Lady Astronaute, de Mary Robinette Kowal
Quatrième de couverture :
Elma York est une célébrité sur la planète rouge, suite au rôle déterminant qu’elle a joué lors des colonisations lunaires et martiennes. D’après les médecins, son mari, Nathaniel, n’a plus que six mois à vivre. Officiellement toujours astronaute, Elma est toutefois clouée au sol à cause de son âge. Elle brûle de repartir dans l’espace, mais peut-elle abandonner Nathaniel ?
Les cinq textes qui composent ce recueil appartiennent tous, comme le roman « Vers les étoiles », à la série de la « Lady Astronaute ». La nouvelle « La Lady Astronaute de Mars » a reçu le prestigieux prix Hugo.
Conquête spatiale uchronique et féministe
Cinq nouvelles sont au programme de ce petit recueil d’environ 120 pages. Cinq nouvelles, traduites par Patrick Imbert, qui forment le début d’un cycle que l’autrice, Mary Robinette Kowal, développera par la suite avec plusieurs romans (trois à ce jours parus en français). Cinq nouvelles dont l’une d’elles a remporté le Prix Hugo en 2014. Cinq nouvelles écrites et publiées (en VO) entre 2013 et 2018. Cinq nouvelles qui, quand on creuse un peu le background développé par l’autrice, manquent parfois un peu de cohérence sur des points de détails, mais cinq nouvelles qui permettent de cerner l’essentiel en « bornant » plus ou moins les évènements du cycle, depuis ses débuts uchroniques jusqu’à… disons un nouveau départ. Cinq nouvelles donc (ça va, vous suivez ?).
La première d’entre elles, « Nous interrompons cette émission », nous présente le point de divergence majeur qui va faire de cycle une uchronie (quoique, plus discrètement, l’uchronie avait déjà commencé avec l’élection de Dewey devant Truman aux élections de 1948), c’est à dire la chute d’un astéroïde sur Terre, ce qui va bouleverser le climat et provoquer la nécessité d’une conquête spatiale menée au pas de course (avant l’avènement des calculateurs automatiques et des ordinateurs, tout est donc calculé à la règle à calcul, notamment par des femmes (regardez le très bon film « Les figures de l’ombre ») et la programmation des équipements faite à l’aide de cartes perforées, d’où le terme « punchcard punk » utilisé par Mary Robinette Kowal pour qualifier le genre du cycle « Lady Astronaute ») pour permettre à l’humanité de survivre à un changement climatique accéléré. Mais le sujet de cette nouvelle reste bel et bien les raisons de cette chute d’astéroïde, car non, elle n’est pas arrivée par hasard… Un homme donc, qui a travaillé sur le projet Manhattan et qui, malade et dégouté par ce que devient le monde, va faire un choix radical, accompagné, d’une manière tragique et à laquelle il ne s’attendait pas, par son assistante dont il est amoureux et qui se trouve être également beaucoup plus intelligente que ce qu’il imaginait (ce qui fait écho au statut (et au salaire…) des femmes calculatrices d’alors, beaucoup moins prestigieux que les hommes qui, eux, devenaient ingénieurs. A nouveau, regardez « Les figures de l’ombre »). De manière étonnante, en lisant la suite du cycle (et notamment le roman « Vers les étoiles » qui met en scène cette cette catastrophe cosmique et pour lequel mon article arrive bientôt), on s’aperçoit que les origines de la chute de l’astéroïde restent inconnues des autorités et des personnages. Cela donne à ce texte un petit côté « histoire secrète » mais en limite aussi la portée…
Le deuxième texte, « L’expérience Phobos », nous amène bien plus tard, sur Mars, puis sur Phobos alors que trois personnages (dont une femme qui souffre de vertiges, un handicap que Mary Robinette Kowal reprendra de manière différente dans « Vers les étoiles », roman écrit après cette nouvelle, pour son personnage d’Elma York, brièvement évoquée ici pour des raisons que, je suppose, on découvrira dans les volumes suivants) sont missionnés pour aller explorer le satellite martien. On sent bien que tout n’est pas dévoilé aux trois astronautes (ainsi qu’au lecteur) sur le pourquoi du comment (la menace d’une prise de contrôle du programme spatial par les militaires, des pirates, etc…) et là encore cela à tendance à jouer un peu contre le texte, notamment sur la fin où les conséquences de cette exploration et de ce qui s’est passé sur place ne sont pas développées. On reste donc un peu sur notre faim même si, à l’instar du texte précédent, la lecture reste tout à fait agréable.
Le troisième texte, « La girafe d’Amara », est beaucoup plus anecdotique. Trois petites pages pour une péripétie à base de peluche durant un voyage sur la Lune pour une mère pilote et sa fille. Sympathique (et il n’est pas si courant de mettre en scène une femme autant dans un rôle de pilote de module, rôle plutôt habituellement masculin, que dans un rôle de mère, comme quoi il est possible de conjuguer les deux) mais un peu court pour être vraiment significatif.
« Le rouge des fusées » nous amène de nouveau sur Mars, en 1974 lors de festivités qui marquent le vingtième anniversaire de la fondation de la colonie (1954 donc). Ce qui pose un problème alors que, dans « Vers les étoiles », la Lune n’avait même pas encore été atteinte cette année-là. Petit souci de cohérence qui n’entache en rien la qualité de cette sympathique nouvelle sur la relation mère-fils, entre ce jeune homme qui veut bien faire en reprenant l’entreprise pyrotechnique familiale et sa mère, un brin encombrante mais qui va l’aider de manière habile à rattraper une situation sur le point de virer au fiasco. Un récit sans grand impact sur la « grande histoire » du cycle, mais attachante.
Bon, tout ça c’est bien joli, c’est sympa et mignon, mais ça ne va pas non plus bien loin. Sauf que là, bim, « La Lady Astronaute de Mars » et son fameux Prix Hugo. Et ça change tout. Nous sommes sur Mars, à une date indéterminée si ce n’est par l’âge d’Elma York, grande figure de la conquête spatiale, qui a 63 ans (on peut donc, sachant grâce au roman « Vers les étoiles » qu’elle a été pilote durant la guerre, tabler sur le début des années 80) et qui vit avec son mari Nathaniel, ancien ingénieur aérospatial gravement malade et à l’espérance de vie très limitée (un an tout au plus). Ancienne gloire, elle ne rêve que de repartir dans l’espace mais ne peut se convaincre de laisser son mari finir sa vie seul. Pourtant, une nouvelle opportunité (pouvant l’emmener loin, très loin…) va s’offrir à elle. Tiraillée entre ses deux amours, elle va devoir choisir. « La Lady Astronaute de Mars » est un texte très fort, très humain, qui ne ménage pas ses personnages en les mettant face à une vie difficile et un choix cornélien. Amour, passion, passé, cynisme des agences spatiales et communication contrôlée, tout cela se percute dans un texte très touchant devant lequel il est bien difficile de rester insensible. Un Prix Hugo bien mérité donc, pour un texte remarquable.
Allez, quand même, côté cohérence, on « s’amusera » à constater que ce texte, publié en 2013, fait référence à la NASA, alors que les textes ultérieurs (notamment dans ce recueil « L’expérience Phobos », écrit en 2018, et les romans suivants) mentionnent plutôt l’IAC (International Aerospace Coalition) puisque le programme spatial, boosté par la chute de la météorite, est un programme international. La NASA n’existe donc pas en tant que tel dans cet univers uchronique (et n’est donc jamais nommée si ce n’est « par erreur » rétrospectivement dans cette nouvelle). De même, concernant le crash de la fusée Orion 27, élément important pour un personnage de la nouvelle, on apprend que Nathaniel ne travaillait pas sur ce lancement, occupé qu’il était par la première expédition martienne. Là encore, ça ne correspond pas avec ce qui est dit dans le roman « Vers les étoiles », puisqu’à cette époque le roman nous montre que le programme spatial était partagé entre la construction et le ravitaillement d’une plateforme orbitale et la future expédition lunaire. Pas de Mars dans l’équation, du moins pas pour le moment…
Peut-être faudrait-il quelques légères retouches ici ou là pour régler les quelques problèmes de cohérence interne au cycle (les nécessités narratives de ce qui est devenu une série de textes, plusieurs années après l’écriture de la nouvelle « La Lady Astronaute de Mars », laissant apparaître quelques failles non anticipées), mais en tout cas ce recueil « Lady Astronaute », qui vaut largement plus pour la dernière nouvelle que pour les autres textes, reste une belle introduction à une série marquante de la SF uchronique de ces dernières années, donnant qui plus est aux femmes le premier rôle (nettement plus important que dans l’histoire réelle) dans un secteur (la conquête spatiale) où elles ont trop longtemps été laissées dans l’ombre.
Lire aussi l’avis de Lhisbei, Anne-Laure, Lune, Cédric, Xapur, Célindanaé, Yogo, Nicolas…
Chronique réalisée dans le cadre du challenge « Summer Star Wars – Andor » de Lhisbei.
Oh le beau « cadeau empoisonné » cette nomination de « Sur la lune ». Heureusement que tu y trouves du positif. En tout cas je te félicite pour ton abnégation et ton dévouement pour le Prix PSF. ^^
Cadeau empoisonné si les textes étaient bof mais ce n’est pas le cas. Donc c’est plutôt sympa en fait, même si le timing est limité. 😀
Merci ! 😉
Bien vu les petites failles… le lecteur lambda (ou beta) que je suis n’avait rien vu !
La nouvelle éponyme est juste merveilleuse. Ayant lu le recueil avant les romans, j’ai trouvé la première nouvelle frappante et cela m’a apporté un point de vue différent sur le premier livre.
Petites pétouilles un peu gênantes mais au fond rien de bien méchant, surtout qu’il faut vraiment s’y pencher et dans l’idéal lire les deux livres l’un immédiatement à la suite de l’autre (ce que j’ai fait, comme toi) pour les repérer (sauf que pas toi… 😀 ).
La première nouvelle est intéressante puisqu’elle éclaire les évènements de manière différente quand on sait le pourquoi du comment. Mais il lui manque quand même de réelles conséquences (au-delà de la catastrophe en elle-même bien sûr), des réflexions sur la responsabilité, etc, pour lui donner une vraie incidence. Là, on a juste le texte qui te dit ce qui s’est passé, mais aucun personnage n’est au courant donc il n’y a pas d’impact (haha !) narratif. Mais bon, là encore, je pinaille… 😉
Chouette que tu aies aimé cette lecture de rattrapage! Et oui, belle abnégation! Mais je comprends le besoin de commencer par le début.
Il faut dire que ça se lit facilement et que les romans, desquels je parlerai bientôt, sont très sympas. Ça aide. 😉
On sent ta souffrance
Même ressenti globalement, la nouvelle qui donne son titre au recueil justifie à elle-seule cette lecture, le reste est plus anecdotique.
La souffrance peut aussi être source de plaisir, n’est-ce pas… 😀
Mais oui, nous sommes d’accord sur le contenu.