Les dents de lait, de Helene Bukoswki
Quatrième de couverture :
Skalde et sa mère Edith vivent dans leur maison isolée à l’orée de la forêt. L’adolescente n’a jamais vu le bleu du ciel : leur région est en proie au brouillard et à la sécheresse depuis si longtemps. Les derniers habitants du coin, après avoir fait sauter l’unique pont qui les reliait au reste du monde, espèrent ainsi que leur autarcie volontaire les protègera du chaos. Un jour, Skalde découvre dans une clairière une enfant à la chevelure rouge feu. D’où vient-elle ? Comment a-t-elle pu arriver jusqu’ici ? Consciente de sa transgression, l’adolescente recueille la petite fille, sous le regard méfiant de sa mère Edith. Car les deux femmes ne se sont jamais vraiment intégrées à cette communauté pétrie de peurs et de superstitions. Tandis que les villageois s’organisent, le trio devra bientôt faire face à une véritable chasse aux sorcières.
Premier roman frappant, Les Dents de lait est une fable moderne sur la peur et la différence.
Un grain de sable aux cheveux roux
Que le lecteur qui souhaite aborder un roman post-apocalyptique au contexte détaillé passe son chemin ! L’autrice allemande Helene Bukoswski (car oui, les éditions Gallmeister ont décidé d’aborder d’autres territoires que la seule littérature américaine) n’use en effet d’une situation a priori post-apo que pour mieux s’intéresser à la communauté qu’elle met en scène et à ses personnages. Une communauté fermée, isolée, à taille humaine, qui a décidé de faire sauter le pont la reliant au monde extérieur, alors que le soleil est constamment masqué par un brouillard persistant. Une manière de se préserver des éléments extérieurs, au prix de certaines règles que chaque membre se doit de respecter.
Du contexte général, on ne saura rien de plus que le fait que le monde a changé. Mais dans quelle proportion ? Suite à quel évènement ? Aucune réponse, ce n’est pas le sujet du roman. Car Helene Bukoswki, plutôt que d’aborder la société humaine dans son ensemble, préfère s’intéresser à un grain de sable qui va gripper la mécanique bien huilée de la petite communauté. Un grain de sable incarné par une petite fille au cheveux roux nommée Meisis, qui apparait un beau matin dans la vie de Skalde, jeune femme qui vit avec sa mère dans une maison isolée. Décidée à l’accueillir malgré l’évidente violation des règles de la communauté, Skalde va devoir gérer cette arrivée impromptue tout autant que les réactions de sa mère et du voisinage.
Roman dénonçant le repli sur soi et la peur de l’autre, « Les dents de lait » ne manque pas d’interroger sur l’intérêt (ou plutôt la futilité) pour certaines personnes de s’accrocher à un monde qui n’est déjà plus, et qui, pour se faire, se replient au sein d’une communauté fermée, craintive, voire menaçante. Helene Bukowski incite ainsi à voir le monde changeant en face et ne pas faire l’autruche.
Skalde y sera forcée, elle qui ne peut s’empêcher de prendre une décision (héberger Meisis) qui la met en porte-à-faux avec la communauté. Ce qui sera loin d’être une évidence pour elle, bien qu’elle se trouvera confrontée à la suspicion, le mensonge, les menaces.
Le roman, au fil de ses 77 chapitres (!!) parfois très courts, lève progressivement le voile sur le passé de Skalde ou celui de sa mère, leur relation parfois conflictuelle, et leur arrivée dans la communauté. Rythmé par des phrases courtes, relevé ici ou là par de petits mots écrits sur des morceaux de papier reflétant les pensées de Skalde, le roman ne s’attarde guère, il n’en a pas intérêt, et le lecteur arrivera vite à la conclusion au bout d’un peu plus de 250 pages.
Une conclusion qui ne surprendra guère d’ailleurs, tant le parcours de Skalde, donnant clairement au roman son statut de récit d’apprentissage, est logique, mais cette inévitable résultante d’une communauté gorgée de jalousie et de rancoeurs jouant plus ou moins volontairement sur la peur pour garder son statu quo aboutit à quelque chose de simple et beau à la fois, tout autant que déchirant. Même si là encore, le lecteur avide de réponses claires en sera pour ses frais…
En tout cas, « Les dents de lait » est un beau récit, à échelle humaine, sur la tolérance, les relations familiales, la fragilité d’une communauté sur le point de rompre, sur les illusions qu’elle entretient, et in fine sur le passage à l’âge adulte. Sans doute ne s’adresse-t-il pas au fan hardcode de SF, un genre auquel il ne se rattache que par le bord extérieur du bout de la marge ( 😀 ), mais au-delà du genre, le roman offre un récit simple et sensible, une jolie découverte.
Lire aussi l’avis de Yogo.
Merci pour la découverte de ce roman qui pose des questionnements intéressants et pour cette chronique très éclairante.
Avec plaisir !
Si j’ai réussi à éveiller un certain intérêt envers le roman, c’est que mon but est atteint. 😉
Tu en parles beaucoup mieux que moi.
Je l’ai lu vite, apprécierais je reste sur ma faim faute à tous les éléments jetés en pâture sans aucune explication contextuelle.
Mais le roman est ailleurs et à sa propre sensibilité.
Je ne sais pas si j’en parle mieux que toi, mais en tout cas on en parle, c’est le principal ! 😀
Quand on baigne dans la SF, on s’attend à avoir un peu de contexte général, une vue d’ensemble, mais ce n’est pas le cas, et ça peut évidemment poser problème…
Mais en effet, l’intérêt et le but du roman sont ailleurs. Et de ce côté-là c’est plutôt réussi, sans pour autant que le roman soit réellement surprenant ou particulièrement marquant.
C’est intéressant. J’avais l’idée que Gallmeister publiait de la littérature américaine, certes, mais aussi des trucs assez virils / bruts de décoffrage, donc je ne m’attendais pas à trouver ça chez eux.
Ce que tu dis me rappelle, dans un tout autre genre, le film le Village de Shyamalan…
Il y a des trucs très « doux » aussi chez Gallmeister, dans le style « nature writing » justement, qui est souvent très contemplatif et proche de la nature.
J’ai un souvenir assez extraordinaire du « Indian Creek » de Pete Fromm par exemple : https://www.lorhkan.com/2016/06/13/indian-creek-de-pete-fromm/
Ah oui, ta chronique de Indian Creek vend du rêve! 🙂
Un grand souvenir ! 😉
Il a l’air intéressant comme roman, à voir ^^ et puis de la littérature allemande ça nous change un peu !
Effectivement, à part Andreas Eschbach, on n’a pas grand chose en littérature de SF allemande, même si concernant « Les dents de lait » on n’est pas tout à fait dans la pure SF.
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