Les chants de Nüying, de Émilie Querbalec

Une planète lointaine, des « chants » enregistrés par une sonde, un vaisseau spatial, une voyage de plus de vingt ans. Tels sont les éléments sur lesquels se base le nouveau d’Emilie Querbalec, « Les chants de Nüying ». Des chemins pour la plupart déjà largement arpentés par la littérature SF mais que l’autrice a décidé de reprendre à sa manière. Une manière qui m’a personnellement beaucoup plu.

 

Quatrième de couverture :

La planète Nüying, située à vingt-quatre années-lumière du Système solaire, possède de nombreux traits communs avec la Terre d’il y a trois milliards d’années. On y trouve de l’eau à l’état liquide. Son activité volcanique est importante. Ses fonds marins sont parcourus de failles et comportent quantités de sources hydrothermales. Elle possède une magnétosphère et une atmosphère dense, protectrice. Tout cela en fait une bonne candidate pour héberger la vie.

La sonde Mariner a transmis des enregistrements sonores de Nüying : des chants qui évoquent par analogie ceux des baleines.

Quand elle était enfant, Brume a entendu cet appel. Désormais adulte, spécialisée dans le domaine de la bioacoustique marine, elle s’apprête à participer à la plus grande aventure dans laquelle se soit jamais lancée l’Humanité : rejoindre Nüying au terme d’un voyage spatial de vingt-sept années.

Que va-t-elle découvrir là-bas ?

Une civilisation extraterrestre ou une remise en cause totale de ses certitudes ?

 

Le vrai voyageur ne sait pas où il va

Basé sur des éléments uchroniques permettant de mettre la culture asiatique au centre du jeu international, et ce depuis des siècles (il est dit dans le roman que l’héliocentrisme n’est plus le fait de Copernic mais du sage Fanxu, que Chen Guo a posé le premier le pied sur la Lune (en prononçant les mêmes mots qu’Armstrong…), en plus de quelques autres éléments dispersés dans le récit), le roman se décompose en trois parties, orientées classiquement autour de ce voyage spatial en direction de la planète Nüying (qui orbite autour de l’étoile Shun, des noms qui ne doivent rien au hasard), sorte de lointaine inconnue qui a attiré l’attention grâce à l’enregistrement de ce qui fait penser à des « chants » sous-marins, et que l’on pourrait simplement résumer en : avant – pendant – après, le tout daté malicieusement autour du calendrier bouddhiste (et le lecteur de constater que le monde inventé par Emilie Querbalec est nettement en avance sur le nôtre…).

Une narration simple et efficace, qui met bien les choses en place dans sa première partie, notamment en s’intéressant au personnage central du texte, la bioacousticienne Brume. Sa jeunesse, la préparation du voyage, certaines des autres personnes présentes durant le futur voyage : cette première partie est clairement introductive, aussi bien sur le plan narratif que sur le plan des concepts qui seront amenés à jouer un rôle majeur dans les deux parties suivantes (notamment la RNA, Réincarnation Numériquement Assistée, sorte d’immortalité atteinte grâce au transfert de la conscience d’un corps vers un autre et toutes les questions afférentes sur l’humain, ou bien l’ordre de l’Eveil Vrai, un « dérivé » de la religion bouddhiste). Et surtout, ça se lit avec un réel plaisir.

C’est ensuite que les choses prennent un tour inattendu. D’une part parce qu’Emilie Querbalec manie l’ellipse de belle façon. Chronologiquement d’abord, avec des sauts de plusieurs années (25 ans entre les parties 1 et 2), ensuite avec les personnages (Brume passe totalement au second plan, pour dire le moins…), et puis carrément sur le plan de l’action puisque les éléments « explosifs » (certes relativement attendus dès lors que l’on place un concept religieux important dans un vaisseau spatial au long cours, le principe du fusil de Tchekhov étant ici parfaitement respecté), les plus frontalement signifiants, sont éludés pour mieux mettre en avant leurs conséquences.

Une chose est sûre, c’est que les lecteurs qui n’apprécient pas les non-dits, les zones de mystère au sein d’un roman, en seront pour leurs frais. Oui, il reste des zones d’ombre (bien qu’avec quelques indices on puisse imaginer ce que l’autrice a voulu mettre en scène et j’avoue que c’est fait de manière stimulante intellectuellement, j’aime beaucoup cette façon de faire, « ni trop ni trop peu »). Le roman prend ainsi une tournure résolument anti-spectaculaire (y compris au niveau des personnages qui ne sont pas et ne jouent pas le rôle de super-héros), mais pour autant absolument pas anti-attrayante, bien au contraire, d’autant que cette seconde partie du roman a un petit (pas si petit que ça d’ailleurs) goût de cyberpunk qui n’est pas pour me déplaire.

Et puis la troisième partie revient sur les fondamentaux et les promesses délivrées au début, bien que les chemins pris par cette expédition spatiale ne soient pas de tout repos. Mais là encore, le spectaculaire, s’il est présent d’une certaine manière (dans un genre de sense of wonder extraterrestre parce que, bon sang, on n’est plus sur Terre quand même ! 😀 ), cède le pas à une sorte d’introspection glaciaire (que je ne peux m’empêcher de comparer à la fuite en avant à travers la glace des deux personnages principaux du roman « La main gauche de la nuit » d’Ursula Le Guin, une autrice qui n’est sans doute pas pour rien dans l’approche de la SF qu’a Emilie Querbalec) où les longues périodes d’attente se succèdent avant qu’enfin des choses se dévoilent… mais pas complètement ! L’ultime chapitre (« Coda ») du roman donne quelques pistes, à rebours, sur tout ce qu’on a lu jusqu’ici, et sur les mystères qui demeurent. Au lecteur d’en faire son interprétation.

Avec tout ça, il n’est pas aberrant de situer Emilie Querbalec au carrefour de la SF « dure » (hard-SF) et la SF « soft », plus axée sur l’ambiance, les personnages ou les sciences plus « sociales » (même si la hard-SF n’est pas forcément dépourvue de ces éléments), ou en tout cas dans un contexte relevant moins de la science dite dure justement. Un équilibre pas forcément évident à trouver mais que la romancière semble manier naturellement, comme c’était déjà le cas dans son roman précédent, « Quitter les Monts d’Automne ».

A la lecture des « Chant de Nüying », on pourrait dire qu’Emilie Querbalec a bien fait ses gammes, de « Destination ténèbres » de Frank M. Robinson à « Aurora » de Kim Stanley Robinson (pour moi le roman indépassable sur le voyage stellaire vers une nouvelle planète à coloniser, qui lui aussi joue sur l’aspect social autant que hard-SF, un roman qui partage d’ailleurs bien des points communs avec « Les chants de Nüying ») en passant côté français par « Arca » de Romain Benassaya, mais ce ne serait pas lui faire justice. Car elle a su donner à son roman un aspect tout à fait personnel, alliant un contexte bien particulier à un mélange des genres savoureux, couplé à des thématiques pertinentes, le tout mené sur un mode narratif finalement assez osé mais surtout très réussi, avec une plume sensible toujours agréable. Une recette bien à elle qui, après le déjà très bon « Quitter les Monts d’Automne », place clairement Emilie Querbalec dans une position stratégique et importante sur l’échiquier des auteurs de SF francophones. Vivement la suite !

 

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