J.R.R. Tolkien, auteur du siècle, de Thomas Alan Shippey
Quatrième de couverture :
Ecrit par le meilleur spécialiste de J.R.R. Tolkien, cet ouvrage présente toute l’oeuvre de Tolkien, depuis « Le Hobbit » jusqu’au « Seigneur des Anneaux », en passant par « Le Silmarillion », mais aussi tous les contes (« Feuille, de Niggle »), les essais sur la littérature… avec un souci constant de pédagogie, mettant à la portée des profanes comme des amateurs de Tolkien les problématiques les plus complexes liées à la création d’un monde.
Comment peut-on écrire une mythologie ? Pourquoi les Hobbits semblent-ils si proches de nous ? Les méchants sont-ils vraiment mauvais ? Pourquoi « Le Seigneur des Anneaux », publié il y a soixante ans, nous paraît-il si actuel ? La clarté de Tom Shippey passe par un style enlevé, mais aussi humoristique, lorsqu’il s’en prend aux critiques jugeant l’oeuvre de Tolkien le plus souvent sans l’avoir lu. Il répond finalement à cette question : pourquoi la Fantasy et Tolkien dérangent-ils tant ? N’est-ce pas parce que le genre de la Fantasy parvient, mieux que d’autres, à parler au lecteur de son monde et de lui-même ?
Une étude très complète
« J.R.R. Tolkien, auteur du siècle » est donc un épais volume (quasi 500 pages) qui se propose d’étudier et d’analyser l’ensemble de l’œuvre de Tolkien, sous différents aspects. Son titre est transparent et témoigne de l’estime que porte Shippey aux textes de Tolkien autant qu’à l’homme lui-même. Six chapitres composent cet essai, entourés d’une préface et d’une postface.
La préface commence d’ailleurs de manière assez difficile puisque Shippey y parle du « fantastique » (fantastic en VO) comme du mode littéraire dominant du XXe siècle. « Fantastic », dans lequel Shippey inclut la fantasy, la SF, l’horreur, les contes de fées, les histoires de fantômes et même, de manière plus large encore, la romance médiévale, est un terme qui peut s’entendre en VO (encore qu’il faille sans doute plutôt utiliser le terme « speculative fiction »), mais le traduire simplement en français par « fantastique », mot qui désigne un genre très particulier, c’est une erreur grossière. « Littératures de l’imaginaire », un terme déjà existant en 2016, aurait été plus adéquat.
Quant à l’assertion disant que ces littératures sont le mode dominant du XXe siècle, c’est un avis purement personnel plutôt qu’un fait réellement avéré. Mais passons. Le reste de la préface ne manque d’ailleurs pas d’intérêt, abordant mythologie, philologie, sources et références des textes de Tolkien, et réception de son œuvre par le public et la critique, des éléments largement abordés dans les chapitres suivants, qui constituent le cœur de l’essai de Shippey (un chapitre pour « Le Hobbit », trois pour « Le Seigneur des Anneaux », un pour « Le Silmarillion » et un pour les gouverner tous et dans les ténèbres les lier pour les œuvres courtes de Tolkien).
Contrairement à Tom Shippey, je n’ai pas l’intention de faire un compte-rendu détaillé et bien rangé, chapitre par chapitre. Alors allons-y plutôt en vrac. Shippey n’a de cesse de nous montrer, et c’est bien normal puisque l’essentiel de l’œuvre de Tolkien est basé sur cet élément, comment l’auteur anglais s’abreuve aux sources anciennes (scandinaves et anglo-saxonnes (vieil anglais) notamment) pour créer sa Terre du Milieu : il y trouve des idées, des noms, des morceaux d’intrigue (le jeu d’énigmes entre Bilbo et Gollum), sans jamais laisser son lecteur sur le bas-côté, même si celui-ci peut ne pas avoir conscience des références (et c’est notamment le cas avec « Le Hobbit », ouvrage destiné au départ à la jeunesse).
Je me permets de m’arrêter sur le nom d’Eärendil car son exemple est emblématique. Tolkien a lu un poème en vieil anglais, intitulé (à notre époque moderne) « Christ I », et dont les vers commencent par « Eala Earendel… ». Il se trouve que ce poème est une traduction d’une antienne latine (un chant liturgique) qui fait référence à Saint Jean-Baptiste et qui présente des personnes en détresse attendant la lumière qui les sortira des ténèbres. Le nom Earendel a un équivalent en vieux norrois, Aurvandil, qui figure dans « L’Edda en prose » : il s’agit d’un compagnon de Thor qui, lors d’une de leurs aventures, perd un doigt de pied, gelé, qui finit coupé en lancé dans le ciel pour former une nouvelle étoile. Lumière, étoile… Quand on connaît l’histoire imaginée par Tolkien pour le personnage d’Eärendil (sa vie, sa destinée, l’espoir qu’il représente et de quelle manière il le représente, oui lisez « Le Silmarillion »), les références prennent tout leur sens, avec même les paroles (elfiques : « Aiya Eärendil Elenion Ancalima ! ») prononcées par Frodo dans l’antre d’Araigne lorsqu’il sort la fiole de Galadriel (qui contient la lumière d’Eärendil) qui sont presque identiques à la traduction du premier vers du poème en vieil anglais… On a donc un chant liturgique latin qui devient un poème en vieil anglais qui, lui-même, devient un cri d’espoir elfique lancé dans les ténèbres. L’intention littéraire de Tolkien apparaît alors bien vite : il s’agit par exemple de « combler un vide » entre littérature ancienne et moderne, en faisant de nombreuses références à des textes ou des noms (de personnages ou de lieux) anciens.
De même, concernant plus particulièrement « Le Silmarillion », plutôt que de parler d’intention, on pourrait presque parler d’ambition au vu du but qu’il s’était fixé. On connait en effet son envie de donner une mythologie à l’Angleterre, et « Le Silmarillion » est une forme d’incarnation de cette ambition, cette œuvre étant elle-même basée sur des poèmes ou chants antiques (fictionnels bien sûr).
« Le Silmarillion » devient ainsi, d’après les mots de Christopher Tolkien, un « catalogue de légendes composé à la fin de Troisième Âge de la Terre du Milieu », un document historique (ou écrit comme tel) qui résume leur contenu, une oeuvre nouvelle basée sur une tradition perdue (ou presque) faite d’anciens poèmes composés à l’époque des évènements (dont certains sont nommés dans « Le Silmarillion » : « Aldudénië », « Noldolantë », « Lai de Leithian », ce dernier ayant carrément été écrit par Tolkien plutôt que seulement mentionné), une manière d’utiliser des sources anciennes pour « créer de nouvelles choses », tout en assurant réalisme narratif et cohérence de son monde, sans perdre de vue les sources historiques ou mythologiques sur lesquelles sont basées ces « nouvelles choses ».
Les différentes versions des textes de Tolkien (écrits sur une soixantaine d’années, depuis avant la Grande Guerre jusqu’à sa mort en 1973, et que l’on retrouve dans les douze volumes de « L’Histoire de la Terre du Milieu » édités par son fils Christopher, dont seul les cinq premiers sont pour le moment disponibles en français) prennent donc une substance qui va bien au-delà d’un simple brouillon puisqu’elles sont ainsi réintégrées dans le « Légendaire » en tant que récits antiques d’anciennes traditions, qui ont servi à constituer cette « oeuvre nouvelle » qu’est « Le Silmarillion ». Vertigineusement ambitieux, et littérairement absolument brillant.
Tout cela ne représente que quelques petits morceaux d’analyse, Tom Shippey va beaucoup plus loin, je pourrais donc aussi parler de l’anachronisme assumé des Hobbits en Terre du Milieu, servant à simplifier la venue du lecteur moderne vers un monde archaïque et vaste qui sait garder ses secrets sans toutefois nier leur existence (encore une fois « Le Silmarillion », le fond sur lequel s’appuie tout le reste de l’œuvre), des tâtonnements de Tolkien pour donner une suite au « Hobbit » (que l’on ressent au début du « Seigneur des Anneaux »), des liens entre la géographie de la Terre du Milieu (et d’autres œuvres comme « Le fermier Gilles de Ham ») et la nôtre (et surtout celle à proximité des lieux d’habitation du Professeur), du délicat équilibre d’un chapitre extrêmement long et complexe comme « Le Conseil d’Elrond » (dans lequel il ne se passe rien puisque les personnages sont assis et parlent, alors que les intervenants, directs ou dont les propos sont rapportés, y sont nombreux et parfois inconnus du lecteur) dans « Le Seigneur des Anneaux » et qui finit par donner un but au roman, une « anti-quête » visant à détruire l’Anneau, des différents niveaux de langues utilisés par Tolkien, de sa technique d’écriture faite de récits imbriqués et d’entrelacement formant différents arcs narratifs qui ne se déroulent jamais en parfaite synchronisation, du rapport de Tolkien (fervent catholique) à la chrétienté alors que la religion semble absente de ses textes, de philologie bien sûr puisque Tom Shippey est lui-même philologue, de langues, des œuvres courtes de Tolkien, largement analysées sur le plan de l’autobiographie, voire de l’allégorie (une forme que Tolkien détestait, mais qui pourtant s’applique parfois à son œuvre), de la réception de son œuvre par la critique (que Shippey s’amuse, parfois avec un brin de mauvaise foi il faut bien le dire, à démonter), et de bien d’autres choses encore.
Mais ce serait inutilement encombrer un article déjà bien long, sur des sujets que Tom Shippey aborde de bien meilleure manière que moi. Car oui, si l’ouvrage, dense, érudit et très sourcé (les références bibliographiques sont très nombreuses), demande parfois un peu de concentration, il reste toujours intelligible et agréable à lire. Passionnant pour qui souhaite en savoir plus sur J.R.R. Tolkien, sur son œuvre et sa construction.
J’ai trop d’essais à lire dans ma Pal, mais je note quand même, merci ^^ Ca a l’air très intéressant.
Oui ça l’est !
Et je comprends, en romans comme en d’autres choses, on est tous débordés… 😀
Soupir d’extase total. Quel homme, quel génie. 🙂 Il faut teeeellllllleeeemment que je relise Tolkien, ouin ouin. Et dire que j’ai les douze tomes de l’Histoire de la Terre-du-Milieu depuis des annnnnées et que je n’y touche paaaas c’est tellllllleeeeemeeeeent dramatique.
Je n’ai pas encore osé toucher à « L’Histoire de la Terre du Milieu » je t’avoue, un peu effrayé par l’aspect très « exégèse » de la chose. Et aussi par certaines redites entre chaque volume. Et aussi par les longs poèmes. 😀
Bref, ça fait beaucoup mais je crois que je finirai bien par céder. Peut-être même dans pas très longtemps, qui sait ?… 😀
Si un jour tu veux organiser une lecture commune sur douze ans (un tome par an, LOL), n’hésite pas… [insérer un émoji la tête à la renverse]
Ho et bien écoute, à la limite ça ne me dérangerait pas… 😀 Déjà ça laisse du temps pour lire autre chose, ensuite ça laisse du temps à Bourgois de traduire les volumes manquants (parce que je ne me vois pas lire ça en anglais…), et puis justement les deux premiers volumes ressortent au printemps en grand format avec la nouvelle charte graphique de l’éditeur, histoire d’espérer une collection « unifiée »… 😉
Ooooooh!!! Trop fort. Excellente stratégie de la part de l’éditeur. On en reparle quand tu les achètes. 🙂 🙂 🙂
😀 😀 😀
Ok, je te préviendrai. 😉
Je l’ai lu aussi, j’ai tout oublié mais j’ai noté sur mon blog que c’était intéressant à part le début
Vu ton enthousiasme je pense que ça te plairait L’Histoire de la Terre du Milieu, j’ai hâte qu’ils sortent la suite d’ailleurs histoire d’avoir un peu d’inédit à me mettre sous le coude (je commence à en avoir ras la casquette de Turin et de Beren )
Je crois que je vais profiter de la ressortie au printemps des deux premiers volumes de L’Histoire de la Terre du Milieu pour m’y mettre vraiment… 😉 Et continuer à acheter au fil du temps les probables autres ressorties voire nouveautés, comme en fin d’année avec un volume inédit.
Mais c’est vrai que revenir constamment sur les récits de Turin et Beren, ça me fait un peu peur… 😀