Quelques nouvelles… (11)
« Le troll médecin », de Silène Edgar
Le titre le laisse déjà présager, et ni l’autrice ni l’éditeur ne s’en cachent, « Le troll médecin » est une réécriture à la sauce fantasy de « L’amour médecin » de Molière. Les personnages sont les mêmes, si ce n’est que Sganarelle et sa fille Lucinde sont des licornes habitant au royaume de l’Arc-en-ciel (dont la reine à l’étonnante faculté de (licorne oblige ? 😀 ) déféquer des diamants taillés, oui oui). Lucinde tombe malade, et son père convoque donc les plus éminents médecins du royaume. Mais le remède ne viendra-t-il pas plutôt de Clitandre, fervent lecteur du royaume voisin, et troll de son état ?
Réécriture donc, sous forme de pochade fantasy, de la pièce de Molière, et l’occasion pour Silène Edgar (par l’intermédiaire des éditions 1115) d’envoyer paître (le terme approprié pour des licornes, n’est-ce pas ? 😉 ) les tenants de l’intelligentsia prompts à juger de ce qui relève de la vraie, bonne et saine littérature. Amusant et rafraichissant.
Dans un vaisseau spatial chargé de terraformer une lointaine planète, Lucas, le biologiste à bord, amoureux des plantes et responsable du vaste biotope installé dans le vaisseau (l’équivalent de deux grandes serres terrestres), se réveille pour prendre son tour de garde. Bizarrement, il ne parvient pas à communiquer avec Théo, membre d’équipage qui avait la garde précédente…
Lucas rend visite à « son » écosystème, heureux de constater qu’il déborde de sa zone et commence à envahir le vaisseau. Mais la planète est encore loin, et bon sang, qu’est devenu Théo ?
« Jardins » est une belle et douce nouvelle d’Estelle Faye sur la pollution de la Terre et ses terribles effets sur la population, sur l’espoir porté par Lucas et son écosystème, sur la communion avec la nature, une nature qui n’a que faire du temps qui passe, et sur l’amour fusionnel qu’il porte au monde végétal. Jusqu’au renouveau.
« Mesurer l’empreinte », de Claire Duvivier
La griffe est un évènement inexpliqué qui a frappé le quartier de Montmartre à Paris, et provoqué parmi la population présente à cet instant des « déplacements » (les personnes se retrouvent translatées, par rapport à la réalité physique, de quelques centimètres, horizontalement ou verticalement, avec pour résultat de voir ces gens marcher quelques centimètres au-dessus du sol, ou bien tenir une tasse de thé quelques centimètres à côté de la tasse elle-même) et des « décalages » (il s’agit d’un décalage temporel de quelques secondes, les victimes ne sont donc plus visibles dans notre réalité, si ce n’est de temps en temps par l’intermédiaire de quelques « échos » qui tournent en boucle).
L’arpenteur, accompagné de la jeune Lou, est chargé par la mairie de prendre des mesures de l’empreinte, c’est-à-dire de la zone touchée par la griffe et de déterminer si les déplacements augmentent ou diminuent.
Sur cette base simple mais brillante, Claire Duvivier parvient à faire naître des images absolument frappantes d’un quartier vidé de ses habitants et dans lequel ne résistent que quelques « résignés » tout autant que « déplacés » désireux de rester chez eux, alors qu’ici ou là surgissent quelques échos qu’il ne faut pas regarder en face, sous peine de risquer d’être aspiré dans la boucle temporelle qui les maintient dans notre réalité. L’idée est magnifique et terrible à la fois et les mesures faites par l’arpenteur ne feront qu’accentuer la tristesse du destin de ces « déplacés ».
Il faut lire ce texte pour bien le comprendre, ce que j’en dis ici n’est qu’un pauvre résumé vidé de sa substance. Car Claire Duvivier nous donne là un superbe texte de SF-fantastique dans lequel l’aspect urbain se mêle à une sorte de post-apo magique (quantique ?) de la plus belle eau, accompagné par ailleurs de jolis personnages. Superbe !
« Ammuin karhua », de Emmanuel Chastellière
Retour à Célestopol pour Emmanuel Chastellière. Célestopol, la cité lunaire si chère à son coeur, et au mien (je vous ai dit que « Célestopol » et « Célestopol 1922 » sont deux recueils à lire absolument ?). L’auteur a écrit cette nouvelle en réaction à la guerre en Ukraine, et a décidé de reverser tous les bénéfices (cette nouvelle coûte deux euros), et même de les doubler, à la Croix Rouge française pour son action en Ukraine.
Et on sent bien la référence ukrainienne dans ce texte avec le personnage d’Irina, jeune femme finlandaise au passé douloureux, venue fuir les affres de la guerre et ses démons personnels à Célestopol. Son passé nous sera révélé progressivement, et même s’il n’est pas question d’Ukraine dans le texte, le parallèle avec ce qu’il se passe là-bas en ce moment est évident (et même la référence à la Finlande prend maintenant un tournant très actuel…).
Irina est donc vendeuse dans un grand magasin, mais fuit le contact et les responsabilités. Sa rencontre avec Anna, une autre vendeuse qui se révèlera être bien plus que ce que le premier contact laissait augurer, pourrait bien la confronter à nouveau à son passé, alors qu’il se passe d’étrange chose dans le magasin avec un automate censé être… réformé disons.
Célestopol « s’agrandit » donc de nouveau avec ce texte qui nous montre une autre facette de la ville. Et on y parle, en plus de la guerre bien sûr et de ses effets dévastateurs sur l’état d’esprit des victimes et/ou témoins, de la religion, de l’ouverture aux autres, mais aussi du consumérisme à outrance et de l’insouciance des nantis. Les Galeries Sabline font tout autant penser aux grands magasins que nous connaissons tous qu’au géant Amazon.
« Ammuin karhua » est donc une nouvelle franche réussite dans cet univers qui, décidément, frôle le sans faute. C’est à la fois doux, amer, douloureux, mélancolique, dur, mais aussi tourné vers l’espoir et l’avenir. Un texte qui a toute sa place aux côtés des autres récits de la cité lunaire.
« sont des licornes habitant au royaume de l’Arc-en-ciel » : je me suis arrêté là, l’argument m’a convaincu.
Je plussoie pour « Ammuin karhua », vraiment une très bonne nouvelle, dans le ton habituel de l’univers.
Les licornes et les arcs-en-ciel, armes fatales ! 😀
Oui, l’univers de Célestopol est vraiment passionant. 😉
Super, ces petits récaps!
Il faut que je lise Célestopol, vais-je répéter pour la millionième fois.
Oui oui, trois fois oui. 😀
Merci. 😉
C’est la première fois que je vois un retour sur des écrits du Club des nouvelles. Ce que tu en dis me donne envie de découvrir les deux textes.
As tu l’intention de lire d’autres textes de cette collection ?
Pourquoi pas oui, si les pitchs me tentent, je ne vais pas me priver.
Il faut quand même préciser que ce textes sont des rééditions, pour la plupart issus des anthologies des Utopiales, avec quelques exceptions (celle d’Estelle Faye vient de l’anthologie 2019 des Imaginales). Donc il se peut que certains soient déjà lus, comme celui de Ketty Steward (« Quantique pour la liberté ») et Jeanne-A Debats (« Chéloïdes », absolument excellent) qui viennent de l’anthologie « Par delà l’horizon », anthologie dont il faudra que je parle un jour. 😉