Lisière du Pacifique, de Kim Stanley Robinson
Quatrième de couverture :
Demain, à Washington… Anna et Charlie Quibler œuvrent aux applications des découvertes scientifiques visant à améliorer la vie sur Terre.
L’enjeu est de taille : il s’agit d’alerter le monde sur les dangers du réchauffement climatique global et convaincre une administration réticente de prendre les mesures qui s’imposent. L’urgence devient criante lorsque des pluies torrentielles s’abattent sur Washington, bientôt engloutie sous les eaux. Pour l’humanité, l’adoption des lois préparées par Charlie est désormais une question de vie ou de mort…
Une utopie californienne
Grand parmi les très grands auteurs de SF contemporaine et surtout connu pour sa célèbre trilogie martienne (à laquelle il faut ajouter d’autres récits spatiaux, comme « 2312 », « Lune rouge » ou le superbe « Aurora »), Kim Stanley Robinson a fait de l’éclectisme sa marque de fabrique, capable d’aborder aussi bien l’uchronie (« Chroniques des années noires ») que les thématiques écologiques (la trilogie climatique) voire même le récit préhistorique (« Chaman »). Et parfois tout (ou presque) se mélange et la prospective se fait politico-écologico-économico-sociale, comme dans le solide mais pas toujours très digeste « New York 2140 », chacun de ses thèmes étant par ailleurs toujours plus ou moins évoqués dans chacun de ses textes. Et c’est aussi le cas dans « Lisière du Pacifique », un roman paru en 1990 qui les aborde sous le prisme de l’utopie.
L’action se passe à El Modena, petite ville de Californie du Sud en 2065 qui tente de limiter son impact écologique sur le monde. Une « utopie de poche » dans laquelle les déplacements se font à vélo, les habitations sont partagées et éco-responsables, et même les pratiques politiques (au niveau municipal) se font sur un mode de représentativité dans lequel le maire n’a pas plus de poids que n’importe quel autre conseiller. On se réapproprie les zones fortement transformées/urbanisées pour faire revenir la nature, chaque citoyen contribue à l’équilibre et au bien-être de la communauté, la taille des entreprises est limitée, les salaires sont plafonnés, et à une échelle plus globale, le transport maritime se fait avec de grands bateaux à voiles.
Kevin Claiborne, jeune architecte, fait partie du conseil municipal de El Modena, sous l’étiquette verte. Il sent rapidement venir une entourloupe de la part du maire, Alfredo, sur la question de la gestion de l’eau, problème qui va dévier sur le devenir de la dernière colline naturelle à proximité. Se pose donc rapidement la question (via un classique antagonisme entre une utopie socialiste et la cupidité capitaliste) de savoir ce qui doit être privilégié : l’écologie ou l’avenir économique d’El Modena.
Mais cet aspect politico-économico-écologique n’est qu’un aspect du roman. Un roman calme, apaisé, qui prend son temps. Le temps de nous décrire quelques parties de softball qui rythment la vie de la communauté (c’est parfois un peu longuet il faut bien l’avouer…), le temps de nous décrire les paysages sud-californiens (et c’est là beaucoup plus évocateur, je me suis amusé à retrouver quelques lieux sur Google Maps : Rattlesnake Hill, la colline de la discorde, est devenue El Modena Open Space, Peter’s Canyon, Black Star Canyon, etc…), le temps de nous décrire quelques tranches de vie des habitants d’El Modena. De Kevin, célibataire mais amoureux de Ramona, qui vient de se séparer d’Alfredo. De Oscar, l’avocat de la ville, aux hobbies assez typés et étonnants. De Tom, grand-père de Kevin et ancien activiste politique retiré de la vie publique. De Doris, à l’écologie chevillée au corps. Et de quelques autres, tous ces personnages (fort bien décrits par Robinson et auxquels on s’attache instantanément) et leurs moments de vie dressant le portrait d’une communauté futuriste atypique, bienveillante et optimiste.
Des tranches de vie qui décrivent un monde, un avenir possible, par petites touches, sans passer par des séquences d’infodump un peu lourdes (chose que Robinson utilise pourtant fréquemment). Et si l’âge du roman (32 ans rappelons-le) ne se voit pas trop c’est parce que l’auteur a su s’éloigner de la technologie. Elle est certes présente et décalée par rapport à ce que nous connaissons (messages via les télévisions, planeurs à pédale, gel-nuage…) mais l’absence d’équipements et de services incontournables aujourd’hui (internet ou les téléphones portables) ne lui porte guère préjudice.
Bref, tout semble idyllique malgré des intérêts capitalistes persistants et loin d’être blancs comme neige, véhiculant toujours corruption, pressions politiques, pouvoir de l’argent, et prompts à venir fissurer une utopie pourtant parfaitement fonctionnelle. Il faut donc se battre pour préserver ce qui doit l’être alors que pour Kevin se pose la question de savoir si son combat découle vraiment d’une opinion politique ou bien d’une simple rivalité amoureuse…
Tout cela fait donc du roman un texte tout à fait séduisant auquel il faut ajouter, et c’est important, un récit cadre dystopique présentant un personnage dont l’identité n’est révélée qu’à la fin (et qui partage quelques points communs avec Robinson), précédant le récit de Kevin Claiborne d’une cinquantaine d’années et qui peut être vu soit comme un contrepoint à l’utopie d’El Modena montrant ce qui a déclenché la possibilité d’une telle utopie, soit carrément comme une mise en abyme adroite dans laquelle le personnage réalise lui-même ce que fait Kim Stanley Robinson en écrivant « Lisière du Pacifique » (remettant directement en cause la réalité du récit de Kevin), ce qui éclaire les motivations de l’écrivain américain. Une (grosse) touche de profondeur (méta ?) supplémentaire via de courts passages dont l’importance est vraiment à prendre en compte, d’autant qu’il y a là de sérieuses réflexions sur l’utopie.
Si on pourra toujours tiquer sur l’idéalisme de l’ensemble, « Lisière du Pacifique » est un roman plein d’espoir qui fait vraiment plaisir à lire. S’il ne pourra sans doute pas plaire à tout le monde de par son rythme très langoureux, délaissant l’action palpitante au profit d’une atmosphère, ses enjeux certes importants à l’échelle de la communauté d’El Modena (et c’est bien là l’essentiel) mais somme toute relativement modestes à une plus grande échelle (il ne s’agit pas de l’avenir de l’espèce humaine ici), et sa conclusion en forme de pirouette pas tout à fait satisfaisante sur le strict plan narratif en donnant la primauté au symbole sur le véritable combat juridique, c’est un roman qui reste aujourd’hui encore remarquable, poussant à la réflexion et qui s’impose comme un jalon essentiel dans la SF utopiste, installant dans l’esprit du lecteur une communauté enviable. Troisième volet (tous indépendants) d’un triptyque dédié au Comté d’Orange en lui proposant différentes visions d’avenir (les deux autres volumes, « Le rivage oublié » et « La côte dorée », étant post-nucléaire pour le premier et quasi cyberpunk pour le second), « Lisière du Pacifique » (traduit par Stéphan Lambadaris et sous une couverture de Daylon) me reste toujours en tête quelques jours après sa lecture. Le signe qu’il a atteint quelque chose en moi. Un beau coup de coeur en somme. Et une réussite de plus pour Kim Stanley Robinson, qui ne cesse de m’enthousiasmer.
Lire aussi les avis de Fantasy à la carte, SyFantasy…
Je ne suis pas sur que ce soit pour moi au final… je me contenterai de son dernier roman.
Dernier roman qui est sans doute un peu dans la même veine mais aussi très différent. Plus proche de sa trilogie climatique, que je suis en train de lire. 😉
Ça a l’air très bien. Un jour, je lirai cet auteur.
Un jour oui, il faut. 😀