Fungus, le roi des Pyrénées, de Albert Sánchez Piñol
Quatrième de couverture :
1888. Ric-Ric est un pauvre diable, un anarchiste dépenaillé qui ne trouve sa place que dans une grotte perdue des Pyrénées catalanes. Sur ce territoire sillonné par les contrebandiers et les malfaiteurs, il découvre par hasard des créatures ignorées de la civilisation : les fungus, gigantesques champignons anthropomorphes auxquels il donne vie accidentellement. Émerveillé par leurs extraordinaires capacités et leur sens de la communauté, Ric-Ric voit en eux l’arme définitive qui va lui permettre de concrétiser ses désirs : conquérir la belle Mailís, femme fatale malgré elle, instaurer une société anarchiste où régnerait une véritable fraternité et se venger de ceux qui l’ont traité cruellement, des gardes civils à l’aubergiste local qui se comporte en seigneur et maître des lieux. À la tête des fungus, Ric-Ric réussit à constituer une armée invincible afin d’affronter, lors de batailles homériques et grâce à une singulière stratégie militaire, les troupes françaises et espagnoles.
Dans son nouvel opus, Albert Sánchez Piñol renoue avec la veine fantastique. Porté par un souffle épique et une fantaisie débordante, ce « western hivernal du XIXe siècle dans les Pyrénées », pour reprendre les termes de l’auteur lui-même, absorbe le lecteur médusé dans une allégorie du pouvoir en forme de chimère romanesque.
Des champignons hallucinants !
Quel étonnant roman que ce « Fungus » signé Albert Sánchez Piñol ! Il faut en effet « oser » pour écrire l’histoire d’un homme réfugié dans les Pyrénées à la fin du XIXe siècle qui parvient à s’entourer d’une armée de champignons auxquels il a insufflé la vie ! Et pourtant, avec une bonne dose de suspension d’incrédulité, on se laisse embarquer et on suit Ric-Ric, anarchiste à la petite semaine qui, pour fuir les autorités espagnoles auprès desquelles il s’est un peu trop fait remarquer, décide de s’exiler au fin fond des Pyrénées, entre France et Espagne dans une zone contrôlée par les contrebandiers et autres petits voyous, là où il sera à l’abri du pouvoir étatique. Sans grand esprit ni grande volonté, il finit par tomber sous la coupe de Cassian, un malfrat local propriétaire d’un ostal (auberge) très fréquenté.
Dans ces montagnes, il rencontre également Mailís, une femme dont il va évidemment tomber amoureux. En chemin pour préparer un rendez-vous avec sa belle, l’impensable se produit : Ric-Ric, sans le vouloir (ni même savoir que cela était possible), éveille un de ces champignons… Effrayé, il court dans son dérisoire abri montagnard et s’y évanouit. Le lendemain, il s’aperçoit que cet énorme champignon l’a suivi et observé toute la nuit, sans bouger. Parvenant à l’enfermer, il se précipite à l’ostal de Cassian mais trop tard : Mailís est partie. Cassian lui raconte alors cyniquement ce qui est arrivé à l’élue de son coeur. Le début d’un engrenage infernal…
« Fungus, le roi des Pyrénées », plus qu’un roman fantastique dont le genre serait une fin en soi, se lit comme une fable métaphorique sur le Pouvoir, celui qui donne des moyens, celui qui permet d’atteindre ses objectifs, mais aussi celui qui corrompt, celui qui transforme, celui qui déforme. Pour autant, soyons clair, d’une part le roman est bel et bien un roman fantastique, son contexte est en cela une évidence, et d’autre part si le côté « fable » peut faire peur et détourner les amateurs de fantastique, il faut bien dire ce qui est : le texte se lit avec un grand plaisir du début à la fin.
Oh certes, il n’invente rien dans son propos, d’autres sont passés avant lui, de Jonathan Swift avec « Les voyages de Gulliver » (les hommes sont-ils intrinsèquement corrompus ou bien le deviennent-ils ?) à Mary Shelley avec « Frankenstein » (avec la, ou dans le cas présent les créatures (car d’un seul au départ, les champignons vivants finiront par constituer une véritable armée) qui échappent à leur « créateur » et cherchent à devenir humaines, avec un certain succès, en tout cas plus que d’autres vrais humains). Mais ce roman soft-weird pastoral, qu’aurait pu écrire un Jeff VanderMeer s’il était né dans les montagnes pyrénéennes, et sa façon d’aborder la notion de Pouvoir (comment chacun le conçoit, ce qu’il en fait, ce qu’il en retire, etc…) fait mouche grâce à une maîtrise narrative tranquille de Albert Sánchez Piñol : les différents personnages sont développés (notamment leur passé) au bon moment, ce qui permet d’agréablement casser la linéarité du récit, le roman est relancé régulièrement à mesure que Ric-Ric, alcoolique notoire, s’enfonce dans le pétrin (et illustre encore une fois la corruption du pouvoir en perdant de vue son Idéal (avec la majuscule) pour devenir un simple tyran cherchant à exaucer ses souhaits par la force), l’action est bien présente (n’allez pas croire qu’il s’agit d’un pensum, on en est très loin !), l’ambiance est au rendez-vous, etc… De la belle ouvrage.
On trouvera bien ce qui pourrait passer pour quelques petites incohérences ici ou là (sur le nombre de fungus dévoués à Ric-Ric ou bien sur leur résistance aux balles), mais à l’évidence le worldbuilding (si tant est qu’on puisse parler de worldbuilding dans un roman comme celui-ci) n’était pas le souci principal de Albert Sánchez Piñol (malgré une belle carte en début d’ouvrage, l’occasion d’indiquer aussi les quelques illustrations et la couverture de Quim Hereu, et la traduction sans faille de Marianne Millon), et on lui pardonnera aisément ces quelques points un peu moins maîtrisés et qui n’ont au fond guère d’importance. On préfèrera sans peine garder en mémoire le message du roman et cette armée champignonnesque, une armée en marche, prête à déferler des Pyrénées et transformer la société humaine… Une vision étrange, hallucinante même ! 😉
Je plaide coupable de ma méconnaissance totale de l’auteur. Mais tu m’as tout à fait donner envie d’y remédier avec ce livre au pitch totalement improbable mais – ou « et donc » ? – tentant. Merci pour la découverte. ^^
Je ne connaissais pas non plus les textes de l’auteur, donc ça va, je ne vais pas te taper sur les doigts, Griaule m’en garde. 😉
Ha ça pour être improbable, c’est un pitch improbable ! Mais c’est vrai qu’une armée de champignons au coeur des Pyrénées de la fin du XIXe siècle, comment résister ? J’ai déjà hâte de savoir ce que tu vas en penser… 😉
Bonjour,
Je reecris mon message qui a dû s’égarer.
J’ignorais qu’il était sorti en français, ayant lu de lui Pandora en el Congo.
Je note celui que vous chroniquez .Ça a l’air déjanté ce qui ne me surprend pas.
Il était bien là, mais il fallait que je le valide. 😉 Du coup, je supprime le précédent.
En fait, le roman n’est pas encore tout à fait sorti mais ça va être très rapide puisqu’il sort officiellement demain.
Le contexte est en effet un peu déjanté (une armée de champignons au coeur des Pyrénées, il fallait y penser ! 😀 ), mais le roman n’est pas pour autant un texte comique. C’est même plutôt sombre quand on pense aux évènements qui y sont contés.
Ah désolée,merci pour la validation
Et merci pour m’info
Pas de souci, avec plaisir. 😉
J’ai lu un de ses romans, la Peau froide, mais je n’ai pas aimé. J’ai même parlé d' »ersatz » dans ma chronique, lol. Je pense que je serais moins radicale aujourd’hui. En tout cas, cette histoire de champigons m’éclate!
Ersatz, comme tu y vas ! 😀 Mais bon, comme je n’ai pas lu « La peau froide », je ne me prononcerai pas, même si je suppose quand même que Piñol n’avait pas pour but de « faire du Lovecraft » (puisque je pense que c’est à ça que tu le comparais), du moins pas seulement. Mais j’ai dit que je ne me prononcerai pas, donc je ne me prononce pas. 😀
Oui, ces champignons, c’est carrément l’hallu ! 😀
J’étais furieuse le jour où j’ai écrit le billet, à tel point que j’ai ajouté un paragraphe « il faut que vous sachiez que j’étais furieuse en écrivant ce billet », lol. Et oui, je pensais à Lovecraft.
Haha, un joli disclaimer pour nuancer un propos écrit sous le coup de la colère, bien vu !
(oui je suis allé voir ta critique, et je suis maintenant bien curieux de connaître l’identité de celle qui avait provoqué ton ire… 😉 )
Héhé. C’est terrible le net, quand même, ça laisse des traces. Parfois, je me lis et je ne me reconnais pas.
C’est un pitch intrigant en tout cas ! A voir pour moi, ça pourrait me tenter.
On en voit rarement des pitchs comme ça ! 😀
Merci de contribuer à la découverte de cet auteur catalan.
Et le travail de Marianne Millon qui traduit aussi bien l’espagnol que le catalan est remarquable.
Avec plaisir. 😉
En effet, la traduction de Marianne Millon est remarquable, il faut le signaler.