Bifrost 101, spécial Dan Simmons
Ouf, avec cet article sur le Bifrost 101, voilà que je rattrape mon retard accumulé depuis deux numéros. Un numéro 101 placé sous le signe d’un auteur autrefois adulé, aujourd’hui plutôt décrié pour ses prises de position contestables : Dan Simmons. Mais ses oeuvres restent, absolument majeures et incontournables dans le genre SFFF pour certaines d’entre elles.
Les rubriques habituelles
On commence évidemment par le traditionnel édito d’Olivier Girard qui revient sur une année 2020 forcément bousculée par la pandémie, et dont les chiffres sont par ailleurs trompeurs et très contrastés d’un éditeur à l’autre. Reste à croiser les doigts pour un retour à la normale le plus rapidement possible…
On trouve aussi bien sûr les critiques des récentes parutions de livres et de revues (Thomas Day toujours en grande forme), c’est une rubrique que j’affectionne toujours tant elle couvre un large spectre de l’actualité éditoriale et me permet de voir si j’ai raté quelques parutions potentiellement intéressantes (réponse : oui et non. Oui car je ne peux pas tout me procurer ni tout lire, non parce que rien d’intéressant n’était passé sous mon radar).
L’interview de ce numéro est consacré à Richard Comballot, homme aux multiples casquettes (essayiste, intervieweur-fleuve des auteurs de SF français, préfacier, anthologiste…). Un entretien intéressant, qui revient sur un « homme de l’ombre » à qui l’on doit notamment de nombreux entretiens très approfondis parus sur différents supports (dont le Bifrost bien sûr, la revue affectionnant les interviews avec les auteurs au sommaire).
L’article « Scientifiction » de Roland Lehoucq s’intéresse au temps, une notion fascinante lorsqu’elle est utilisée, souvent de manière vertigineuse, en SF. Ici, c’est évidemment la science qui prévaut, et il faut bien dire qu’il m’a fallu deux lectures de l’article pour appréhender tout (enfin, tout, c’est un bien grand mot… 😀 ) ce que le bon professeur Lehoucq aborde. C’est dense, c’est touffu, velu même. La science, c’est beau, mais parfois il faut s’accrocher. 😀
Suivent ensuite quelques news et l’annonce des lauréats du Prix des lecteurs de Bifrost 2020. Il semble que je sois un peu à côté de la plaque, ayant voté pour Ken Liu et Michel Pagel (après une lutte acharnée avec la fantasy de Thomas Day). Les goûts et les couleurs… 😉
Enfin, un bel hommage à Joseph Altairac, parti trop tôt rejoindre ses idoles de SF, nous est donné par ses amis Nelle Champdecoeurs et Martinique Domel (anagrammes faciles à décrypter). Forcément émouvant.
Le dossier Dan Simmons
Aaaaah, Dan Simmons, auteur clivant s’il en est. Quoique, peut-être fait-il dorénavant consensus… Contre lui ! Contre l’homme, s’entend, lui qui a depuis quelques années pris une tournure particulière, lorgnant plus qu’ouvertement vers l’extrême-droite américaine… C’est évidemment de l’homme Dan Simmons dont il est sujet dans ce dossier, mais aussi de ses oeuvres. Car pour aussi politiquement orienté soit-il depuis quelque temps, il a aussi beaucoup écrit dans nos genres favoris, et parfois avec grand talent.
Le dossier débute donc avec un article écrit par Apophis qui se fait plaisir en lui donnant une structure faisant résonnance avec celle du roman « Hypérion ». A la fois thématique et chronologique, l’article permet de faire connaissance un peu plus en profondeur avec Dan Simmons, sa vie, sa carrière, sa manière d’aborder le travail d’écrivain, etc… Evidemment instructif.
On trouve également un entretien avec Simmons, mené par David Barr Kirtley en 2013. Il est toujours intéressant de voir la personne concernée par un dossier de l’intérieur. Ca donne une vision différente, plus personnelle, forcément plus partiale, mais toujours intéressante. C’est le cas ici, même on trouve évidemment quelques redites avec l’article précédent. Après tout, l’interview est assez classique dans ses questions : ses débuts en tant qu’auteur, son avis sur l’état du marché éditorial du genre horrifique, quelques focus sur des points ou des textes particuliers, etc… Avec en bonus quelques questions un peu plus politiques, rien d’étonnant vu les réactions à certaines de ses sorties verbales ou livresques (« Flashback » notamment)…
Le traditionnel guide de lecture est scindé en trois articles : les nouvelles, les romans SFFF et les polars. Alors là, bien sûr, on sort la liste de courses en lisant tout ça. Quelques nouvelles me semblent intéressantes, et au-delà du cycle des « Cantos d’Hypérion » que je suis en train de lire, il faudra bien un jour que je me frotte à « L’échiquier du mal » et à « Terreur ». « Ilium » me tente beaucoup aussi, mais les critiques globalement négatives (pas seulement sur ce Bifrost) de la suite, « Olympos« , me refroidissent un peu… Pour le reste, il y a aussi des choses qui m’intéressent moins, question de goût sans doute, mais pas seulement, les critiques dans ce guide de lecture montrant aussi que Simmons n’a pas écrit que des chefs d’oeuvre (mais un « seulement bon » roman de Simmons, c’est déjà pas mal, non ?).
Dominique Warfa a écrit un volumineux et sans doute très complet article sur le cycle des « Cantos d’Hypérion », oeuvre majeure de l’auteur américain et incontournable en SF. Je dis sans doute car je n’ai pas tout lu. M’étant pour le moment arrêté à la fin du premier tome, j’ai arrêté ma lecture de l’article dès que « La chute d’Hypérion » est abordée. J’y reviendrai une fois le cycle terminé. Mais de ce que j’en ai lu, l’analyse est approfondie et passionnante.
Jean-Daniel Brèque revient ensuite sur le clash (début 2009) entre Simmons et lui-même, qui a conduit à son éviction pure et simple par l’auteur, à l’époque où il en était plus ou moins le traducteur attitré. C’est un point de vue éminemment personnel sur la question qui nous est proposé là, un évènement que le traducteur a pris de plein fouet. Il revient sur sa découverte des romans de Simmons, personnellement comme professionnellement, puis sur le clash en lui-même, avant de l’analyser avec quelques années de recul. A l’évidence, la fracture est irrémédiable.
Enfin, as usual, Alain Sprauel se fend d’une bibliographie complète, le genre d’article qu’on aime potasser autant que Noosfere (sauf que c’est en version papier et que c’est donc moins pratique d’y faire des recherches… 😀 ). Un travail formidable et à saluer bien bas.
Et en bonus, uniquement dans le version numérique (epub) de la revue, un bel article dans lequel Dan Simmons dévoile tout l’amour qu’il porte aux écrits de Jack Vance (article auparavant paru dans le Bifrost HS2, consacré à Vance justement). Prenant appui notamment sur deux romans, « Les maîtres des dragons » et « Les langages de Pao » (que Simmons résume de manière assez détaillée…), il dissèque la manière d’écrire de Vance, sa façon à la fois simple et étudiée, exotique et porteuse d’interrogations, de décrire des mondes originaux, transportant le lecteur dans un ailleurs surprenant. On y parle aussi d’exigence de lecture, de personnages-modèles, de la carrière de Vance, etc… Et même si on pourra tiquer ici ou là sur certaines idées bien tranchées (ou clichées) de Simmons, cet article reste un bel hommage à un auteur auquel on sent bien qu’il doit beaucoup et qu’il n’oubliera jamais.
Les nouvelles
Greg Egan ouvre le bal avec « La fièvre de Steve » (traduit par Erwann Perchoc), un texte tout sauf démonstratif sur un futur relativement proche qui voit des nanomachines, figurant une sorte d’IA distribuée, poursuivre le but que leur a fixé leur créateur, coûte que coûte. Temps de cerveau disponible ( 😉 ), réalité virtuelle, acharnement d’une IA qui dispose d’un temps infini, déséquilibre de la société, tels sont quelques-uns des thèmes (finalement assez classiques) sur lesquels de penche l’auteur australien. C’est évidemment fascinant, mais ça n’a rien d’un festival pyrotechnique. Le texte est calme, posé, et ne cède jamais à la facilité. Greg Egan ne mâche pas le travail du lecteur, et même s’il a écrit des textes plus vertigineux que celui-ci, c’est encore une belle démonstration de son talent d’auteur de hard-SF.
Christian Léourier, avec « Je vous ai donné toute herbe », nous propose une humanité en quête de nouveaux mondes habitables. Pour cela, elle envoie des sondes ultra-technologiques chargées de terraformer les planètes visées, pour mieux les adapter aux futurs colons. Une mission de longue haleine, les étoiles ne sont pas toutes proches… Bien sûr, tout ne se passe pas toujours comme prévu, mais les structures de terraformation peuvent peut-être faire ce qu’il faut pour atteindre le but fixé. Oui mais l’humain dans tout ca ? Car qui dit Christian Léourier dit l’humain avant tout, et avec ce texte superbement écrit et qui est un véritable modèle de progression narrative, cet adage se vérifie une nouvelle fois. C’est vertigineux, aussi bien dans cette histoire future de l’humanité que dans la question métaphysique qui se pose à la toute fin du texte. Magnifique !
Bon, ça fait deux textes qui reposent fortement sur des machines/intelligences artificielles, il faudrait peut-être penser à parler d’autre chose… Avec Hannu Rajaniemi, c’est raté puisque de forme de vie, il n’y a pas trace (en tout cas pas de manière biologique) dans « Le serveur et la dragonne » (traduit par Apophis), étrange nouvelle relevant autant du conte que du texte ultra hard-SF. En effet, entre ingénierie planétaire, voire stellaire (ou carrément galactique !), statites de Dyson, propulseur de Shkadov, kugelblitz (non cité tel quel mais il me semble que c’est bel et bien ce phénomène qui est représenté) et tout un tas d’autres termes très scientifiques servant à mettre en scène virtualité, réseau galactique de communication, trou de ver, création ex nihilo d’un mini-univers, virus « informatique », etc…, le texte semble hors de portée de la majorité des lecteurs. Et pourtant… Alors certes, je ne vais pas prétendre avoir tout compris de A à Z, mais malgré tout, au-delà des aspects purement physiques décrits dans le récit (qui narre l’établissement d’un structure automatisée, à l’échelle d’un système planétaire qu’elle reconfigure entièrement, chargée de jouer son rôle de serveur dans un système de communication à l’échelle galactique. Malheureusement, l’étoile autour de laquelle elle s’est établie s’éloigne irrémédiablement de la galaxie, réduisant sa mission de serveur à néant, isolation oblige…) « Le serveur et la dragonne » est tout simplement un beau texte, empli de poésie astrophysique. C’est évidemment vertigineux (encore ! Le Bifrost le plus vertigineux jamais paru ? 😀 ), remarquablement écrit en dépit des apparences d’hermétisme scientifique, et, encore plus étonnant, par moment émouvant. Superbe, à l’échelle démesurée, et surprenant, même si sans doute réservé à un public de niche.
Et enfin, puisqu’il s’agit de « son » numéro, Dan Simmons est à l’affiche avec « La barbe et les cheveux : deux morsures » (traduit par Jacques Chambon), un titre pas très adroit (il ne l’est guère plus en VO…) pour un texte horrifique jouant avec la figure du vampire (fini les machines ! 😀 ). Ca commence gentiment avec deux adolescents qui jouent à se faire peur en suivant à la trace deux coiffeurs que l’un des deux ados soupçonne d’être des vampires, et puis le texte sombre de plus en plus dans l’horreur. Une belle progression narrative, deux temporalités distinctes, et une finesse d’écriture de Simmons qui ne se dément pas. Encore une incontestable réussite qui illustre à quel point l’équipe du Bifrost sait choisir des textes la plupart du temps excellents. Il n’y a tout simplement aucune fausse note à ce niveau dans ce numéro.
Pour conclure
Ce numéro, illustré par la couverture colorée de Pascal Blanché, nous permet donc d’aborder l’oeuvre d’un auteur complexe, qui se joue des genres et des styles pour mieux illustrer son talent d’auteur de premier plan. Certes, tout n’est pas parfait, aussi bien du côté des oeuvres que du côté de l’homme en lui-même (c’est le moins que l’on puisse dire, et ce Bifrost se charge de le rappeler au lecteur à (trop ?) maintes reprises), mais quiconque a écrit un triptyque tel que « Hypérion »–« L’échiquier du mal »–« Terreur », encensé par une large part de la critique, ne peut que figurer au rang des auteurs importants du genre SFFF, pour le moins.
Après ce numéro 101 de haute volée (avec notamment quatre nouvelles de très grande qualité), place au 102 avec un de mes auteurs chouchous (pourtant peu lu, mais toujours adoré), Arthur C. Clarke. J’espère un dossier à la hauteur et des nouvelles du même acabit que ce numéro. Vu le niveau proposé ici, c’est un véritable défi !
Critique écrite dans le cadre du challenge « #ProjetOmbre » de OmbreBones.
Une nouvelle chouette couverture (évidemment bouffée par les accroches). Je ne comprends pas l’obsession du chef maquettiste avec ces annonces. Alors que le magazine se vendra tout seul de toute manière. J’ai l’impression qu’une couverture de Closer est plus sobre que ça – rien que pour le Vance, ça pourrait m’intéresses ce numéro.
Je te déconseille Illium et sa suite qui sont de vrais pensums. Et il y a une série/saison The Terror qui est pas mal du tout.
Moi j’aime bien ces titres bien « dynamiques ». 🙂
Pour les texte sur Vance, c’est uniquement sur le version epub. 😉
J’ai vu pas mal de bonnes critiques sur « Ilium » malgré tout. Mais si tout s’écroule avec un « Olympos » pas terrible, ça ne sert à rien de se lancer…
Oui la série « Terror » a l’air d’avoir convaincu pas mal de spectateurs. Pourquoi pas à l’occasion (mais je crains (non, je suis quasi sûr !) de n’avoir pas le temps de la regarder…).
« “Les langages de Pao” (que Simmons résume de manière assez détaillée…) » : rassure-moi, tu avais par chance lu le roman juste avant le Bifrost ?
Oui heureusement. C’est pourtant totalement fortuit, et ça s’est joué à quelques jours. Pour « Les maîtres des dragons » ce n’est pas le cas en revanche. Pas grave, avec ma mémoire, quelques semaines et j’aurai tout oublié ! 😀
Merci pour le récap. Je ne m’intéresse pas assez à l’auteur pour lire ce numéro, mais le retour de Jean-Daniel Brèque sur ce clash avec son auteur m’intéresse!!
Par contre, peux-tu expliquer qui sont Nelle Champdecoeurs et Martinique Domel ? Je ne décrypte rien du tout…
Ha c’est vrai que je n’ai rien précisé sur ce point. Les deux anagrammes sont ceux de Ellen Herzfeld et Dominique Martel, les « Quarante-deux », grands archivistes, anthologistes et évidemment fins connaisseurs de la SF (leur site : https://www.quarante-deux.org/ ).
Ce sont eux qui dirigent la collection « Quarante Deux » au Bélial’, avec donc les différents recueils de Greg Egan, Ken Liu, Nancy Kress, Peter Watts et Rich Larson.
Et donc, ils étaient très amis avec Joseph Altairac, d’où l’hommage. 😉
Ok merci!! 🙂
Avec plaisir. 😉
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