Le pays sans lune, de Simon Jimenez
Quatrième de couverture :
Dans le Vieux Pays, le peuple souffre sous la domination du Trône de la Lune. L’Empereur et ses fils monstrueux – les trois Terreurs – saignent la terre et oppriment leurs sujets grâce aux fantastiques pouvoirs qu’ils ont hérités de la divinité enfermée sous leur palais. Mais aucune divinité ne peut être contenue éternellement.
Avec l’aide de Jun, un soldat brisé par son passé, et de Keema, un paria qui se bat pour son avenir, Elle s’échappe de Sa prison royale. Et tous trois s’embarquent dans une quête de vengeance et de liberté, pour eux-mêmes mais aussi pour tous ceux qui souffrent sous le joug du Trône de la Lune.
Simon Jimenez s’est fait connaître du public avec « Cantique pour les étoiles », un space opera intimiste salué par la critique. Entre récit épique, poésie et tragédie antique, « Le pays sans lune », son deuxième roman, est une oeuvre d’une ambition rare sur laquelle planent les ombres de Roger Zelazny et Gene Wolfe.
La lance transperce l’eau
C’est amusant les comparaisons en quatrième de couverture. Risqué aussi, à double tranchant si la comparaison est plus commerciale que littérairement pertinente. Concernant Simon Jimenez, la quatrième de couverture de son premier roman citait David Mitchell, et c’est vrai qu’il y avait un petit quelque chose. Mais là, attention, le nom de Roger Zelazny est lâché. Et ça ne rigole pas car Roger Zelazny fait partie de mes auteurs cultes parmi les cultes. Zelazny, l’homme qui jouait avec le mythe du surhomme, les mythologies, l’homme à l’immense talent stylistique (pas toujours bien rendu par des traductions parfois bien de leur époque malheureusement…)… Jimenez se montre-t-il à la hauteur, alors qu’il se dirige vers le genre de la fantasy avec ce « Pays sans lune » après avoir exploré le space opera précédemment ?
Ce qui frappe immédiatement, quand on commence à lire le roman, c’est le sentiment d’être un peu perdu. La narration alterne entre plusieurs modes (à la première, deuxième ou troisième personne), les chapitres (si tant est qu’on puisse les appeler ainsi…) sont extrêmement longs, seulement entrecoupés de nombreux exergues qui font partie intégrante de la trame narrative, interventions inopinées de personnages de passage dont les pensées s’inscrivent en italique, etc… Le cocktail est étonnant mais la sauce prend pourtant très rapidement, grâce au style très riche et très évocateur de l’auteur (les phrases sont belles, ciselées comme des tableaux de calligraphie, merveilleusement rendue par la belle traduction de Patrick Dechesne), couplé à une ambiance d’inspiration asiatique qui, si elle n’est plus de nos jours tout à fait originale, reste très bien rendue.
On pourrait penser que cette exubérance stylistique n’est que de l’esbrouffe, mais plus on avance dans la lecture, plus les choses font sens. Rien n’est en trop finalement, tout s’agence parfaitement, et on s’aperçoit que le fond finit par parfaitement s’accorder à la forme. C’est évidemment tant mieux, d’autant qu’il faut bien avouer que l’intrigue, dépouillée de ses oripeaux stylistiques, reste relativement classique : une histoire de vengeance divine envers un pouvoir totalitaire incarné par l’Empereur du Trône de la Lune, à laquelle vont s’associer deux personnages (Jun et Keema) qu’au départ tout oppose, tout ce petit monde devant traverser le Vieux Pays pour en finir définitivement avec ce Trône de la Lune dictatorial et sanguinaire et rejoindre la mer, pour une raison bien particulière.
Mais qu’on ne s’y trompe pas, s’en tenir à ça serait outrageusement diminuer la portée du roman. Car il faudrait parler de la divinité vengeresse en question, comprendre ses motivations, ses origines, les fondations sur lesquelles repose le Trône de la Lune, le passé de Jun et Keema, etc… Intrigue classique certes, mais très riche malgré tout, et qui participe parfaitement à faire naître dans l’esprit du lecteur une impression onirique, une ambiance quasi légendaire que l’on retrouve dans bien des récits asiatiques. Et plus encore quand y ajoute une dimension « irréelle » avec ce Théâtre Inversé, lieu situé hors du temps et de l’espace dans lequel se joue une pièce racontant l’histoire d’une vengeance divine et de la fin d’un Empire (brisant le quatrième mur en s’adressant au lecteur avec une narration à la deuxième personne), histoire que racontait si souvent, dans une dimension cette fois contemporaine mais non située géographiquement, la lola du garçon qui s’est retrouvé projeté dans ce théâtre…
Et Zelazny là dedans ? Hé bien il est bien présent, sur plusieurs plans. L’emphase stylistique de Jimenez (avec abondance de majuscules, ruptures de tons régulières, etc…) fait immédiatement penser aux romans de Zelazny les plus exubérants sur ce plan, je pense notamment à « Seigneur de lumière » d’une part et surtout à l’imparfait mais pourtant fabuleux « Royaumes d’ombre et de lumière » où l’auteur faisait feu de tout bois. La comparaison avec « Seigneur de lumière », lui aussi d’ailleurs inspiré de l’Asie (essentiellement côté hindou cette fois, et dans le genre SF), peut se faire également sur d’autres points que je ne dévoilerai pas pour ne rien déflorer de l’intrigue, mais le fameux mythe du surhomme (ou de l’homme divin si je puis dire) est bel et bien présent, en plus d’un côté mythologique qui, en prenant une certaine substance, n’est plus si mythologique que cela. La comparaison zelaznyenne n’est donc pas usurpée.
Simon Jimenez mène son récit de manière exemplaire, mêlant poésie et moments dramatiques, évocations mythologiques et moments plus triviaux, amour le plus pur à la violence la plus abjecte. Oui, « Le pays sans lune » est d’une beauté à couper le souffle, mais il est aussi parsemé de cruauté. Car si l’amour se fait jour, il faudra pour y arriver en payer le prix… Et à mesure que la légende se fait vérité, puis redevient légende, c’est toute la notion du temps qui passe, et de notre passé, qu’interroge Simon Jimenez. D’où venons-nous ? Que gardons-nous de notre passé, spirituellement aussi bien que matériellement ?…
Grand roman que ce « Pays sans lune » donc, où la légende côtoie le quotidien, où les aspects les plus « fantasy » (homme-loup, tortues qui communiquent par la pensée à travers le pays, esprit de la rivière, divinités, etc…) permettent des instants épiques, un roman qui vaut certes plus pour son mode narratif parfaitement maîtrisé et qui fait sens (on n’est donc pas du tout dans l’exercice de style m’as-tu-vu) que pour son intrigue finalement relativement classique, d’autant qu’il ne s’épargne pas non plus certaines longueurs. Il n’empêche que le voyage reste d’une beauté à couper le souffle, la puissance évocatrice de Simon Jimenez impressionne, soutenue par la superbe traduction de Patrick Dechesne, l’ambiance développée tout au long du récit emporte le lecteur, tout autant que ses beaux personnages, qu’ils soient humains et les deux pieds sur terre, divins et faillibles, ou simples personnages secondaires de passage, même brefs et le temps d’une simple phrase. C’est beau, c’est poétique et tout concourt donc à faire de ce « Pays sans lune » un roman marquant et de Simon Jimenez un auteur qu’il va falloir suivre de très très près.
Mais quand même, je me dois de signaler qu’au chapitre éditorial, il y aurait des choses à redire… Tout d’abord, on pourra regretter un titre un peu passe-partout (loin du tout à fait dans le ton du livre et signifiant « The spear cuts through water » traduit par « La lance transperce l’eau » dans le cours du texte par Patrick Dechesne). Ensuite, une couverture très lambda qui n’arrive pas à la cheville de la belle oeuvre colorée de Simon Padres sur le roman en VO, et surtout, SURTOUT !! l’incompréhensible absence de la carte du Vieux Pays (dont la conception ainsi que le point de vue de Jimenez sur les cartes est détaillé dans cet article), qui est bien plus qu’une carte mais plutôt une magnifique oeuvre d’art signée Chris Panatier, qui est elle aussi absolument à propos puisqu’elle reprend tous les éléments du récit pour former une superbe fresque. Quel dommage de ne pas la proposer au public francophone, même si j’imagine que pour se faire il aurait fallu hausser un peu le standing de fabrication du livre (sans parler des droits), et donc le prix. Mais bon sang, elle est tellement belle que je ne peux m’empêcher de la partager ci-dessous.
De menues critiques au fond, puisque le fond justement, lui, est toujours là, et toujours superbe. Mais ces petits points éditoriaux ne feront pas ressortir le roman sur un étal de librairie. Et c’est bien dommage alors que le texte de Simon Jimenez est magnifique et mérite vraiment d’être mis en avant, de toutes les manières possibles.
Lire aussi les avis de Cédric, Nicolas, EleenanOu.
Ce qui est « marrant », c’est que le titre VO n’est pas repris en VF mais qu’il est tout de même évoqué via la couverture.
C’est vrai qu’il a tout visuellement pour paraître lambda et passer inaperçu. Je me note de passer outre ça, ça m’intrigue ce que tu dis de la forme qui s’intègre parfaitement bien.
Qu’est-ce qu’il est observateur ce Baroona ! 😉
Oui, il faut passer outre sa sobriété éditoriale (titre et couverture) pour découvrir ce texte absolument superbe. Je pense vraiment qu’il te plairait. 😉
Je crois que Cantique pour les étoiles est toujours dans ma wishlist, je finirais bien par le lire un jour, lui ou celui-là…
Quelle tristesse pour le titre, c’est beaucoup moins vendeur, je ne me serais pas intéressée à ce livre sans les retours positifs que je lis ici et ailleurs…
« Cantique pour les étoiles » était déjà très bien, là on est encore un ton au-dessus (mais que ça ne t’empêche pas de le lire hein ! 😀 ). Ça promet pour la suite de la carrière de l’auteur. J’ai déjà hâte de voir ce qu’il va proposer par la suite.
Oui, dommage pour le titre, un choix éditorial qui peut se comprendre mais qui pour moi « invisibilise » un peu le roman…
Merci pour la chronique : le sujet donne envie, et encore plus à l’évocation de Zelazny,
Evocation justifiée en plus.
Il faut lire ce roman. 😉
Ça a l’air très bien.
(Moi aussi, je préfère la couverture d’origine. Sauf que… je trouve qu’elle fait young adult. Et vu ce que tu dis du roman, ce n’est pas du young adult. Du coup, ça me fait un peu bizarre. Mais bon, c’est éminemment subjectif. Et je n’ai pas lu le roman, alors qui suis-je pour trouver ça bizarre? ^^)
Tu as tout à fait raison, la couverture VO est à la fois plus belle et un peu « trompeuse » malgré tout sur la cible potentielle (j’ai hésité à le signaler dans mon article d’ailleurs…). C’est compliqué la vie d’un éditeur hein… 😀 Mais bon, je regrette quand même qu’une couverture un peu plus attirante n’ait pas été trouvée pour la VF. C’est trop sobre à mon goût, pas assez tape à l’oeil, alors qu’il faut absolument que ce roman trouve son public, il faut qu’il « claque » sur les étals des librairies, et avec cette couv’ ce n’est malheureusement pas le cas.
Effectivement ce roman est un peu passé sous les radars. Je ne suis pas certaine d’être convaincue mais je le laisse dans mon coin de ma tête !
Arf, dommage, je ne peux pas faire mieux là. 😀
Mais si jamais tu t’y mets un jour, j’espère que tu seras aussi charmée que moi. 😉
Ah, c’était à l’époque où je n’intervenais plus ici. Bon, Zelazny c’est vendeur (« Seigneur » est-il indou ou bouddhiste au final ?) et c’est vrai que la couv est planplan au possible. Et tu n’as pas reproduit la dernière image, tu l’as au mieux partagée. Allez zou, commandé en occase.
Il me semble que « Seigneur de lumière », au vu des divinités qui y apparaissent, est plus sur sur l’hindouisme que le bouddhisme. 😉
Bonne lecture ! 😉
Tout à fait 🙂 C’était pour faire la blague puisque le héros joue la carte bouddhiste pour contrer les hindouistes.
[…] les avis de Reflets de mes lectures, Le Dragon Galactique, Quoi de neuf sur ma pile, Lorhkan et les mauvais genres, La grande bibliothèque […]
[…] avis : Chut maman lit – Lorhkan – RSF blog – Le Dragon Galactique – Quoi de neuf sur ma pile […]