La nuit du faune, de Romain Lucazeau

Posted on 19 octobre 2021
Romain Lucazeau s’est fait connaître avec l’arrivée il y a quelques années de son diptyque de space-opera « Latium ». Encensé par la critique (même si je n’ai moi-même pas été très emballé, en tout cas pas suffisamment pour lire le tome 2…) et gros succès commercial, « Latium » a propulsé l’auteur sur le devant de la scène, un tel statut amenant forcément une certaine curiosité impatiente quant à la parution suivante de Romain Lucazeau. Et ce successeur, le voici : « La nuit du faune ». L’espace intersidéral est toujours là, mais d’une manière et sur une longueur bien différentes.

 

Quatrième de couverture :

Au sommet d’une montagne vit une petite fille nommée Astrée, avec pour seule compagnie de vieilles machines silencieuses. Un après-midi, elle est dérangée par l’apparition inopinée d’un faune en quête de gloire et de savoir. Le faune veut appréhender le destin qui attend sa race primitive. Astrée, pour sa part, est consumée d’un ennui mortel, face à un cosmos que sa science a privé de toute profondeur et de toute poésie. Et sous son apparence d’enfant, se cache une très ancienne créature, dernière représentante d’un peuple disparu, aux pouvoirs considérables. À la nuit tombée, tous deux entreprennent un voyage intersidéral, du Système solaire jusqu’au centre de la Voie lactée, et plus loin encore, à la rencontre de civilisations et de formes de vies inimaginables.

 

Is there anybody out there ?

« La nuit du faune » débute avec une petite fille, accompagnée d’un serviteur robotique, vivant une vie heureuse dans un lieu semble-t-il paradisiaque bien qu’isolé sur une montagne. Puis un intrus qu’elle n’avait pas vu venir débarque sans crier gare dans ce petit cocon. Le lecteur s’aperçoit très rapidement que la petite fille, nommée Astrée, est la dernière représentante d’une très ancienne civilisation disparue depuis des millions d’années. Quant au faune, qu’Astrée nommera Polémas, il représente une jeune espèce déjà intelligente pour qui l’habitation protégée et auto-régulée d’Astrée est une demeure divine dont l’accès garantit à celui qui parviendra à s’y rendre le savoir.

D’un coté nous avons donc Polémas, qui a soif de connaissance, de l’autre nous avons Astrée, dont le savoir est immense, à un point tel que le désenchantement a pris le pas sur l’étonnement et la surprise puisque rien de ce monde ne lui est inconnu. Son choix d’être une petite fille n’a rien d’anodin et représente une certaine volonté de retrouver une innocence perdue depuis des éons.

Le désir d’apprendre de Polémas va faire renaître un espoir chez Astrée, l’espoir de revoir du merveilleux, un espoir peut-être vain mais pourquoi ne pas essayer ? Elle va donc montrer à Polémas, tout en l’avertissant qu’il risque fort d’être déçu de ce qu’il verra, la connaissance à l’échelle de l’univers, depuis la création de la vie et les multiples civilisations (oui oui) qui ont vécu sur Terre, jusqu’à un point de vue véritablement cosmique, en passant par la Lune, Jupiter, Encelade, le nuage d’Oort, le centre galactique, et même plus loin encore.

Quel vertigineux voyage nous propose Romain Lucazeau ! Sous des airs de conte philosophique (ce qu’il est complètement, Polémas étant une sorte de Candide qu’Astrée se charge d’éduquer, et les personnages ne servant au fond qu’à illustrer ce que l’auteur souhaite exposer plutôt qu’être réalistes, incarnés, doués de sentiments, complexes et/ou torturés), l’auteur nous offre un voyage galactique qui, sur des bases scientifiques solides et avec une bonne dose de hard-SF à la clé (tout à fait compréhensible puisque Romain Lucazeau fait l’effort d’être très didactique même si quelques notions peuvent sembler un peu ardues) est une sorte de réenchantement des sciences dites dures.

Ainsi, en commençant « petit » et en exposant l’impermanence des civilisations malgré des cycles évolutifs allant bien au-delà de ce que l’on pourrait imaginer (passant du carbone au silicium puis à bien d’autres choses jusqu’à des extrémités liées à des étoiles à neutrons utilisées dans un but bien particulier, méta-civilisations, repli sur soi absolu et singulier (au sens strict du terme), fuite en avant laissée au hasard d’un astéroïde voyageur, et j’en passe…) puis en jouant avec l’intrication quantique, la création des galaxies, les trous noirs, les quasars, la matière exotique, la matière noire, les origines de l’univers, etc, Romain Lucazeau fait rien de moins qu’utiliser les énigmes les plus fameuses de l’univers pour incarner quelque chose de plus grand que tout, un conflit éternel entre entropie et îlots de vie à l’échelle de l’univers, expliquant de nombreux phénomènes plus locaux observés par Astrée et Polémas.

Disons-le tout de suite, même si ça commence doucement tout en proposant des choses attrayantes, pleines d’imagination et même parfois touchantes (ce vaisseau sur la Lune), la dimension que prend par la suite le récit fait de lui un générateur de sense of wonder à l’état pur et sans égal. Pourtant, Romain Lucazeau ne dépeint pas là de fresque épique ni ne déploie toute la machinerie SF propre à ébouriffer le lecteur en manque de conflits à grande échelle, mais les proportions atteintes par son récit et sa manière de jouer avec les grandes énigmes de la physique moderne (à l’échelle quantique tout autant qu’à l’échelle relativiste) ne peuvent que faire fondre tout lecteur un minimum intéressé par l’astrophysique.

Alors certes, cela ne fait sans doute pas de « La nuit du faune » un roman qui s’adresse à tous. Ceux qui cherchent des personnages consistants en seront pour leur frais. Ceux qui veulent du background dense et touffu, avec histoire complexe, conflits et relations diplomatiques aussi, car le roman va bien au-delà de ça. Son propos c’est l’univers entier, dans l’espace et le temps, rien que ça. C’est un vrai tour de force narratif qui fait tourner la tête et qui n’oublie pas non plus de rendre hommage à de nombreux auteurs passés avant lui (il y a du Clarke, du Farmer, du Baxter, du Egan…). Et quand on constate que cette immense visite des coulisses de l’univers (dont il y aurait encore beaucoup à dire !), avec les révélations titanesques afférentes, se fait en 250 petites pages (illustrées par la superbe couverture de Anouck Faure), on est bien obligé de s’incliner : Romain Lucazeau a cassé le game de la hard-SF pour un bon moment. Stupéfiant !

 

Lire aussi l’avis de Gromovar, Feyd-Rautha, Célindanaé, Sabine, Anne-Laure, Yogo, Lullaby, Le chien critique, Weirdaholic, et plein plein (PLEIN !!) d’autres…

 

  
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