Rendez-vous demain, de Christopher Priest
Quatrième de couverture :
À la fin du XIXe siècle, le professeur Adler Beck étudie les glaciers et les changements climatiques liés à l’éruption des volcans, aux courants marins et aux cycles solaires. Après des années de recherche, il arrive à la conclusion que la planète subira un refroidissement majeur dans le courant du XXIe siècle.
Pourtant, en 2050, le climat ne cesse de se réchauffer et la montée des eaux semble inéluctable. C’est en tout cas ce que constate au quotidien Chad Ramsey, qui vient d’être évincé de son poste de profileur pour la police. Juste avant son licenciement, on lui a implanté dans le crâne un moyen de communication révolutionnaire. Il va s’en servir pour aider son jumeau, Gregory, qui cherche à en savoir plus sur un grand-oncle qui aurait fait de la prison il y a bien longtemps.
Cet ancêtre serait-il Adolf Beck, le frère jumeau d’Adler, qui aurait connu un certain succès sur les scènes d’opéra d’Amérique du Sud ? À moins qu’il ne s’agisse d’un dénommé John Smith, condamné à cinq ans de travaux forcés pour escroquerie en 1877 ? La vérité pourrait bien remettre en question les certitudes de Chad.
Usurpation d’identité, gémellité, dérèglement climatique et réalité déformée… Avec le brio qu’on lui connaît, Christopher Priest tire parti de ses thèmes de prédilection pour se jouer de nos perceptions et de nos préjugés. Il hisse ainsi « Rendez-vous demain » au niveau de ses meilleures œuvres, en particulier « Le Prestige ».
Entre Holocène et Anthropocène
Difficile de faire plus priestien en effet que ce roman qui propose deux lignes temporelles, l’une en 2050, l’autre située fin XIXe-début XXe siècle, avec dans les deux cas des jumeaux. Des jumeaux aux vies bien différentes, puisque parmi les frères Beck, nés au XIXe siècle en Norvège, Adler est un glaciologue reconnu alors que son frère Adolf, après pas mal de petits boulots, finit par s’orienter vers une carrière de soprano en Amérique du Sud. En 2050, Chad Ramsey, installé à Hastings dans le sud de l’Angleterre, est profileur pour la police, son frère Gregory étant journaliste. Il me faut également mentionner le personnage de John Smith, escroc arnaqueur de femmes rencontrées dans la rue, à l’époque des frères Beck, et qui aura son importance dans le récit (il s’agit sur ce point d’une histoire vraie, mais il vaut tout de même mieux ne rien savoir à l’avance).
De manière relativement classique, le roman alterne les points de vue, par assez longs morceaux, la vie des frères Beck (narrée à la première personne) étant vue par le prisme d’Adler tandis que côté Ramsey c’est Chad qui sert de narrateur (à la troisième personne).
Différentes trames narratives donc, forcément liées à travers le temps, et qui s’entremêlent plus ou moins alors que Gregory Ramsey demande à son frère, dont le poste de profileur lui donne accès à certaines informations, de trouver des renseignements sur un lointain ancêtre dont les actes punis par la justice pourraient l’empêcher de mener la carrière qu’il souhaite. Chad, justement, a été équipé d’un implant dans le cerveau censé faciliter les communications (et donc les recherches) à distance, juste avant de finalement se faire licencier.
Adler Beck quant à lui, grâce à ses travaux de glaciologue et ses collaborations scientifiques avec différents instituts, parvient à une conclusion qui, au vu de l’état de la planète tel qu’il nous est rapporté par Chad Ramsey, surprend : en étudiant différents éléments climatiques (El Nino, le Gulf Stream, l’évolution des températures et des glaciers) ou non (l’activité solaire, les éruptions volcaniques) sur une longue période de temps et en les corrélant, il lui apparaît clair qu’une période de glaciation terrible est sur le point d’arriver.
« Rendez-vous demain » est donc avant tout un roman sur le bouleversement climatique, chose qui devient évidente lorsque l’on découvre l’importante documentation de Priest visible en fin de volume. Priest n’est pas scientifique, il n’écrit pas là un rapport du GIEC, alors il romance les choses telles qu’elles lui apparaissent, telles qu’il les pressent, et sans doute un peu telles qu’il aimerait qu’elles se déroulent. On trouve dans le roman, scientifiquement étayé, un forme d’optimisme dont on pourrait discuter de la pertinence. En tout état de cause, et quoi que l’on pense des théories qu’il expose, le réchauffement climatique et ses conséquences est donc LE sujet du livre, le reste relevant presque d’un tic priestien qui ne surprendra pas l’initié.
Pour autant, il faut louer les qualités narratives du roman : l’auteur britannique est chevronné, et son récit est un plaisir à lire. Aucun écueil de lecture, aucune égratignure, tout est limpide, tout est fluide… A condition d’accepter d’avaler un certain nombre de couleuvres, tant Christopher Priest a eu envie d’écrire un roman de SF sans s’embêter à justifier la technologie qu’il emploie. L’implant neuronal de Chad et plus encore un « visualiseur d’ADN » qui est mis à sa disposition tiennent presque plus de la magie que de la technologie ! Moins de trente ans dans l’avenir : le décalage n’est pas suffisant pour être prêt à gober n’importe quel artefact technologique.
Et on a donc l’impression que l’auteur, pour se faciliter la tâche, s’est alloué les services d’une technologie miraculeuse bien pratique sur le plan narratif et que sa seule justification c’est « on s’en fout, ça marche ! » (comme le téléporteur dans Star Trek quoi, sauf que Star Trek c’est dans plus de deux cents ans…). Ça et quelques autres facilités scénaristiques font que la lecture se fait certes sans peine mais en levant parfois les yeux au ciel…
C’est bien dommage d’autant que son propos, et la manière de l’illustrer, est pour le moins frappant : la vie de Chad, à Hastings, et par extension pour un grand nombre d’êtres humains, est un enfer ! Canicules longues et régulières presque toute l’année, côtes érodées et effondrées, montées des eaux, tempêtes de sable, tempêtes tout court, déplacement massif de la population, 200 millions de morts dus au réchauffement, n’en jetez plus, le bilan est effrayant. Politiquement, c’est à l’avenant : replis sur soi, isolationnisme politique, éclatement des états (l’Ecosse est devenu indépendante, comme il l’imaginait déjà dans « Conséquence d’une disparition »). On se croirait presque dans un roman de Jean-Marc Ligny, c’est dire !
Et puis, pour en revenir aux deux lignes temporelles qui se rejoignent, là encore avec l’artifice de la technologie, et qui partagent une thématique climatique entre les recherches d’Adler Beck (pour lequel un élément fondamental est manquant) et le constat dressé par Chad (qui, lui, découvrira sur le tard un élément renversant les perspectives), force est de constater qu’à nouveau la technique de l’auteur est bien rodée et que la fluidité de l’ensemble est remarquable, malgré un entrecroisement des trames narratives qui peut sembler artificiel, voire même inutile si on y pense (mais pour développer il me faudrait spoiler…). Et qui, surtout, n’apporte ni le trouble ni le doute qui parsemaient les excellents romans « Le prestige » et « La séparation » pour ne citer que les plus célèbres. Idem pour le rôle de John Smith dont l’impact sur la vie des frères Beck n’est pas négligeable, loin s’en faut, mais n’apporte rien de significatif à l’échelle plus large du roman.
Je ne peux donc pas me départir d’un léger sentiment d’inachèvement concernant « Rendez-vous demain ». Soyons clair, j’ai lu le roman rapidement et j’y ai pris beaucoup de plaisir. Mais les quelques facilités prises par Priest et le côté un peu délié des trames narratives qui se rejoignent sans être pourtant totalement entremêlées (ou sans que cela ne se révèle vraiment utile aux thèses développées) font que le résultat n’est pas aussi parfait qu’on aurait pu l’espérer. Reste une illustration du réchauffement climatique très frappante et une mise en parallèle de la thèse climatique à travers les siècles qui ne manque pas d’intérêt. La science narrative de Christopher Priest fait le reste : « Rendez-vous demain » (très bien traduit par Jacques Collin et magnifiquement illustré par une superbe eau-forte d’Anouck Faure) est un bonbon qui se dévore tout seul, malgré les réserves.
Lire aussi les avis de Gromovar, Tigger Lilly, Yogo, Le nocher des livres, Elwyn.
Tu es moins positif que Tigger Lilly, mais mon commentaire va être du même genre: ce serait bien que je lise Christopher Priest, un jour.
Oui, il faut lire Priest, c’est souvent très bien et c’est toujours hyper fluide à la lecture. Et puis mine de rien, ça reste un incontournable de la littérature de genre, même si je crois qu’il aimerait bien que sa réputation dépasse le genre justement. 😉
[…] D’autres lectures : Elwyn (Navigatrice de l’imaginaire), Le Dragon galactique, Yogo (Les Lectures du Maki), Gromovar, Lorhkan, […]