Dune, exploration scientifique et culturelle d’une planète-univers, sous la direction de Roland Lehoucq
Quatrième de couverture :
Dix spécialistes, scientifiques, philosophes et linguistes se penchent sur le chef-d’œuvre de Frank Herbert et dissèquent l’un des plus grands monuments de la science-fiction mondiale.
Ecologie, biologie, histoire des religions, astronomie, science politique ou chimie : de l’épice de longue vie aux fameux vers géants des sables, des mystères des Fremen aux arcanes de l’ordre féminin du Bene Gesserit en passant par les pouvoirs de la Voix, DUNE révèle ses secrets sous le prisme de la science !
La science dans « Dune » est peu visible et pourtant tellement présente
Voilà un volume qui impose le respect ! Composé de 14 articles (et un peu moins de 350 pages, soit la plus épaisse parution de la collection « Parallaxe » jusqu’à présent) permettant de dresser un vaste panorama scientifique et culturel du « Dune » de Frank Herbert (le premier tome essentiellement, même si le suite de la saga est aussi abordée ici ou là), Roland Lehoucq et son équipe ont su montrer de belle manière qu’alors que la science paraît très en retrait dans le roman elle est fait extrêmement présente mais « dans l’ombre », elle soutient le roman et lui donne une vraie cohérence sans que cela ne devienne une difficulté pour le lecteur puisqu’elle ne s’impose jamais à lui. En somme, la dream-team scientifico-philosophico-culturelle du Bélial’ nous montre que Frank Herbert a réalisé un solide travail de recherche scientifique-historique-philosophique (et plein d’autres mots en -ique) et que rien n’est dû au hasard. Le résultat en devient même impressionnant : réussir à ce point à marier différents domaines tout en restant signifiant sur chacun d’entre eux (et pas qu’un peu !) relève de l’exceptionnel.
L’analyse de ce volume débute par un article de Roland Lehoucq lui-même qui nous montre que les planètes citées par Frank Herbert ne sont pas imaginées au hasard et reposent sur un solide socle scientifique. Tout n’y est pas parfaitement réaliste, mais la base est suffisamment cohérente pour donner l’illusion du vrai alors que pour un lecteur lambda ce sont des informations qui n’ont finalement aucune espèce d’importance.
Roland Lehoucq à nouveau, dans l’article suivant qui nous parle du voyage spatial, un élément sur lequel Frank Herbert n’a jamais été très explicite, notamment quand il s’agit de comprendre comment les navigateurs de la Guilde Spatiale utilise l’épice pour rendre ces voyages possibles. On n’en ressort pas forcément avec une compréhension plus grande de « comment ça marche » dans « Dune », mais en revanche on comprend bien les problématiques du voyage spatial et ce qu’il est nécessaire d’envisager pour rendre un empire galactique à peu près gouvernable (car si vous voyagez à la vitesse de la lumière, passer d’une étoile à l’autre prend peut-être peu de temps pour le voyageur, mais pour ceux qui ne bougent pas le voyage dure quand même quelques dizaines ou centaines d’années, relativité oblige ! Difficile dans ces cas-là d’envisager une quelconque gouvernance à l’échelle galactique…), et ce qu’il est scientifiquement possible d’envisager pour ce faire (même si cela reste extrêmement hypothétique !).
La parole est ensuite à Jean-Sébastien Steyer pour étudier l’écosystème global de la planète Arrakis : la planète en elle-même, son sable, la vie qui la peuple et notamment les fameux vers des sables, avec pour finir un petit focus sur les « mutants » que sont les navigateurs de la Guilde, en tentant là encore de décrypter et d’interpréter scientifiquement les renseignements à notre disposition. Le réalisme n’est pas totalement assuré là non plus, mais les fondements scientifiques sont bel et bien présents.
Fabrice Chemla s’intéresse de son côté à l’épice, que cela soit scientifiquement mais aussi « culturellement » c’est à dire en cherchant les références auxquelles s’attache Herbert ou bien les éléments desquels il s’est inspiré. Production, usage, constitution, effets, tout est étudié de près, Fabrice Chemla, chimiste de métier, connait bien son affaire, on se demande même s’il n’a pas payé de sa personne auprès d’un certain nombre de chamanes pour tenter de voir l’avenir lui aussi… 😀
Daniel Suchet nous parle ensuite du « trilemme énergétique », c’est à dire l’équilibre entre sécurité énergétique (l’approvisionnement), équité énergétique (l’accès à l’énergie pour tous) et durabilité énergétique (la capacité à faire durer le système dans le temps), pour analyser de manière un peu détournée les sociétés d’Arrakis et quelques éléments particuliers à cette planète. Un point de vue surprenant mais qui permet d’analyser le texte d’une façon différente mais pas moins pertinente.
Roland Lehoucq revient pour discuter du distille et de sa faisabilité technique. Avec toujours cette manière très « lehoucquienne » de nous expliquer simplement des notions scientifiques aux mécanismes complexes, l’article est un régal à lire et démontre une nouvelle fois que le texte et les éléments apparemment science-fictifs d’Herbert possèdent un vrai fondement scientifique. Le distille est donc théoriquement faisable. En pratique en revanche…
C’est ici que s’arrête pour l’essentiel l’étude tournée vers les sciences dites « dures ». On en arrive donc à un côté plutôt sciences humaines avec pour commencer Vincent Bontems qui porte un oeil sur l’innovation dans le roman « Dune », en s’intéressant aux personnages qui peuvent être considérés comme innovateurs et de quelle manière. L’innovation ne se situe pas forcément là où on le pense… Un article original qui éclaire le texte d’Herbert d’une façon inattendue.
Frédéric Landragin aborde l’aspect linguistique du récit, ou plus précisément la manière dont Herbert distille (haha…) des renseignements essentiels au lecteur. Une analyse très fine de la façon qu’a l’auteur américain de gérer la narration de son récit, avec lexique et néologismes. Passionnant !
Carrie Lynn Evans, quant à elle, étudie les femmes dans Dune, un sujet d’actualité et dont le traitement par Herbert (son roman date de 1965 faut-il le rappeler, un époque bien différente sur ce point…) peut poser problème comme je le soulignais. Et pour l’essentiel, Carrie Lynn Evans considère en effet que les personnages féminins, aussi puissants qu’ils puissent sembler être et reposant pour l’essentiel sur la figure du cyborg (le « Manifeste cyborg » de Donna Haraway est bien sûr cité), sont l’incarnation de fantasmes masculins, que le texte de Frank Herbert montre implicitement que le danger vient des femmes et que le basculement d’une société patriarcale vers une « déségrégation des femmes » ne peut qu’amener trouble et catastrophes. Une approche radicale.
Puis vient Sam Azulys, docteur en philosophie, qui m’a en revanche un peu perdu dans un article essentiellement philosophique sur la géopolitique dans l’oeuvre phare de Frank Herbert. La philosophie n’étant pas vraiment ma tasse de thé, il faut être très didactique et accessible pour ne pas me barber. L’article étant un poil ardu avec plein de mots savants, j’avoue avoir fini par lire un peu en diagonale même si les fondements de l’article sont à l’évidence pertinents.
Fabrice Chemla revient à la charge en étudiant le côté religieux de la saga, évidemment très important. Événements marquants dans la saga, personnages, influences, références, syncrétisme, tout y est, l’article est à nouveau passionnant. Le chimiste Fabrice Chemla a plus d’une corde à son arc, et le montre de manière éclatante dans un article référence.
Frédéric Ferro nous parle de prescience et de prophétie, deux termes proches mais bien différents, abordés ici essentiellement sous l’angle de la philosophie. Un peu ardu là encore (oui, moi et la philosophie…), pas mon article favori.
Fabrice Chemla, encore lui, revient ensuite nous parler de la Mémoire Seconde des Révérendes Mères du Bene Gesserit, en revenant sur différents types de possession dans différentes cultures au fil de notre histoire, qu’elles soient voulues ou subies, comme dans le roman. Entre les visions enfumés des chamanes et les possessions démoniaques, je commence à comprendre ce que « chimiste » veut dire chez Fabrice Chemla… 😀
Et pour finir, Christopher L. Robinson fait oeuvre de synthèse dans le dernière article, réabordant le texte de Frank Herbert sous l’angle littéraire, et posant entre autres la question du genre auquel appartient le roman. Un article en forme de conclusion idéale.
Alors que dire si ce n’est que cette parution de la collection « Parallaxe » est un superbe recueil d’articles (en plus d’être un bel objet joliment illustré par Cédric Bucaille), passionnant de bout en bout et offrant un éclairage complet et remarquablement documenté sur une oeuvre qui n’a pas fini de faire parler d’elle et qui s’impose encore aujourd’hui comme un texte majeure du genre SF ? Tout simplement indispensable à tout lecteur cherchant à tirer la substantifique moelle du roman de Frank Herbert.
Lire aussi les avis de Feyd-Rautha, Touchez mon blog Monseigneur, Mureliane, Emmanuelle, François Schnebelen.
Moi je suis en train de caler sur ma lecture (re). Je me rends compte que je m’en souviens trop bien (j’ai la capacité d’oublier facilement des pans entiers de bouquins ou de films mais celui-là je l’ai vraiment labouré dans ma jeunesse) et en fait je bute sur un élément qui m’avait fasciné : les personnages sont des sur-humains (disons par rapport à nous, déjà ils n’ont pas de téléphone portable, c’est dire s’ils nous sont supérieurs) et interprètent/analysent tous les indices disponibles. Même si c’est plutôt bien géré, ça a finit par me fatiguer.
Effectivement on ne peut pas dire qu’il y ait beaucoup de spontanéité dans le comportement des différents personnages… C’est aussi sans doute grâce à ça que l’humanité a pu se développer jusqu’au point décrit par le roman, le tout sans machines pensantes et ordinateurs. Les ordinateurs, ce sont les personnages, chacun à leur manière.
Mais c’est intéressant de voir comment le lecteur évolue et appréhende différemment un roman quelques années (ou un grand nombre…) après la première lecture. On y trouve des choses différentes, et on se rend compte que parfois il vaut mieux laisser la nostalgie faire son office. 😀 Je n’ai pas eu ce problème pour Dune, tant mieux pour moi. 😉
Ça a l’air super intéressant. Dune n’étant pas mon truc, je ne le lirai pas, mais ça a l’air super intéressant. 🙂
Et devine quoi : c’est en effet super intéressant. 😀
En revanche, avoir lu Dune et s’y intéresser est en effet le minimum pour bien profiter de cette parution. 😉
Il me tente bien mais vu que j’ai déjà le Mook à la maison je vais peut-être commencer par relire le roman avant de lire toute la littérature d’étude qui l’analyse.
Oui, il vaut mieux avoir le roman à l’esprit avant d’attaquer toutes les analyses. Et puis comme c’est un bon roman, ça devrait être un plaisir. 😉
[…] Lorhkan (dont j’aime beaucoup le blog) chronique un bouquin qui a l’air passionnant. C’est un ouvrage collaboratif et scientifique qui a épluché les bouquins Dune (Frank Herbert), dont je suis très féru, et qui essaie d’en comprendre les origines, les inspirations, et la faisabilité à l’aune de nos connaissances contemporaines. Cela donne drôlement envie, mais j’ai tellement envie de croire que de toute façon tout cela est vrai, mais se passe simplement trop loin, il y a trop longtemps (dans une galaxie trop lointaine, tout ça tout ça). […]