Orient-extrême, anthologie 2021 du festival ImaJn’ère

Posted on 30 mai 2022
Des anthologies publiées par le festival ImaJn’ère, j’en étais resté aux opus 2015 (« Star Ouest », en demi-teinte) et 2016 (« Antiqu’idées », nettement plus consistant). Le temps a passé, qu’en est-il des anthologies récentes ? Le bon qualitatif pressenti avec l’édition 2016 est-il confirmé ? C’est ce que nous allons voir avec la version 2021.

 

Quatrième de couverture :

L’Orient, dans tout ce qu’il a d’extrême, réel ou supposé, l’Orient fantasmé, imaginé, revisité, à tort ou à raison, peut, certes, soulever des passions, des débats, des controverses, voire des incompréhensions.

La promotion de la littérature populaire a toujours été le moteur de l’association ImaJn’ère, en particulier avec la publication des anthologies thématiques qui invitent les auteurs à s’affranchir des codes, des idées reçues, parfois en les détournant, en les caricaturant… Bref ! En faisant preuve d’imagination et de diversité, sans tabous, mais avec l’exigence littéraire qu’on peut en attendre, quels que soient le style et le propos.

Pour cette onzième anthologie, nous ne dérogerons pas à la règle afin de vous offrir des nouvelles qui rassemblent, comme à notre habitude, auteurs professionnels et lauréats de l’appel à texte annuel.

« Orient-extrême » vous entraînera dans des aventures violentes et sombres, poétiques et humaines, avec, parfois, ce petit clin d’oeil, que nous affectionnons particulièrement, au monde que nous connaissons.

 

Une anthologie très Orient-ée

Il n’est pas toujours simple de parler d’une anthologie constituée de 14 nouvelles qui, même si elles sont liées par une thématique (relativement vaste pour le coup), ont été écrites par divers auteurs et autrices plus ou moins chevronnées (dont 5 lauréats de l’appel à texte d’ImaJn’ère, dans le domaine des littératures de l’imaginaire et du polar) et dont les styles et les approches sont forcément différents. Comme toujours en pareil cas, il y a des choses qui touchent le lecteur, d’autres moins.

L’anthologie a pour titre « Orient-extrême », il s’agit donc d’aller vers le continent asiatique, que cela soit géographiquement ou bien par l’inspiration. Et ça commence de manière forte avec « Je serai le plus beau pour aller chanter » de Eloïse Chanie (lauréate de l’appel à texte) qui nous emmène, dans les années 2050, dans les pas d’un célèbre groupe de K-Pop, Dark Moon. On y suit notamment deux des membres du groupe (dont la composition varie et est gérée par un manager qui sélectionne les membres les plus populaires, sans états d’âmes pour ceux qui se font évincés), Min-Woo et Tae-Hee dans cette jungle médiatique où tout est permis, même le plus extrême. Chirurgie sans garde-fou, contrat cédant toute vie privée, le monde du spectacle décrit par l’autrice fait froid dans le dos. Jusqu’à la chute du récit, qui parachève le dégoût provoqué par cette société du spectacle qui a perdu toute notion d’éthique et de conscience. Un excellent texte pour débuter.

Suit « Ombres et lumières su Kabukichô » de Martin Samper, lui aussi lauréat de l’appel à texte, en catégorie polar. Le texte met en scène un flic, Shimizu, qui enquête sur des meurtres en série. Efficace, à l’ambiance proche d’un « Seven », ce récit qui mêle vie privée du policier et enquête glauque est une réussite, bien noire comme il faut.

On trouve ensuite Philippe Ward avec « Je confie ma vengeance au ciel », une histoire d’impératrice paranoïaque, Lü Zhi (personnage qui a vraiment existé, épouse de l’empereur Gaozu), qui veux à tout prix garder les rênes du pouvoir, jusqu’à chercher un sérum d’immortalité. Un texte qui fonctionne bien, et auquel son caractère détourné par rapport à l’histoire réelle lui donne de manière amusante dans sa conclusion un écho jusqu’à notre époque. Bien amené.

« Yong » de Jean-Bernard Pouy nous amène dans la baie de Cumikan, au bord de la mer d’Okhotsk, où se trouve un cimetière d’énormes bateaux, paquebots, porte-conteneurs, etc… Tous sont recyclés par des petites mains de diverses nationalités, notamment coréennes, un peu du Sud, beaucoup de Nord, installées dans un paquebot échoué qui leur sert d’habitation et sur lequel une lutte d’influence va dégénérer, forçant l’armée à intervenir. Un texte un peu bizarre qui mêle des éléments que je ne détaillerai pas pour ne rien dévoiler, pour un résultat pas tout à fait convaincant à mon goût, d’autant que le style de l’auteur porté sur l’humour un peu potache m’a fait plus d’une fois lever les yeux au ciel…

« Le dernier de l’espèce » de Gwen Dubois (également lauréat de l’appel à texte), une uchronie, mélange vestiges de l’URSS communiste retranchés sur la péninsule du Kamtchatka, neurotoxine miracle et exosquelettes russes sous-marins dénommés Stakhanov pour un résultat qui n’est peut-être pas suffisamment creusé pour être intéressant, le côté uchronique n’étant finalement qu’un décor qui aurait pu être transposé à peu près n’importe où. Dommage.

« Umami » de Wilfried Renaut est un joli texte qui aborde, dans un futur dystopique où être abreuvé de publicités et autres médias sans intérêt via des lunettes connectées est une obligation, l’héritage d’une tradition séculaire en dissimulant cette dernière aux yeux des autorités, avec fausse identité et maquillage urbain. C’est aussi une belle passation entre les générations, entre une grand-mère en fin de vie qui donne tout pour protéger sa petite fille et cette dernière qui doit lui succéder. Un peu plus de contexte pour mieux situer le récit n’aurait cependant pas nuit à l’ensemble…

Laurent Whale nous projette, avec « Promesses d’Orient », en pleine campagne de Russie, à l’époque napoléonienne, plus précisément lors de fameuse retraite vers la Bérézina. Un texte simple et qui alterne deux points de vue, l’un russe et l’autre français, pour une démonstration par l’exemple que quel que soit le vainqueur retenu par l’Histoire, la guerre n’est qu’une succession de drames personnels, dans tous les camps. Touchant et profondément triste, pour un excellent texte.

Hélène Cruciani (autre lauréate de l’appel à texte) avec « Un omamori en rouge et or » s’intéresse au phénomène des hikikomori, ces personnes coupées du monde, sans interactions sociales, vivants cloitrées dans leur chambre, sans quasiment jamais en sortir. C’est le cas du jeune Aïko. Son isolement découle d’un harcèlement scolaire, et ses parents désespèrent de le voir sortir un jour de cette situation. Seul Aïko a la clé, alors que ses parents voient chacun une partie de l’équation de manière bien différente… Un texte profondément dramatique qui interroge sur les conséquences du harcèlement, sur l’amour parental et surtout sur un autre thème que je ne peux dévoiler sous peine de spoiler l’issue du récit. Dramatique et émouvant.

« Une poignée de neige » de Martin Long (dernier lauréat de l’appel à texte de cette anthologie) s’intéresse à Dajie, chauffeur de camion au sein d’un gigantesque convoi de plusieurs centaines de véhicules chargés de charbon, en Chine, alors qu’un tueur en série semble roder dans les parages et s’intéresser tout particulièrement au jeune homme… Pas vraiment surprenant dans son dénouement, le récit dévoile tout de même de manière progressive ses « cartes », suffisamment pour accrocher le lecteur jusqu’au bout.

Philippe Caza avec « Go east » est un peu, voire totalement, en roue libre ! Paulo et Marko (à moins que ce ne soit l’inverse… 😉 ), arrivés au bout du Penn-ar-Bed avec la Horde cherchant l’endroit où le soleil se couche (oui vous voyez déjà peut-être une référence…), décident de repartir dans l’autre sens, vers là où le soleil se lève. S’en suit une pérégrination vers l’est, pleine d’aventures picaresques, vers le pays du soleil levant. A mi-chemin entre futur post-apo et récit préhistorique, « Go east » est une pochade délirante, amusante et très référencée, tout autant que finalement assez mineure, d’autant qu’on ne sourit pas à toutes les vannes, loin s’en faut.

Dans « Nirvana », Benoît Patris nous livre le témoignage d’un écrivain chinois exilé en France qui a côtoyé, durant son incarcération en Chine plusieurs années plus tôt, un jeune tibétain idéaliste doté d’une rare force de volonté. Tous deux sont soumis à la torture, mais le jeune Tibétain supporte les brimades, inflexible, grâce à la méditation. Jusqu’à l’incroyable. Un texte dur et plein d’espoir, portant bien son nom au vu de ce qu’il décrit. Comme une élévation.

« Sigathia-Bordel-mon-amour » de Jérémy Bouquin relate les dernières heures du leader d’une junte rebelle au Laos, luttant contre l’avancée de la conquête chinoise. Un récit lent, moite, avec une sorte d’ambiance de fin de règne, voire de fin du monde.

« Adrénaline en Cochinchine » de Francis Carpentier est le récit d’un audit mené par Jamel Rebout au Vietnam auprès d’une entreprise exportatrice de bois exotique. Evidemment, tout l’intérêt du texte réside dans ce que Jamel va découvrir en marge de cet audit, lors de ses temps de loisir, notamment car son grand-père a combattu à Diên Biên Phu. C’est donc l’occasion pour lui d’en découvrir un peu plus sur des terres où est passé son aïeul. C’est un texte dépaysant et partagé entre le positivisme lié à une pratique religieuse pragmatique et heureuse (les Chams Bani) et l’inquiétude portée par le développement de l’islam radical.

Il vaut mieux cultiver la bonté en oubliant de prier que de faire cinq prières par jour avec la haine au cœur.

Et enfin, pour clore cette anthologie, nous retrouvons Audrey Pleynet avec « Infaillible » qui nous transporte dans un univers étrange, fait de mondes reliés par des Failles, chacun de ces mondes étant soumis à une interdiction spécifique. Interdiction de fouler le sol, interdiction du silence, interdiction de toucher quelqu’un, etc… Autant de « handicaps » qui vont former la jeune Sumiye, experte en combat aux sabres et qui a été sélectionnée pour rejoindre Ni-Do, la planète sanctuaire, pour devenir Exécutrice de la Loi. Un honneur pour elle, mais Sumiye devra pour cela se défaire d’une blessure de son passé, d’une manière toute particulière… Une fois la chute connue (que je ne dévoilerai pas bien sûr, il faut garder la surprise !), j’ai beaucoup pensé à un texte de Lionel Davoust (que je ne citerai pas non plus, pour les mêmes raisons) qui repose sur un concept un peu similaire. Similaire mais différent puisque si chez Lionel Davoust, le concept, affiché dès le début, supporte le récit, ici le récit d’Audrey Pleynet amène vers la découverte de ce concept qui reste caché au lecteur pour mieux le surprendre. C’est efficace dans les deux cas, même si le texte de l’autrice, au vu de ce qu’il présente, aurait mérité un peu plus de développement pour clarifier un univers qui reste un peu trop abstrait. Mais cela deviendrait sans doute autre chose qu’une nouvelle…

En somme on a là une bonne anthologie (illustrée en couverture par Aurélien Police, rien que ça !), qui se lit avec plaisir et qui a pour elle une relative homogénéité dans la qualité des textes. Rien n’est fondamentalement très en-dessous du reste, même si chacun trouvera ici ou là quelques faiblesses, en fonction de ses centres d’intérêt. Mais il faut avouer qu’il n’y a pas non plus de texte particulièrement remarquable, qui fasse se relever la nuit, même si je trouve tout de même, à titre personnel, que le texte d’Eloïse Chanie, en ouverture, brille un peu plus que les autres, avec celui de Laurent Whale. Mais on n’oubliera pas non plus Audrey Pleynet, Francis Carpentier, Martin Samper ou Benoît Patris.

 

  
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