Hypérion, de Dan Simmons
Quatrième de couverture :
Sur Hypérion, planète située aux confins de l’Hégémonie, erre une terrifiante créature, à la fois adulée et crainte par les hommes : le Gritche. Dans la mystérieuse vallée des Tombeaux du Temps, il attend son heure…
À la veille d’une guerre apocalyptique, sept pèlerins sont envoyés sur Hypérion. Leur mission : empêcher la réouverture des Tombeaux. Ils ne se connaissent pas, mais cachent tous un terrible secret – et un espoir démesuré.
Et l’un d’entre eux pourrait même tenir le destin de l’humanité entre ses mains.
La Mecque de la SF ?
Aborder « Hypérion » en 2021 nécessite, pour en mesurer l’importance, de le replacer dans son contexte. Non pas qu’il souffre qualitativement d’une lecture plus de 30 ans après sa sortie, mais plutôt parce que le re-situer à la fin des années 80 permet de se rendre compte de tout ce qu’il a inventé/repris/amalgamé et qui a depuis essaimé dans de nombreux récits de SF jusqu’à aujourd’hui, parfois de manière très proche. Lire « Hypérion » et saluer sa qualité et son modernisme d’alors, c’est un peu rendre à César ce qui appartient à César.
Comment résumer succinctement « Hypérion » ? La tâche est délicate… Disons que le roman se situe au XXVIIIe siècle, un futur dans lequel l’humanité a essaimé sur de nombreuses planètes à la suite de la mort de la Terre. Cette « Hégémonie » (puisque c’est ainsi qu’elle se fait appeler) tient notamment grâce à un réseau de transport et de communication particulièrement performant (appelé le « Retz »), constitué de portails « distrans » permettant le voyage instantané (mais couteux) d’un point à un autre de l’univers mais aussi de moteurs Hawking permettant de voyager plus vite que la lumière (avec le problème bien connu de la relativité d’Einstein qui est la dilatation du temps (appelée « dette de temps » dans le roman de Simmons) : un déplacement de quelques semaines pour le voyageur peut représenter quelques mois voire quelques années pour les personnes restées immobiles).
Ces moyens de transport et de communication sont gérées (et ont été inventés) par des Intelligences Artificielles qui ont depuis fait sécession de l’influence humaine. On a donc une première faction indépendante mais malgré tout infiltrée dans tous les rouages de la société humaine (à l’évidence Adam-Troy Castro doit sur ce point beaucoup à « Hypérion »…). L’autre faction importante du récit (et, du point de vue de l’Hégémonie, un ennemi) est celle des Extros, des humains qui, plutôt que de tenter de continuer à vivre « à l’ancienne », se sont adaptés à l’espace. Voilà le transhumanisme de Dan Simmons, que l’on peut retrouver récemment, de manière un peu moins extrême, dans la « somaformation » de Becky Chambers.
Tout le récit de Dan Simmons tourne autour de la planète Hypérion, une planète éloignée sur laquelle se trouvent les Tombeaux du Temps, mystérieux édifices qui semblent avoir des capacités « temporelles » particulières et qui abritent le Gritche, étrange et mortelle créature ayant donné naissance à un culte (l’église gritchtèque) et sur laquelle chaque faction a sa propre interprétation quant à la raison de sa venue et de ses motivations.
L’oeuvre de Simmons se présente sous la forme d’un récit-cadre décrivant le voyage de sept pèlerins vers les Tombeaux du Temps pour tenter de les refermer et d’arrêter le progression du Gritche, alors que les Extros se dirigent aussi vers Hypérion dans un but inconnu (du moins au début…) et que l’Hégémonie y envoie ses propres forces pour tenter d’arrêter cette éventuelle invasion. Enchâssés dans ce récit-cadre se trouvent les récits personnels des pèlerins qui conteront leur histoire chacun leur tour, donnant par là même des explications sur ce qui les lie à Hypérion et sur le pourquoi de leur venue ici. C’est là que l’écriture de Dan Simmons fait merveille : chaque récit est différent, très typé (récit à la Joseph « Au coeur des ténèbres » Conrad, tragédie amoureuse, récit militaire, polar cyberpunk gibsonnien, récit d’un artiste en quête de sa muse…), et développe admirablement chaque personnage concerné. Ils se recoupent aussi ici ou là et surtout éclaircissent peu à peu le contexte du roman, en creux, aux yeux du lecteur avant au final de lui montrer son vrai visage et les courants d’influence qui s’y confrontent, plus ou moins ouvertement.
Donner au lecteur, au sein d’un gros roman de 650 pages, plusieurs « sous-récits » (qui forment la très grande majorité des pages du roman) qui abandonnent l’intrigue principale pour se concentrer sur un seul personnage, c’est un pari risqué mais tenu haut la main puisqu’il n’y a que du bon dans ces récits personnels, avec forcément des préférences plus ou moins marquées en fonction des lecteurs. Les personnages s’en trouvent nettement approfondis et certains passages se révèlent même brillants voire poignants dans leur style comme dans leur manière sensible d’aborder certains thèmes universels (la mort, l’amour, l’art, la famille, l’environnement…).
Roman à la structure singulière, bardé de références littéraires (Keats, Chaucer et Yeats sont au premier rang) et usant de nombreux éléments de SF (dilatation relativiste du temps comme on a pu le voir dans de nombreuses autres oeuvres de SF (citons « Interstellar » de Christopher Nolan, « La guerre éternelle » de Joe Haldeman, « Tau zéro » de Poul Anderson ou bien la nouvelle « Souvenirs de ma mère » de Ken Liu qui fut adaptée en court-métrage), IA sous forme humaine avec les cybrides, posant la question du degré d’humanité de celles-ci, clone virtuel (ou un peu plus que virtuel…), transfert de conscience, voyage temporel, etc…) qui ont parfois été repris tels quels par d’autres auteurs jusqu’à aujourd’hui, témoignage d’une forme de syncrétisme thématique en SF qui n’a guère été égalé depuis, « Hypérion » impressionne.
Arrivé au bout du roman, force est de constater que le texte de Dan Simmons ne résout rien. Sa suite, « La chute d’Hypérion » est une lecture nécessaire (sur laquelle je ne tarderai pas à me pencher) et à l’évidence ces deux volumes ne constituent qu’un seul et volumineux ouvrage. Il peut donc être difficile de juger « Hypérion » à sa seule lecture, mais il apparaît déjà clairement que ce véritable livre-univers, à la hauteur de ce qu’a pu créer, dans un genre différent, Frank Herbert avec « Dune », est d’une importance incontestable dans le genre SF. Un jalon, assurément.
Lire aussi les avis de Lune, Vert, Célindanaé, Xapur, Feyd-Rautha, Lutin, Herbefol…
Ouah j’ai , moi aussi, décidé enfin de lire Hypérion, je suis sur la fin de ce tome, une honte pour moi qui lis de la sf depuis des lustres( années 70) avec des périodes, certes, d’abandon, je ne résumerai pas mieux les thèmes c’est une vacherie de bouquin encore aujourd’hui ,ce talent de description de l’auteur, ces paysages de planètes, l’intrigue qui va nous mener jusqu’où….On va pardonner à un auteur, de nos jours aux opinions et relents racistes et saluer nos amis bifrostiens de ce 101 qui m’a réveillé l’envie de Simmons.
Jean pierre frey
On ne peut malheureusement pas tout lire au moment des sorties, et passer à côté de ce qui est considéré comme un incontournable est tout à fait possible.
Mais on peut se rattraper plus tard, nous en sommes la preuve (bon, moi j’avais dix ans au moment de la sortie de « Hypérion », donc je peux difficilement faire autre chose que du rattrapage ! 😀 ). 😉 Et nous sommes aussi d’accord sur la grande qualité de ce roman.
L’auteur a viré « radical d’extrême droite », c’est bien dommage, restons-en à ses plus belles oeuvres plutôt qu’à ses opinions politiques largement contestables… 😉
Je crois l’avoir lu déjà trois ou quatre fois et à chaque relecture je suis toujours impressionnée par ce récit. Je confirme que La chute d’Hypérion s’enchaine directement et qu’au final l’ensemble n’est qu’un seul roman. Bonne lecture avec la suite, tu as encore de belles découvertes devant toi 😉
J’espère bien, j’ai déjà hâte de m’y mettre ! 😉
Trois ou quatre lectures ? Wouah pas mal, ça montre bien que ce roman t’as marquée !
Tu te fais une petite période de classiques ? ^^
Je t’avoue que le fait qu’il faille « obligatoirement » lire « La Chute d’Hypérion » ajoute un très gros frein. Déjà que je ne suis pas particulièrement tenté par « Hypérion » – je connais la direction du bucher pour l’hérétique que je suis -, ça pourrait s’envisager pour l’aspect « jalon » historique, mais devoir lire deux briques, outch.
Oui, j’ai toujours aimé me plonger dans les « classiques », plus ou moins ancien, et l’actualité des parutions toujours plus intense m’a fait un peu perdre ça de vue, ça fait du bien de m’y (re)plonger, même si parfois on prend le risque de lire un truc un peu daté, qui a mal vieilli. Ce n’est pas le cas ici (mais le roman n’a que 30 ans, ce n’est pas encore pharaonique…). 😉
Mais pourquoi tout le monde lit ou relit Hyperion ?
Du coup ce me donne envie de réessayer pour la troisième fois !
Parce qu’un Bifrost sur l’auteur vient de paraître ? 😉
Deux essais, deux échecs ? Est-il bien nécessaire de s’obstiner, malgré la réputation du roman ?
Deux fois lu jusqu’au bout mais je n’ai pas eu l’effet wahoo… mais j’ai encore une image dans la tête. Peut-être que 20 ans après il va arriver ! Toi (ici) et Jeff (sur tweeter) vous me donnez envie de replonger.
Je réserve encore un peu mon jugement définitif, en tout cas pour ce qui est de l’intrigue. J’attends d’avoir des réponses à la plupart des questions qui se posent. En revanche, du côté du style et de la construction, « Hypérion » est déjà marquant à lui tout seul.
J’ai vu que Jeff s’y était mis aussi, il est même rendu plus loin que moi. C’est motivant en effet. 😉
Hypérion m’a donné envie de relire de la SF alors qu’elle semblait fort toussotante (mais j’étais exilé quelques années au pays des cocotiers, je ne suivais pas trop l’actualité). Ça a été évidemment une claque genre Dune. Et comme pour Dune, ses suites finissent un peu par s’enliser dans des considérations métaphysiques.
Pour tout dire, le dernier scénar SF que j’ai écrit s’est révélé un peu trop inspiré par les Temples du Temps. J’ai été obligé de le ranger au placard.
A la lecture on comprend vite l’importance qu’a pu avoir ce roman à sa sortie, et le poids qu’il pèse depuis sur le genre SF. Un incontournable logique en somme. Il a dû « bloquer » quelques auteurs, intimidés par ce « roman-total » qui a pu leur couper l’herbe sous le pied, au moins en partie.
La comparaison ave « Dune » ne me semble pas usurpée.
En tous les cas, ça m’a bien motivé à relire de la SF.
Jamais lu, pas très envie (je détesssssste tout ce qui a trait au temps), mais je note que tu en dis du bien!! 🙂
Ah oui ? J’adore tout ce qui touche au temps, c’est souvent l’occasion de mettre en scène des phénomènes vertigineux. Le sense of wonder si cher à la SF est souvent présent.
Ceci dit, c’est présent dans « Hypérion » mais ce n’est pas le coeur du récit, en tout cas pas dans ce volume là.
Je confirme ce que dis Lorhkan, ce n’est pas un livre sur le temps avec paradoxe temporel et autre.
Sa relecture est prévue à celui-ci ! J’ai même racheté cette édition exprès. Reste plus qu’à programmer ça….
Le plus dur c’est de lui trouver un créneau de lecture (un gros parce que sa taille fait que… 😀 ). Après, la lecture est un plaisir. 😉
j’ai pris le Bifrost sur Dan Simmons, mais j’attends encore un peu avant de me lancer, d’être prêt si je peux dire, je lirai bien un titre de l’auteur avant pour prendre la température, mais il va y passer tôt ou tard.
J’aime aussi découvrir des anciens titres, des anciens auteurs, je ne sais pas l’expliquer mais ça me plait !
mais comme tu le dis, il est important de re-situer l’oeuvre par rapport à son année de sortie, il ne faut pas l’oublier, ne pas les comparer avec les sorties récentes. (c’est pas toujours facile)
Il y a un recueil de cinq nouvelles qui vient de ressortir tout récemment (« L’amour, la mort »), ça peut être une porte d’entrée intéressante. Le « souci », si on peut dire, c’est que Simmons a touché à tellement de genres différents qu’il est difficile d’avoir une vision claire de ce qu’il est capable de faire, en dehors de sa qualité d’écriture.
En re-situant le roman dans sa période de sortie, on mesure plus clairement l’influence qu’il a eu sur toute la SF qui a suivi. Et de ce point de vue, « Hypérion » est TRÈS impressionnant !
Je jetterai un œil à ce recueil, merci pour l’info.
Avec plaisir.
Tout Dan Simmons va se voir réédité en poche dans les semaines et mois qui viennent, je viens d’apprendre que le recueil « Le Styx coule à l’envers », constitué de douze nouvelles, ressort chez Pocket le 15 avril prochain. 😉
Un sacré monument, j’étais contente de le découvrir. La suite m’a moins convaincue, je vais guetter ton avis à ce sujet…
Je ne devrais normalement plus trop tarder à m’y mettre. 😉