments écrits du passé (presse, romans, etc…) pour les faire coïncider avec le discours officiel du Parti. J’ai enfin découvert les principes majeurs du roman qui ont fini par passer dans le langage courant (Big Brother, la novlangue, la Police de la Pensée, etc…), j’ai découvert l’oppression de cette machine politique et sociale qu’est le Parti à travers la première partie du roman, faite pour présenter ce monde et son fonctionnement au lecteur, j’ai repris ma respiration dans la deuxième partie, sorte de moment hors du temps qui donne à Smith la possibilité d’une vie heureuse, tout en découvrant le « livre dans le livre » censément signé de l’opposant politique Emmanuel Goldstein, incroyable et véritable manuel politique décortiquant les rouages du totalitarisme, avant une troisième partie étouffante aboutissant à une conclusion d’une limpidité qui fait froid dans le dos, illustrée par une magistrale et parfaitement signifiante dernière phrase.
Réécriture de l’histoire, invention de toutes pièces d’éléments fictifs pour illustrer le discours du Parti, propagande mensongère, surveillance généralisée et contrôle de la population (à tout niveau : corps, langue, sexualité, pensée), endoctrinement dès le plus jeune âge, simplification jusqu’à la destruction pure et simple de la langue, déconstruction de toute logique et gymnastique de l’esprit pour annihiler tout esprit critique, toutes ces thématiques illustrant un pouvoir totalitaire sont mises en lumière ici de manière extrêmement forte, et il est bien difficile d’y rester insensible tant les sentiments d’enfermement, de surveillance et d’oppression sont présents, presque palpables, et prennent le lecteur à la gorge. « 1984 » est un monde en soi, un monde terrible duquel on ne peut que souhaiter s’échapper et que pourtant on continue d’explorer, fasciné et horrifié jusqu’à la dernière ligne.
George Orwell n’épargne donc pas son lecteur, bien au contraire, il assène son avertissement (qui aujourd’hui encore reste tout à fait pertinent, il suffit de suivre l’actualité on bien même notre mode de vie de tous les jours…) de manière très forte pour le marquer au fer rouge. Le moins que l’on puisse dire c’est que ça marche, et pas qu’un peu. On ressort de ce roman essoré, rincé, bluffé, exténué, apeuré, instruit aussi, assommé par la puissance de son message et globalement ébloui par la maîtrise politique d’Orwell et la démonstration qu’il fait des « valeurs » d’un régime totalitaire comme le Parti, notamment dans cette fameuse et stupéfiante troisième partie, qui éclaire d’une manière bien particulière le livre de l’opposant Goldstein. J’y repense encore avec de très fortes émotions.
Alors il ne m’appartient évidemment pas de dire si oui ou non « 1984 » est un chef d’œuvre puisqu’il a acquis ce statut de longue date. Mais je peux en revanche me ranger dorénavant parmi ses admirateurs. Vous connaissez l’adage : mieux vaut tard que jamais. Vous savez ce qu’il vous reste à faire, si ce n’est pas déjà fait.
J’ajoute un mot sur l’édition et la traduction du roman puisque, paru en 1948, il est désormais dans le domaine public en VO et a donc bénéficié de plusieurs nouvelles traductions ces dernières années (sept en l’espace de trois ans, en plus de celle d’origine d’Amélie Audiberti qui n’était ni complète ni parfaitement juste avec quelques contresens). Celle que j’ai choisie, après une pas si longue réflexion que cela, est l’œuvre de Celia Izoard, parue d’abord au Canada en 2019 aux éditions de la Rue Dorion puis en 2021 en France aux éditions marseillaises Agone. Elle a le bon goût de garder un texte au passé et de ne pas retraduire les termes tellement connus qu’ils sont passés dans le langage courant (au contraire de Josée Kamoun en 2018 qui transforme la Police de la Pensée en Mentopolice par exemple), tout en apportant une touche personnelle plutôt élégante à certains autres (Vérigouv plutôt que Miniver, psychose administrée, au double sens judicieux, plutôt que folie dirigée). Par ailleurs, l’édition est belle, sobre en couverture cartonnée sur un beau et frappant jaune orangé, et dotée d’une éclairante postface qui revient sur la manière dont le texte a été reçu mais aussi mal interprété voire repris d’une manière détournée par ceux que l’on pourrait qualifier d’opposés à la pensée politique d’Orwell. A chacun de faire son choix, mais je suis très satisfait du mien.
L’avantage c’est que maintenant tu peux regarder ce chef-d’œuvre qu’est Brazil de Terry Gilliam avec un œil neuf.
Voilà. Un avantage de plus pour avoir lu ce roman. 😉
Mieux vaut tard que jamais !
La ferme des animaux maintenant 🙂
C’est la prochaine étape en effet. 😉
La postface a l’air sympa. Et bien utile pour ce livre qui est certainement le roman le plus cité à tort.
Il faudrait que je le relise, je n’en ai aucun souvenir. C’est pourtant un roman qu’il est toujours utile d’avoir en tête je crois.
Postface très éclairante. J’aime les postfaces éclairantes. Elles peuvent se lire dans le noir. 😀
Et oui, il faut toujours l’avoir en tête. Parce qu’il est applicable à plein de choses. C’est sa force et, peut-être, sa « faiblesse » puisqu’on peut le « dévoyer » presque trop facilement. Et ça rejoint du même coup le sujet de la postface. La boucle est bouclée. 😉
Ca ne me tente pas du tout, je sais qu’il faudrait mais les vieux trucs m’ennuient souvent (les trucs nouveaux aussi d’ailleurs !) mais quand en plus il y a de multiples traductions, comment choisir… en lisant autre chose tout simplement.
Sinon j’ai lu La ferme des animaux au collège et j’en ai aucun souvenir ! 😉
Il ne faut pas généraliser, ce n’est pas parce que c’est vieux que c’est rasoir. Celui-ci est particulièrement prenant d’ailleurs, oppressant, même si bien sûr il est technologiquement dépassé. Et puis si les multiples traductions te bloquent, tu en prends une au hasard (ou pas, je viens de te donner une piste… 😉 ) et tu te lances ! 😀
Mais je comprends ta réticence sur les vieilleries, même si je ne la partage pas. J’ai bien envie de relire un peu de merveilleux-scientifique moi tiens ! 😀
C’est surtout le technologiquement dépassé que je n’arrive pas à dépasser dans les trucs plus anciens.
Ca n’est pourtant pas vraiment un problème ici. C’est daté oui, mais c’est franchement transposable sans aucun problème à notre époque : il suffit de se rendre compte que nous avons dans nos mains, avec notre consentement, une arme redoutable de contrôle et de (potentielle) surveillance, le smartphone. C’est le nouveau télécran de 1984. Un exemple parmi d’autres. 😉
J’ai eu la chance de lire tous les grands classiques avant la SF plus modernes grâce à un copain dont la mère avait considéré que ça faisait partie de la culture – de Wells à Orwell donc. Un excellent souvenir mais jamais relu.
J’avais relu un peu de Wells il y a quelques années, c’est évidemment désuet mais ça garde encore pas mal de saveur. Orwell ici reste vraiment percutant, j’ai lu ce roman en peu de temps, happé et effrayé par la société qu’il propose.
La mère de ton ami était visiblement une personne de goût. 😉
Perso, je considère que lorsque l’on s’intéresse à un forme d’art, il faut creuser pour appréhender les fondations. Particulièrement dans la SF qui s’est construite par strates où le lecteur est amené à se faire une culture qui permet à l’auteur d’éviter de réinventer ce qui a déjà été fait par ses prédécesseurs.
On pourrait vite en revenir au débat « Faut-il avoir lu les grands classiques de la SF ? »… 😉
Il y a un débat ? 🙂 Bon, chacun lit ce dont il a envie. C’est juste un rapport au genre.
Tout à fait, aucun problème là-dessus. 😉
Mais oui, le débat revient régulièrement quand il est question des grands chefs d’oeuvre de la SF et qu’on voit toujours revenir Asimov, Dick ou Herbert. Il y a de très grandes et superbes oeuvres modernes en SF, et il n’est pas obligatoire de passer par certains romans parfois particulièrement datés (au vu des standards actuels de notre société, sur les femmes entre autres, les relations sociales, etc…) pour les apprécier.
Trop bien. Trop bien que tu l’aies lu, et trop bien ce que tu en dis. C’est en effet un chef d’œuvre, et tellement transposable dans les décennies qui ont suivi sa publication, jusqu’à la nôtre. Orwell était d’une grande lucidité, il ne devait pas être très gai dans sa tête…
J’aimerais bien lire son bouquin sur son expérience en Espagne, quand il est allé soutenir les républicains.
« La liberté est la liberté de dire que deux et deux font quatre » –> Je ne me souviens pas de ce passage, mais je suis frappée par l’image, car une phrase proche m’a énormément marquée dans La Peste de Camus: « Mais il vient toujours une heure dans l’histoire où celui qui ose dire que deux et deux font quatre est puni de mort. Et la question n’est pas de savoir quelle est la récompense ou la punition qui attend ce raisonnement. La question est de savoir si deux et deux, oui ou non, font quatre. » D’ailleurs, La Peste est aussi un chef d’œuvre de dingues, et il a sans doute quelques points communs avec 1984, maintenant que j’y pense. Il faudrait que je les relise de manière rapprochée… Si j’avais du temps…
Chef d’oeuvre incontestable oui, et je suis très heureux de l’avoir lu, même si ça ne respire pas la joie. Je ne sais pas si ça représentait l’état d’esprit d’Orwell, il faut espérer que non… 😀
Ah oui, quelle similarité, c’est impressionnant ! Sachant qu’en plus, « La peste » est paru un peu avant « 1984 », il y avait comme un rapprochement des idées à cette époque (qui s’y prêtait plutôt bien il faut dire) autour du totalitarisme. Encore un autre grand roman qu’il faudra que je lise, un jour (quelle culture déficiente ! 😀 )…
Si un jour tu veux faire une lecture commune de La Peste pour te motiver, tu dis!! (Mais je t’ai déjà dit ça il y a un an à propos de L’histoire de la Terre-du-Milieu, alors bon, j’ai plus d’idées que de temps, disons! ^^)
Pourquoi pas. 😉
Oui, je me souviens de L’Histoire de la Terre du Milieu, ça me tente toujours, et toujours je repousse. J’ai un peu peur d’affronter ce bouquin, je l’avoue… 😀 Et puis le temps, oui, c’est l’insolube problème.
Excellente idée ce rattrapage ! C’est un incontournable de la SF, et ce ne serait d’ailleurs pas plus mal pour moi de le relire un jour, ma lecture date un peu. En plus avec les nouvelles traductions…. Bref, à enquêter !
Je suis particulièrement content de l’avoir lu, déjà pour combler une faille culturelle et ensuite parce que c’est un excellent roman qui mérite bien son statut et que je l’ai adoré. C’est ce qu’on appelle une réussite totale. 😉