Bifrost 102, spécial Arthur C. Clarke
Alors que le Bifrost 104 s’apprête à sortir, il est temps de se pencher, bien après tout le monde donc, sur le numéro 102, consacré à Arthur C. Clarke, un auteur parmi les plus célèbres de la SF et qui, chose surprenante, n’avait jusqu’ici jamais eu cet honneur dans cette revue qui se fait pourtant fort de s’intéresser de près à tous les grands nom de la science-fiction. Une erreur réparée !
Les rubriques habituelles
Le traditionnel édito d’Olivier Girard s’attarde sur les changements qui bouleversent notre société dans le domaine du travail et sur le rapport de celui-ci avec les machines (et les perspectives qu’elles amènent. Vertigineuses autant qu’inquiétantes, en fonction de la manière dont la société s’orientera.
Les critiques passent évidemment en revue les sorties du moment (enfin… du moment de la sortie de ce numéro…), sans grand coup de coeur pour ma part (tant mieux pour mes étagères et mon portefeuille, il faut se restreindre !) si ce n’est « Friday Black », mais avec quand même quelques parutions dûment notées, au cas où je les vois, par le hasard le plus total bien évidemment.
Manchu se plie à l’exercice de l’interview, interview assez classique mais très intéressante de l’un des illustrateurs les plus célèbres de la SF francophone et même de la SF tout court.
L’article « Scientifiction » de Roland Lehoucq se penche de manière très abordable sur le cas Arthur C. Clarke, en revenant sur certaines de ses publications, qu’elles soient fictionnelles ou purement scientifiques : les satellites géostationnaires (placés sur… l’orbite de Clarke !), le principe de non-appropriation de l’espace, l’étude des transits planétaires ou bien le fameux ascenseur spatial.
Et enfin, quelques news clôturent ce numéro.
Le dossier Arthur C. Clarke
Arthur C. Clarke, c’est un peu un de mes auteurs chouchous. Je l’ai peu lu ceci dit (« 2001 : l’odyssée de l’espace », « Rendez-vous avec Rama », « Les enfants d’Icare », « Les chants de la Terre lointaine »), mais j’ai tout adoré. Alors forcément, un bon gros dossier sur lui, c’est le bonheur avec inévitablement plein de pistes de lecture à la clé. Sauf qu’en fait pas tout à fait. Enfin, pour le bonheur si, mais pour les pistes de lecture c’est moins évident tant les auteurs du dossier ont aussi un peu la dent dure sur certaines de ses oeuvres. Sauf celles que j’ai lues. Tiens tiens, aurais-je lu le meilleur de Clarke, le reste étant moins bon ?
En tout cas, le dossier s’ouvre sur un long article biographique duquel ressort la bienveillance de l’auteur, son humanisme, et surtout son profond optimisme envers la science. Un beau travail de Claude Ecken qui permet mieux connaître la vie de Clarke.
Suit un article-interview (ni vraiment l’un, ni vraiment l’autre) réalisé par Charles Platt au début des années 80. Ca complète bien l’article biographique.
Le dossier se poursuit avec quatre articles s’intéressant de près à un aspect particulier de l’oeuvre de Clarke, que ce soit thématique (les trois lois de Clarke), ou bien éditorial (la série des odyssées, le cycle de Rama, et les collaborations de l’auteur, plutôt nombreuses et loin d’être indispensables à l’exception de celles avec Stephen Baxter).
On arrive au classique guide de lecture parfois assez critique comme je le disais plus haut, mais je garde quand même quelques idées de lecture potentiellement qualitatives (notamment « Les fontaines du paradis » et quelques autres pour vivre une belle aventure spatiale), ce guide étant précédé d’un article sur « Odyssées » la (grosse) intégrale des nouvelles de l’auteur (qu’il va bien falloir que je lise sérieusement un jour au lieu de picorer sur un temps long, et que je la chronique !) qui, elle aussi, possède son lot de petites perles (je me souviens notamment, en plus des merveilles présentes au sommaire de ce Bifrost, d’un récit se déroulant sur un monde en forme de ruban de Moebius assez génial) et de textes nettement moins indispensables.
Et enfin, avant la traditionnelle et une nouvelle fois colossale bibliographie dressée par Alain Sprauel, on trouve une interview d’un des collaborateurs et héritiers de Clarke, Stephen Baxter.
Les nouvelles
Le dossier est illustré par deux nouvelles de l’auteur. Deux courtes nouvelles, deux nouvelles à chute, deux nouvelles parmi les plus célèbres de l’auteur, deux nouvelles qui s’intéressent à la religion ou au mysticisme, un choix curieux venant du scientifique Clarke, mais en tout cas elles illustrent bien le talent de l’auteur.
La première d’entre elles, « Les neuf milliards de noms de Dieu », nous montrent des moines boudhistes qui cherchent (pour une raison qui n’est, commodément pour Clarke, pas clairement énoncée…) à connaître tous les noms de dieux. Ils font pour cela appel à des informaticiens à même de leur fournir le matériel qui leur permettrait de nettement raccourcir la durée de leurs travaux. La chute est un régal de vertige mystique, un vrai joyau !
Le deuxième texte de Clarke, « L’étoile », est d’une ironie mordante envers la religion. Un scientifique jésuite (ce n’est apparemment pas totalement incompatible, les voies du Seigneur étant impénétrables) est intégré à un équipage chargé d’étudier une supernova située dans la Nébuleuse du Phénix. Ce qu’ils découvriront sur place et ce que cela implique risque bien quand même de provoquer une vraie crise de foi (haha)… Là encore, la chute est une réussite totale.
On trouve également au sommaire Ian R. MacLeod (qui m’avait moyennement convaincu avec « Poumon vert » mais nettement plus avec « Isabel des feuilles mortes ») avec un long texte oscillant entre littérature blanche et léger fantastique. « La viandeuse » raconte l’histoire d’une femme (la narratrice) qui s’engage au sein de la RAF durant la guerre. Rapidement, elle est prise en grippe par le personnel de l’armée puisqu’il semblerait que, dans un petit monde pétri de superstitions avant chaque vol, elle porte malheur. En effet, ses amants semblent ne pas revenir des missions qui suivent leurs aventures avec « la viandeuse ». A l’opposé du spectre, on rencontre Walt Williams, pilote chevronné qui enchaine les missions victorieuses au mépris des statistiques. La chance semble être une deuxième nature pour lui. Leur rencontre aura évidemment quelque chose de spécial.
Ce récit est magique ! Magique car évidemment cette chance/malchance relève de quelque chose de pas tout à fait naturel (mais ce n’est pas le fond du texte), mais surtout magique car ses personnages sont magnifiquement dépeints, la vie dans la base est superbement décrite, et la plume de l’auteur est d’une bouleversante beauté. Rendons grâce à Michelle Charrier de l’avoir traduite de la plus belle des manières. Sans doute le plus beau texte de ce numéro.
Enfin, le nouveau chouchou des éditions du Bélial’, Rich Larson, nous donne avec « Demande d’extraction » un récit très punchy que l’on dirait tiré tout droit d’un dérivé d’Alien (soldats vs xénomorphes) ou de Warhammer 40,000 (soldats vs tyranides) avec ces militaires échoués sur une planète hostile et qui vont vite se retrouver sous la menace d’un organisme inconnu et particulièrement dangereux. Et comme bien souvent dans un tel cas, l’auteur va jouer à être cruel avec ces soldats qui tombent les uns après les autres. Récit très efficace, « Demande d’extraction » met ces hommes et femmes, qui ne sont pas des saints loin s’en faut, face à un danger tel que le lecteur s’attache vite à eux. On peut certes regretter une légère confusion dans les noms et personnalités de ces soldats pourtant pas si nombreux, mais cela n’empêche pas la dynamique du récit de l’emporter.
Pour conclure
Enfin un dossier consacré à l’un de mes auteurs chouchous ! Un dossier qui est parfois sévère avec les écrits du Monsieur mais qui, peut-être, s’explique par le fait que j’ai finalement lu ses meilleurs récits, et que le reste ne peut être qu’inférieur. Il faudra que j’en juge par moi-même, j’ai encore quelques jolis textes en réserve et cette fameuses grosse intégrale des nouvelles que je me suis promis de reprendre (recommencer depuis le début même…) et chroniquer. Mais ceci est une autre histoire…
En tout cas, avec à nouveau quatre textes de qualité (et deux couvertures distinctes et superbes, l’une pour les libraires, l’autre (visible sur cet article) réservée aux abonnées, signées Manchu), Bifrost confirme son statut de fournisseur régulier de nouvelles remarquables, même si parfois ce n’est pas du tout jeune. Mais tant que c’est bon… 😉
Je n’ai jamais rien lu de C Clarke. Les nouvelles ont l’air bien intéressantes et donnent envie. Et les jésuites scientifiques c’est en fait très courant. C’est la version universitaire de l’Église (c’est pour cela qu’ils tenaient des lycées) et il y en a quelques uns de très connus pour leurs travaux.
Pour le jésuite scientifique, c’est justifié comme cela dans le texte, en notant qu’en effet un certain nombre d’entre eux ont fait avancer la science.
Jamais lu Clarke ? C’est possible ça pour un fan de SF dans la force de l’âge (t’as vu comme je suis gentil ? 😉 ) ?
Je n’ai jamais été super emballé par la SF qui lorgne vers la science et c’est un peu l’idée que je m’étais fait du bonhomme. J’ai peut-être lu des nouvelles dans divers recueils mais je n’en ai pas souvenir.
Tu ne t’es pas trompé, c’est très tourné vers la science, mais avec un optimisme, un humanisme et un « sense of wonder » qui font plaisir à voir. Perso j’aime beaucoup, même s’il n’a jamais produit de personnages mémorables.
J’avais beaucoup aimé aussi, même si je me souviens avoir pensé que ça me semblait moins fouillé que d’autres dossiers que j’ai lus chez eux et si je ne trouve pas ce choix de nouvelles hyper pertinent. La religion n’est pas très présente chez Clarke, alors deux textes qui en parlent, je trouve ça étonnant. Et il n’y a pas d’humour (peut-être un chouïa dans les Neuf milliards de noms de dieu?), alors que c’est récurrent chez lui; il ne te fait pas hurler de rire, mais il y a des petites touches rigolotes (pour quand tu te pencheras sur l’intégrale des nouvelles: dans un des premiers textes, voire le tout tout premier, le narrateur dit un truc du genre « les gars du département de biologie nous détestent depuis qu’on leur a volé leur hamster »; c’est inattendu, ça te fait sourire tout de suite).
Bon en tout cas tu sais ce qu’il te reste à faire ^^
Il faudrait que je compare de plus près avec des dossiers qui m’avaient paru particulièrement étoffés (de mémoire, Theodore Sturgeon ou Edmond Hamilton), mais en l’état ce n’est pas si mal entre un bel article biographique, un article-interview et des dossiers thématiques. En tout cas ça me convient, même si c’est vrai, je n’ai pas ressenti ce sentiment de « wouah » que j’avais eu en lisant les numéros Sturgeon ou Hamilton…
Pour le choix des nouvelles, c’est vrai que deux en lien avec la religion, ça peut orienter la vision qu’on a de l’auteur alors que ce n’est en effet pas au centre de ses écrits, loin s’en faut. Mais elle sont parmi les plus connues de l’auteur et relativement courtes pour tenir dans un nombre de pages limité, j’imagine que le choix vient de là.
Oui je me souviens de ce passage très drôle (j’avais commencé à picorer dans son intégrale de nouvelles, il faut que je m’y remette en entier), on sent quand même que ça vient d’un auteur jeune qui s’amuse. C’est dans la toute première nouvelle de Clarke, il avait 20 ans, ceci explique cela. Il y a pas mal d’humour dans ses premiers écrits, et puis ça laisse progressivement place à autre chose au fil du temps. C’est d’ailleurs bien précisé dans le dossier : l’humour est une part non négligeable de son oeuvre, du moins au début.
Ahah le hamster t’a marqué aussi Il y a aussi une histoire avec des insectes qui m’a bien fait rigoler (mais je ne donne pas le nom de l’insecte pour ne pas te divulgâcher l’intrigue). Et les textes liés au pub The White Hart sont amusants dans la manière dont le narrateur récurrent les présente, sa bière à la main. Bref tu auras plein de bons moments… 🙂
J’aime beaucoup Clarke, alors je n’ai pas vraiment de doutes à ce sujet. 😉
Je n’ai pas lu ce Bifrost, ma première rencontre avec l’auteur n’a pas été concluante (Rendez-vous avec Rama) c’était trop épuré pour moi, assez froid, mais je ne renonce pas à découvrir un autre titre un peu plus pêchu disons.
C’est vrai que « Rendez-vous avec Rama » est très froid, très « analytique ». Et si ce que tu cherches ce sont des personnages fouillés, tu vas effectivement avoir un problème tant ce n’est pas sur ce point que Clarke excelle.
En revanche, pour ce qui est du sense of wonder associé à un grand humanisme et un optimisme envers la science, il est très fort. Mais si « Rama » ne t’a pas convaincu, c’est déjà un mauvais début… Peut-être peux-tu essayer « Les enfants d’Icare » ou bien « Les chants de la Terre lointaine » ? Mais sans garantie de succès… 😀
J’irai voir ces deux titres, il me faut lire un deuxième titre, histoire de ne pas rester sur une « mauvaise note ».
En espérant que ça fonctionne. 😉
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