Ecologie et folie technologique, Anthologie de nouvelles steampunk, volume 1

Posted on 27 mai 2022
Toujours sur la récolte effectuée au festival « L’Ouest Hurlant » (après « Le troll médecin » de Silène Edgar et « Monsieur Merlin » de Arnauld Pontier), voici une anthologie de quatre nouvelles steampunk des éditions costarmoricaines Oneiroi (après renseignement, cela se prononce « Oniri ») qui me faisait de l’œil depuis on bon moment (depuis sa sortie en septembre 2019 en fait…) avec sa jolie maquette. Alors, plumage, ramage, tout ça ?… 😉

 

Quatrième de couverture :

Le steampunk invite à revisiter le passé, à renouer avec les racines de notre société. Dans cette anthologie, on vous emmène au commencement de l’industrialisation, au moment où tout était encore possible pour la planète et pour l’Homme. Et si les choses s’étaient passées autrement ? Pour le meilleur ou pour le pire, ou juste différemment.

Prenez place dans notre machine à remonter le temps !

 

Give me steam !

  • D’amour et d’acier, de Francis Jr Brenet

Ce premier texte signé Francis Jr Brenet est à la fois très steampunk et très uchronique. Car si les classiques effets steampunk sont bien présents, l’auteur a radicalement fait bifurquer son monde pour sortir du sempiternel contexte parisien ou victorien. Mais il y autant de bonnes que de moins bonnes choses dans ce texte…

Pour ce qui est du contexte, la Révolution Industrielle a totalement ravagé notre chère Terre. Complètement polluée, quasiment inhabitable, elle n’est plus le refuge que des humainciers, ces automates créés par la famille Dickens pour effectuer les basses besognes à même de satisfaire les besoins des plus nantis qui, eux, vivent sur de vastes îlots volants, également créés par les Dickens. Walter est l’héritier de la famille, et ses parents voient d’un mauvais œil l’oisif jeune homme s’éprendre d’une jeune fille de basse extraction. L’engrenage se met en route et Walter va découvrir l’envers du décor…

Alors oui, le contexte est étonnant, surprenant, « rafraîchissant » pour le genre steampunk (si on met de côté la terrible pollution causée par l’humanité…). En revanche, ça manque parfois un peu de clarté dans le worldbuilding et certains éléments auraient gagné à être mis de côté tant ils apportent peu par rapport à un équivalent moins « fantasy » mais plus concevable, ou bien ne sont pas totalement aboutis (la montre qui compte les achats autant que les battements de cœur). Ceci dit, malgré une écriture parfois un peu maniérée, Francis Jr Brenet parvient à toucher des thèmes universels qui, s’ils ne sont pas originaux, sont malgré tout bien mis en avant : inégalités sociales, rôle et humanité des machines, pollution « auto-alimentée ». La chute de cette tragédie fait également son petit effet. Pas totalement convaincant donc, mais sympathique malgré tout.

 

  • Beautés, de Audrey Pleynet

Audrey Pleynet, quant à elle, se jette en plein steampunk londonien. Pas original pour le coup (même si elle a limité la « quincaillerie » steampunk), mais on lui pardonnera puisque ce texte est issu d’un match d’écriture durant les Imaginales 2018. Difficile dans ces conditions (écrire une nouvelle en deux heures, même si elle a évidemment été retravaillée et rallongée pour être publiée dans cette anthologie…) de prendre le temps de développer quelque chose de radicalement nouveau. Mais que cela ne vous ôte pas l’envie de lire ce texte car malgré sa relative brièveté (une vingtaine de pages), son fond parle pour lui.

Pour resituer le contexte, Maureen est une jeune femme qui vivote dans un quotidien routinier plombé par un travail pas franchement épanouissant. Et un beau matin, elle tombe par hasard sur une femme absolument resplendissante, à un point tel qu’elle en devient presque intimidante, hypnotisante. Sur un coup de tête, et toujours sous l’effet de l’éblouissement causé par cette splendeur, Maureen va faire un tour dans le salon de beauté duquel la femme est sortie. Un salon de beauté bien particulier, qui se propose de rendre, grâce à une machine très steampunk, ses clientes plus belles. Vraiment plus belles. A un point inimaginable. Maureen se laisse tenter, et cela va changer sa vie, personnelle, professionnelle, avec des conséquences allant bien au-delà de sa petite personne.

Allant droit au but (sans toutefois s’épargner une ou deux longueurs…), Audrey Pleynet livre ici un discours incisif sur le culte du paraître, que cela vienne de la personne concernée tout autant que de son entourage. Entre l’aveuglement de Maureen, prenant des décisions (puisque sa beauté sans pareil lui permet de monter les échelons des responsabilités…) aberrantes et délirantes, voire même dangereuses alors que son entourage, subjugué (aveuglé !) jusqu’à l’excès, est incapable de retrouver la raison, et son absurde besoin d’en avoir toujours plus, l’autrice déroule un réquisitoire sans appel.

Audrey Pleynet a par ailleurs eu l’intelligence de ne pas faire de Maureen un personnage antipathique, uniquement mené par sa volonté d’être belle à ses yeux et aux yeux des autres. Car elle est avant tout un personnage tragique, victime d’elle-même, de son addiction et son manque de confiance en elle qui lui fait préférer une beauté à nulle autre pareille mais totalement artificielle (jusqu’à faire d’elle ce qu’elle n’est pas) plutôt que sa beauté à elle, sa vraie beauté, certes moins éclatante mais tellement plus authentique.

Là encore, la chute du texte, est très marquante, avec un lecteur suspendu jusqu’à la dernière phrase, se demandant jusqu’à la toute fin vers quoi va pencher Maureen. Une belle réussite.

 

  • L’homme sans rivage, de Emmanuel Chastellière

Emmanuel Chastellière et Célestopol, l’histoire d’amour continue. Mais avant de retourner sur la Lune, c’est notre cœur, voire notre estomac que l’auteur retourne, avec cette longue et terrible première scène, dans la Mer Baltique, et une tradition barbare qu’un jeune garçon se voit forcé de respecter. La phrase de son père, sèche, dénuée d’émotion, claque comme une sentence, un couperet (un coup de grâce ? Une mise à mort psychologique ?), et résonne encore dans ma tête : « Retourne dans l’eau ». Terrible.

Cette scène effrayante et mémorable est pourtant nécessaire, pour comprendre le personnage d’Erland (et ses convictions), auquel va faire appel le duc Nikolaï pour satisfaire une de ses nouvelles lubies. Mais cette volonté de garder discrète cette commande surprenante ne cache-t-elle pas autre chose ?…

On le sait, je l’ai suffisamment dit ici, retourner à Célestopol est toujours un plaisir. Emmanuel Chastellière parvient toujours à trouver le ton juste, à ajouter une nouvelle brique à son édifice sélène, à parler de quelque chose de notre monde à nous de manière pertinente en faisant en sorte que cela apporte un élément significatif au monde qu’il a créé.

C’est à nouveau le cas ici, et si je ne souhaite pas trop en dire pour ne pas déflorer la surprise (parce que cela fait partie du jeu, même si tout l’effet de ce texte ne repose pas sur la découverte du pourquoi du comment, qui se devine d’ailleurs un peu à l’avance), force est de constater qu’à travers ce qu’il décrit ici, l’auteur parvient à nouveau à densifier et à rendre toujours plus insaisissable ce duc Nikolaï, personnage d’une rare complexité et bien difficile à catégoriser.

Encore un excellent texte à mettre au crédit d’Emmanuel Chastellière et de sa ville fétiche, Célestopol.

 

  • Fengshui et vapeur de jade, de Romain d’Huissier

Romain d’Huissier apporte à cette anthologie un excellent texte de clôture, totalement dans le thème steampunk tout en réinventant tout un contexte autour de l’aspect « steam » tout autant que « punk ».

Déjà, cette nouvelle se situe en Chine, pour une ambiance résolument asiatique (forcément…), peu explorée dans le genre steampunk. On y suit le géomancien Ming Zhi chargé d’enquêter sur les incidents qui ont émaillé un chantier de construction d’une route traversant une forêt et permettant de relier en droite ligne une mine de jade rouge à la ville florissante de Caifu. Jade rouge ? Oui, il s’agit d’un minerai doté de la très intéressante propriété d’emmagasiner énormément de chaleur. Plongée dans l’eau, elle porte celle-ci à ébullition et génère donc… de la vapeur ! Voilà pour le steam, avec lequel l’auteur imagine plein de machines ou ustensiles inventifs, dans différents domaines.

Pour le punk, on notera la présence de la jeune Li Zhan, garde du corps (et amie proche) du géomancien et sorte de « ronin » chinois, issue de l’école de Shaolin et tenant autant de la maîtresse en arts martiaux que du bandit de grand chemin et bonne vivante.

Ce texte n’est en fait qu’une « simple » enquête à la Agatha Christie avec ce géomancien maître en feng shui tenant du Juge Ti (ou Détective Dee pour son équivalent cinématographique, ce qui est plus ou moins la même chose), mêlant ici avec un juste dosage enquête (et rebondissements) et histoire de fantôme chinois. 😉 Un mélange qui fonctionne à merveille, avec des personnages très attachants, une atmosphère sino-steampunk originale et réjouissante, et une réflexion relativement simple mais qui fonctionne toujours sur l’exploitation de la nature (avec en bonus une sorte de relative mesure entre la nécessité de faire ce qu’il faut pour se développer et la sauvegarde de l’environnement, dans une volonté de ménager la chèvre et le chou qui n’est pas si courante dans les textes « à thèmes »).

 

Un texte un peu en retrait pour trois autres vraiment réussis, ça donne une anthologie de grande qualité. De quoi avoir très envie d’aller lire les deux autres volumes dans cette même collection… Oneiroi, vous n’avez pas fini d’entendre parler de moi (ouais bon, ça rime à l’écrit mais pas à l’oral… 😀 ) ! 😉

 

Lire aussi l’avis de Aelinel, Miss Chatterton, Kahlan, Zoé (sur les trois anthologies parues), Fourbis et têtologie.

 

  
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