A dos de crocodile, de Greg Egan
Quatrième de couverture :
Les Indifférents sont une énigme. Nichés dans le bulbe galactique central, ils refusent tout contact avec la méta-civilisation de l’Amalgame et ses milliers de cultures extraterrestres ou posthumaines. Les messages qui leur sont adressés demeurent sans réponse, les sondes ignorées, réexpédiées. Un mystère que Leila et Jasim, comme bien d’autres avant eux, font vœu de percer, une entreprise grandiose, le point d’orgue d’une existence tissée de merveilles. Alors seulement, après dix mille trois cent neuf années de vie commune, leur restera le dernier des partages, l’ultime voyage – enfin.
Loin dans l’espace et le temps…
Il y des récits qui vont envoie loin loin loin, à sur des distances et des intervalles de temps titanesques. Comme Ken Liu avec « Sept anniversaires », Romain Lucazeau avec « La nuit du faune » , Peter Watts avec « Eriophora » ou bien Arthur C. Clarke avec, d’une certaine manière, « 2001 : l’odyssée de l’espace ». Il y en a évidemment bien d’autres, Greg Egan étant bien placé dans le lot. Et « A dos de crocodile » en fait incontestablement partie. Avec des personnages en couple depuis 10 309 ans qui, avant de mourir (de leur propre chef), décident de tenter un dernier coup d’éclat, du genre de ceux qui font que la vie, aussi longue soit-elle, vaut la peine d’être vécue et qui, pour cela, choisissent de tenter de communiquer avec les Indifférents, ceux qui sont censés vivre dans le bulbe galactique, ceux qui ne se sont jamais manifestés mais qui ont systématiquement renvoyé à leurs expéditeurs les milliards de sondes cherchant à découvrir ce qui s’y passe, comment pourrait-il en être autrement ?
Leila et Jasim font partie de l’Amalgame, une « méta-civilisation » regroupant des milliers d’espèces différentes dans tout le disque de la galaxie, où tous vivent en harmonie et en paix, toujours prêts à se rendre service les uns les autres, parfaitement et naturellement bienveillants. Une sortie d’utopie à l’échelle galactique, plutôt rare en SF (on pense tout de même évidemment à Becky Chambers). Mais quand on est pour ainsi dire immortels, au gré des incarnations et des numérisations, même avec la galaxie à explorer, le temps est long (surtout vers la fin… 😉 ). Et donc, le couple souhaite vivre une dernière apothéose personnelle qui, si elle aboutit, pourrait bien mener à une nouvelle étape dans le grand cycle des civilisations.
Je ne vous fais pas un dessin, avec ce qui est dit plus haut, à base de voyages désincarnés sur des faisceaux de données et de construction d’observatoire par la rencontre de trois objets spatialement éloignés et issus de civilisations différentes, en y ajoutant le fait que l’univers de l’Amalgame respecte les limites de la physique (il est donc impossible de voyager plus vite que la lumière), vous imaginez bien qu’on va voir du pays, sur des distances et des temps incommensurables. Le sense of wonder, ce vertige absolu devant des phénomènes qui s’approchent des limites de la physique et qui confrontent la petitesse de nos vies humaines à des grandeurs absolument inaccessibles, est évidemment de la partie, et pas qu’un peu. Je me suis retrouvé un peu comme le gamin qui rêvait devant ses livres d’astronomie étant petit (et qui le fait toujours aujourd’hui).
Il y a dans « A dos de crocodile », Greg Egan oblige, quelques explications un peu techniques qui, même si elles participent pleinement à ce vertige typiquement (hard-)SF, peuvent fort bien être mises de côté sans que cela ne nuise vraiment au récit. En revanche, et c’est plutôt rare chez l’auteur, il y a aussi une vraie émotion dans les personnages de Leila et Jasim, liés par un amour indéfectible qu’un temps infini n’est pas parvenu à faner. Ce couple est un bijou de poésie et d’amour, et la relation touchante (qui n’évite pas quelques remous) qui les unit alliée à ce vertige SF, cette intimité sur le plan micro couplée à cette démesure sur le plan macro, font de cette novella une véritable merveille. On en sort à la fois sonné sur le plan (science) physique et touché sur le plan émotionnel.
C’est donc beau et enivrant, un mélange quasi parfait entre petite et grande échelle. Et même si la fin peut décevoir (c’est le cas d’un certain nombre de lecteurs… Décidemment, après « Un château sous la mer », Greg Egan en laisse plus d’un sur le carreau avec ses conclusions…), je l’ai personnellement pleinement appréciée telle qu’elle est : une manière de montrer qu’aussi étendue puisse être la connaissance d’une civilisation à l’échelle galactique, il restera toujours un peu d’inconnu quelque part. Une conclusion dans la droite lignée des meilleurs récits d’Arthur C. Clarke, et qui, là aussi, joue à fond sur le sense of wonder. Perso, j’adore.
Bref, vous l’aurez compris, je suis tombé amoureux de « A dos de crocodile » (traduit par Francis Lustman), un vertigineux cocktail, époustouflant et émouvant comme seule la SF sait en faire. Indispensable !
Lire aussi les avis de Lune, Vert, Aelinel, Célindanaé, Mureliane, Ombre Bones, Yogo, Ted, Soleil vert, Yossarian, Laird Fumble…
Chronique écrite dans le cadre du challenge « Summer Star Wars – Obi-Wan Kenobi », de Lhisbei.
« Et même si la fin peut décevoir » : tant qu’on comprend un minimum de quoi elle parle, ça reste une progression par rapport à « Un Château sous la mer »…
Je n’arrive pas à être vraiment hypé, mais devant l’enthousiasme général auquel tu participes, il faudra que je me force et que je me lance un jour.
Ah oui, cette fois c’est tout à fait compréhensible, l’éventuelle déception est ailleurs… 😉
Si tu es sensible à ce vertige lié à des notions dépendantes de la physique et impliquant des grandeurs incommensurables, tu peux foncer ! Moi j’adore, et là, en bonus, le coté émotionnel est bien présent. Venant de Egan, c’est suffisamment rare pour être mentionné. 😉
Je ne me rappelle pas avoir été déçue par la fin
Beaucoup aimé ce texte, mais j’adore ce genre d’histoire aux dimensions vertigineuses ^^
D’autres l’ont été il me semble, mais je suis comme toi : je l’ai trouvée tout à fait appropriée.
Et moi aussi ces histoires à des échelles totalement démesurées me fascinent toujours. Et là, on est largement servis ! 😉
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