Le Docteur Lerne, de Maurice Renard
Quatrième de couverture :
Voilà quatre ans que Nicolas n’a pas vu son oncle, qui a bien changé depuis leur dernière entrevue. Son domaine des Ardennes semble abriter de nombreux secrets… Que se passe-t-il dans la serre ? Et comment expliquer le comportement étrange d’Emma, hébergée par son vieil oncle ?
Nicolas ignore encore où il s’est aventuré. Sa visite du domaine lui en donnera un aperçu glaçant : y vivent des êtres victimes d’hybridations et de greffes monstrueuses. Des spécimens qui semblent défier les simples frontières entre hommes, animaux… et même végétaux. Le savant fou qui les a créés, le docteur Lerne, est-il le « sous-dieu » qu’il prétend être ? Est-il sur le point de réussir la « transfusion des âmes » ?
Apollinaire a loué le « talent magique » de Maurice Renard, « dont l’art doue de vraisemblance les miracles les plus invraisemblables », qualifiant « Le Docteur Lerne » (1908) de « roman subdivin des métamorphoses ». Dans la lignée de « L’Île du docteur Moreau », ce chef-d’œuvre méconnu du fantastique français n’a en effet rien à envier aux œuvres de H. G. Wells.
Savant fou et expérimentations scientifiques
Paru en 1908, « Le Docteur Lerne » est évidemment, avec sa thématique de savant fou aux expérimentations effrayantes, un hommage à « L’île du Docteur Moreau » et à son auteur, H.G. Wells. Maurice Renard ne s’en cache d’ailleurs pas, en dédiant son ouvrage à l’auteur anglais. Pour un lecteur d’aujourd’hui, l’intrigue ne surprendra guère, elle est même assez largement prévisible, mais elle ne manque pas pour autant de qualités. Le roman relate le retour de Nicolas Vermont sur l’un des lieux de son enfance, le château de Fonval, après plusieurs années d’exil parisien. Il va y retrouver son oncle médecin, un oncle qui semble avoir considérablement changé tandis que le château ressemble de plus en plus à une ruine, à mille lieues du souvenir merveilleux qu’il en avait gardé… Navigant entre étonnement et déception, Vermont va peu à peu découvrir ce qui se cache derrière les étranges agissement du Docteur Lerne, en même temps qu’il fera connaissance avec les autres occupants du lieu (la plantureuse Emma, Doniphan Mac-Bell l’élève du docteur, les aides allemands).
Se met donc en place une sorte d’enquête qui va mener Vermont à se confronter à l’horreur. Car oui, malgré son âge, on peut bien parler d’horreur avec ce roman. Pas de gore bien sûr ici, mais des agissements et des expériences qui relèvent pourtant du genre horrifique, d’autant que l’ambiance pesante et oppressante du récit s’y prête particulièrement bien. On pourrait même se demander si Stephen King n’aurait pas lu ce texte avant d’écrire quelques-uns des siens. Oui, d’une certaine manière, j’y ai trouvé un brin de « Simetière » voire même, chose résolument plus étonnante, du « Christine », oui oui, avec la toute dernière partie du récit (et en prime une macabre scène organico-mécanique presque ballardienne). De même, précédent Lovecraft de quelques années, cette manière de délivrer le récit de Vermont au lecteur (même si Renard n’en est bien sûr pas l’inventeur) a été largement utilisée par l’auteur américain. On peut même dire qu’il s’en est fait une spécialité, la conclusion est à ce titre particulièrement frappante.
Et tant qu’à parler d’une certaine forme de modernité pour « Le Docteur Lerne », on peut aussi relever, ce qui permet d’aller un peu plus loin de ce qu’a fait Wells dans « L’île du Docteur Moreau », que les expériences ne sont pas seulement observées, elles sont directement vécues par Vermont. Et l’horreur se fait donc plus terrible encore par le fait que le narrateur devient une victime absolue, sans possibilité d’agir. Son dénuement et son désespoir sont alors à leur paroxysme. Il faut enfin mentionner une certaine dose d’érotisme avec une Emma qui n’a pas froid aux yeux, la plume de Maurice Renard ne manquant d’être relativement explicite (pour un roman de 1908 hein…). Pas de pudibonderie ici, c’est surprenant mais plutôt bienvenu.
Bref, « Le Docteur Lerne », s’il ne surprend donc pas par son intrigue, offre largement de quoi satisfaire le lecteur. Sans être exempt de quelques longueurs (il débute d’ailleurs par un premier chapitre qui n’a quasiment aucun intérêt, si ce n’est de s’inscrire dans une thématique de spiritisme sans doute en vogue à l’époque de son écriture), il parvient à maintenir la tension (ou l’attention…) de belle manière. Maurice Renard, au style aussi varié que délicieusement suranné (certains diraient désuet, mais quand on plonge dans un roman de 1908… 😉 ), sait mener sa barque et son récit relève totalement, avec la science spéculative qu’il met en scène, du genre merveilleux-scientifique, genre qu’il ne théorisera réellement que l’année suivante.
Encore une belle découverte donc dans ce genre que je n’ai qu’à peine effleuré mais qui m’attire vraiment. Posant la question de la moralité de la science, Maurice Renard fait mouche avec ce « Docteur Lerne » que je ne peux que conseiller. Avis aux amateurs !
Lire aussi l’avis de Gloubik.
Belle découverte pour moi! Ça pourrait me plaire. 🙂 🙂 Je trouve ça génial que tu plonges aux racines du genre suite à la lecture de la BD…
Il y a tout un tas d’excellents récits dans le genre merveilleux-scientifique, c’est une mine d’or si on n’a pas peur de se plonger dans des textes qui ont un âge vénérable. 😉
Et la BD donne pas mal de pistes de lecture. 😉