La chose, de John W. Campbell
Quatrième de couverture :
En Antarctique, quelque part.
Enfoui sous la glace, aux abord d’un artefact aux allures de vaisseau spatial, des scientifiques découvrent un corps congelé — gisant là, sans doute, depuis des millions d’années. Un corps résolument inhumain. Résolument… autre. Le choix est alors fait de ramener la stupéfiante découverte à la station pour étude. Doucement, la gangue de glace autour de la créature commence à fondre, libérant peu à peu cette totale étrangeté à l’aspect terrifiant. Et les questions de traverser l’équipe de chercheurs : qu’est-ce que cette chose ? Comment est-elle arrivée là ? Et après tout, est-elle seulement morte ? N’ont-ils pas mis au jour la plus épouvantable des abominations — une horreur proprement cosmique ?
Récit haletant paru en 1938, proposé ici dans une nouvelle traduction, La Chose est un immense classique de la science-fiction mondiale. Porté à l’écran à trois reprises, ce court roman pose les bases du récit de SF horrifique.
Paranoïa en Antarctique
1938 ! Voilà un texte qui ne date pas d’hier… Situé dans un Antarctique mal connu à l’époque (ce qui pousserait à le comparer aux « Montagnes hallucinées » de Lovecraft, écrit en 1931 et paru en 1936, alors que les deux textes n’ont que très peu de choses en commun, si ce n’est une forme de vie « monstrueusement extraterrestre » et l’Antarctique, que Lovecraft décrit beaucoup mais que Campbell, au-delà de quelques éléments de contexte scientifiques, n’utilise que comme une solution permettant d’isoler ses personnages puisque le texte est essentiellement un huis-clos), « La chose », portée à l’écran à plusieurs reprises dont le célèbre « The thing » de John Carpenter, met en scène un groupe de scientifiques qui découvre un vaisseau extraterrestre et surtout une créature, congelée. Créature qu’ils s’avisent de décongeler. Pour leur plus grand malheur bien sûr.
Plusieurs points d’intérêt sur ce texte. La créature tout d’abord. Dangereuse. Mortelle même. Mais intrinsèquement mauvaise ? Certes non, en tout cas pas apparemment. Un élément éclairé très directement par la nouvelle de Peter Watts, « Les choses », dans le recueil « Au-delà du gouffre », qui prend le point de vue de la créature, là ou John Campbell entretient le flou par l’intermédiaire de ces scientifiques qui tentent de survivre face à une créature qui n’a pourtant que le seul, unique et vraisemblablement même but.
Cette créature, pour qu’elle soit considérée comme si dangereuse, se doit d’avoir un petit quelque chose en plus. Et en effet, ses capacités biologiques font d’elle une forme de vie bien à part. Capable de prendre possession du corps de n’importe quelle forme de vie tout en gardant la possibilité de se multiplier (et donc de « posséder » un groupe entier de formes de vie étrangères à elle) , elle peut de ce fait être totalement invisible et continuer ses « méfaits ». De là, en creux, de pose la question de la définition de l’humain si une telle créature est capable de prendre possession des corps humains, sans modifier leur comportement, physique comme psychologique. Une créature radicalement autre mais qui sait aussi se faire totalement humaine, biologiquement parlant. La créature parfaite ? D’un certain point de vue, peut-être…
D’un point de vue narratif, c’est plus délicat… « La chose » se déroule sans temps mort. C’est sans doute là son point faible. En effet, alors que le récit se centre sur quelques personnes isolées et menacées par une forme de vie qui peut potentiellement tous les contaminer (et les éliminer) sans qu’aucun d’eux ne s’en rende compte, le côté paranoïaque du récit, qui devrait être poussé à son paroxysme (imaginez que ces personnes « s’obligent » à rester en petits groupes pour que le moindre élément suspect soit immédiatement mis au jour, ils doivent donc tous se poser mille questions sur ceux qu’ils fréquentent, avoir des doutes, surveiller de près, suspecter, etc…) tombe un peu à plat car la brièveté du récit nécessite d’avancer sans trop s’attarder.
Et pourtant, quoi de mieux pour sombrer dans la paranoïa que de prendre son temps ? Comme au cinéma lorsqu’une scène s’allonge, le temps se suspend pour mieux entretenir le malaise, l’interrogation, le suspense… Pas de ça ici car le texte avance, inéluctablement, en restant très factuel, loin des atermoiements et des doutes, qu’on imagine pourtant nombreux, des scientifiques. Aucune plongée dans la tête des uns et des autres, aucune introspection. « La chose » ne joue pas assez sur le ressort psychologique pour mettre le lecteur mal à l’aise, pour le faire douter, pour le rendre paranoïaque à l’égal des personnages. Le récit ne prend pas le temps suffisant pour cela.
On peut ajouter à cela des personnages finalement assez nombreux et interchangeables (et qu’on confond assez rapidement) et quelques explications scientifiques (élément qu’appréciait John W. Campbell pour « élever » la SF) pas toujours très claires, et on obtient au bout du compte un récit sans aucun doute archétypal de la SF horrifique qui a, à raison, fait sensation en son temps, mais qui, du fait d’avoir été vu et revu des centaines de fois depuis, n’a plus suffisamment d’éléments en sa faveur pour emporter l’adhésion complète (de mon point de vue en tout cas, la plupart de mes collègues blogueurs n’allant pas dans le même sens que moi…). Il existe, en tout cas en VO, une version longue de ce texte, un roman en fait, qui aurait potentiellement pu pallier les problèmes que je soulève ici, mais de l’avis général il n’est pas d’aussi bonne qualité que cette version courte. Dommage…
En l’état, à mes yeux, « La chose » vaut plus pour l’aspect historique et patrimonial de la SF que pour ses qualités intrinsèques qui ont quelque peu pâli aujourd’hui, ou en tout cas qui m’ont laissé un goût de trop peu sur un aspect psychologique que j’attendais nettement plus soutenu. Je tiens malgré tout à souligner la qualité de la traduction de Pierre-Paul Durastanti qui a su donner au texte une telle jeunesse que son âge disparaît totalement (plus de 80 ans ! Pas l’âge de Pierre-Paul hein, celui du texte de Campbell ! 😀 ). « La chose » se lit donc encore très bien, même s’il manque un peu de substance psychologique. Mais pour qui attend un texte direct et sans temps mort posant quelques questions en creux « à la Dick » sur ce qui constitue un être humain, mais abordées, via l’altérité, de manière radicalement différente et sur un plan évidemment plus organique que technologique, la novella de Campbell a encore des atouts pour convaincre.
Lire aussi les avis de Feyd-Rautha, Lutin, Célindanaé, TmbM, Nicolas, Marquise, Nomic, Aelinel, Gepe, Philémont, RoadReader, Boudicca…
Critique écrite dans le cadre du challenge « #ProjetOmbre » de OmbreBones.
En fait, la version longue (“Frozen Hell”) ne pallie pas aux problèmes que tu soulèves : les chapitres supprimés par Campbell se situent au début du texte et ont été condensés sous forme de flashbacks dans “La Chose”. Ils racontent juste la découverte de l’astronef, du corps de la bestiole, et le retour de l’expédition à la base, avec McReady qui fait des rêves prémonitoires (parce que dans cette version, la créature, même sous forme de glaçon, reste vaguement télépathe). Cela, sans que la psychologie des personnages ne soit davantage creusée ¯\_(ツ)_/¯
Le début de la novella est assez exemplaire dans sa présentation des faits : c’est clair, c’est bien amené, c’est succinct et résumé mais ça suffit largement, même si c’est rédigé de manière très « mécanique », pour le lecteur avant tout et ça se sent. Faire un vrai récit au présent de cette introduction n’est pas inintéressant mais ça alourdit sans doute (et allonge) assez nettement la narration. De ce point de vue, avoir condensé toutes ces scènes n’est en effet pas une mauvaise chose.
Du coup, à l’évidence, le roman n’apportera pas ce que je recherche. Dommage ! Mais merci pour les infos. 😉
En fait, Campbell a appliqué à lui-même les conseils qu’il prodiguait ou allait prodiguer à ses poulains. Dans la préface de “Frozen Hell”, Robert Silverberg écrit que cette version préliminaire de “La Chose” a un intérêt patrimonial, dans le sens où l’on voit comment l’auteur a progressé.
Cela étant dit, oui, “La Chose” n’est pas exempt de défauts (trop de personnages, une conclusion qui aurait gagné à être aussi pêchue que dans les films — la scène finale de la version de 1951 comme celle de 1982 ont marqué, à raison). Des défauts plus visibles maintenant qu’à l’époque de publication, la SF ayant progressé elle aussi depuis 😉
Oui, je vois ce que veux dire Silverberg. Et on voit aussi que les conseils de Campbell sont bons puisqu’il se les applique à lui-même, à bon escient. En voilà un qui ne pratiquait pas le « faites ce que je dis, pas ce que je fais », du moins pas sur ce point précis. 😉
Ah c’est vrai que je n’ai pas parlé de la conclusion, beaucoup moins frappante en effet (parce que moins désespérée ?) que celle du film de Carpenter (je n’ai pas vu le film de 1951)… Pour le reste je suis bien d’accord, et c’est ce que je dis dans mon article : à sa sortie, le texte avait tous les atouts pour faire sensation, il est inévitablement moins marquant maintenant. Mais je n’en regrette pas ma lecture pour autant. 😉
Assurément un livre que je lirais s’il croisait mon chemin.
Ah ben c’est pas très compliqué : un passage en librairie et hop ! 😀
Non mais justement il y a deux catégories de bouquins: ceux que je lirai (au futur) car j’irai les acheter et ceux que je lirais (au conditionnel) s’ils croisaient mon chemin. Lui, il est dans la deuxième catégorie, donc je n’irai pas à lui. 😀
Arf, piégé par le ‘s’ du conditionnel… 😀
Ah, tu soulèves très bien les problèmes de cette novella ! Les personnages sont effectivement interchangeables, et pour une novella censée être horrifique, j’attendais mieux, mais bon, le texte est ancien aussi ^^
Oui, il faut lui pardonner son grand âge ! 😀
Le texte a moins d’impact aujourd’hui, mais il se lit toujours très bien.
En tout cas, tu me rassures, je me sentais un petit peu seul à avoir un tel ressenti, alors merci d’être là. 😀
Bon bah si ça a un caractère patrimonial ça devrait me plaire. J’ai jamais vu le film de Carpenter donc je ne sais même pas dans quoi je mets les pieds xD
Ah, je croyais être un vrai extraterrestre, un des derniers à ne pas avoir vu le film de Carpenter jusqu’à il y a quelques mois. Finalement, toi aussi tu es une « Chose ». 😆
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