Vita Nostra, de Marina et Sergueï Diatchenko
Quatrième de couverture :
Vita nostra brevis est, brevi finietur…
« Notre vie est brève, elle finira bientôt… »
C’est dans le bourg paumé de Torpa que Sacha entonnera l’hymne des étudiants, à l’« Institut des technologies spéciales ». Pour y apprendre quoi ? Allez savoir. Dans quel but et en vue de quelle carrière ? Mystère encore. Il faut dire que son inscription ne relève pas exactement d’un choix : on la lui a imposée… Comment s’étonner dès lors de l’apparente absurdité de l’enseignement, de l’arbitraire despotisme des professeurs et de l’inquiétante bizarrerie des étudiants ?
A-t-on affaire, avec « Vita nostra », à un roman d’initiation à la magie ? Oui et non. On évoque irrésistiblement la saga d’Harry Potter et plus encore « Les Magiciens » de Lev Grossman. Mêmes jeunes esprits en formation, même apprentissage semé d’obstacles. Mais c’est sur une autre terre et dans une autre culture, slaves celles-là, que reposent les fondations d’un livre qui nous rappellera que le Verbe se veut à l’origine du monde. Les lecteurs de fantasy occidentale saturés d’aspirations à l’héroïsme tous azimuts en seront tourneboulés.
Transmutation
Tout commence étrangement : Sacha, jeune fille vivant avec sa mère, est abordée durant ses vacances au bord de la mer par un homme qui, avec quelques éléments de pression, lui demande d’aller se baigner nue chaque nuit à 4h du matin. Pour qui, pourquoi ? Mystère. De fil en aiguille, ce qui se révèle être une épreuve pour elle puis finalement un test l’emmènera s’inscrire à l’Institut des Technologies Spéciales, étrange université quasi inconnue située dans une ville perdue, Torpa.
C’est le point de départ de ce qui doit amener une sorte de transmutation, ou plutôt de métamorphose puisque ce roman est une adaptation/inspiration des « Métamorphoses » d’Ovide. Métamorphose comme un passage à l’âge adulte pour une jeune fille plus ou moins contrainte (du moins au départ) de faire ses études dans un endroit qu’elle n’a pas choisi, pour un cycle de plusieurs années. Transmutation car ce cycle d’études n’a rien d’un parcours classique. On y trouve des cours et des examens, c’est vrai, mais d’un genre assez particulier. Expliquer cela plus en profondeur serait trop en dévoiler alors que tout l’intérêt est de découvrir l’évolution de Sacha (et de bien d’autres étudiants) au contact de bien étranges professeurs qui semblent savoir des choses presque « au-delà du réel ».
Et au fil d’une écriture d’une remarquable finesse, on se prend très rapidement à suivre Sacha, à souffrir avec elle au fil de ses épreuves qui doivent autant à l’étrangeté et à une certaine forme de violence de ce cursus si particulier qu’à la vie classique d’une jeune fille en internat avec ses hauts et ses bas, des épreuves très humaines que tout un chacun traverse à un moment de sa vie, à rire avec elle lors de moments de joie, à être heureux des rencontres qui lui offrent du bonheur, de l’amour, à être effrayé quand on commence à discerner ce dans quoi elle s’est engagée et des conséquences qu’une mauvaise décision pourrait avoir sur son entourage.
Et puis l’étrangeté des professeurs, des cours, et des étudiants plus « avancés » dans le cursus frappent le lecteur. Où Sacha a-t-elle mis les pieds ? A quoi cela va-t-il la mener ? Pourquoi elle ? Le danger rôde, on le comprend vite, et les avertissements des professeurs se font pressants, inquiétants. Ainsi, le roman devient un vrai page-turner, à la fois chroniques d’une vie estudiantine, urban-fantasy light et mystérieuse, roman initiatique fantastique (dans tous les sens du terme) qui s’amuse à jouer avec les codes des romans de genre, mêlant frissons, fantastique et même un brin de SF quand le temps devient quelque chose de très relatif…
Tout cela est bel et bon, mais une chose m’a gêné, et pas qu’un peu. C’est le fait que le mystère demeure jusqu’au bout sur ce vers quoi vont les élèves, le but de leur enseignement « spécial », pour dire le moins. C’est en effet vers cet inconnu que tend tout le roman, c’est sur lui que tient tout ou au moins une grande partie du suspense. Et si bien sûr cet élément, qui restera à jamais inconnu, n’est pas le coeur du roman ni de fait l’élément le plus important (le voyage, la destination, tout ça…), cette absence totale d’explication m’a vraiment laissé sur ma fin. Je n’ai rien contre les fins ouvertes, j’en suis même plutôt amateur en règle générale, mais ici je voulais savoir. Je voulais savoir car tout le roman tient, et ce depuis le tout début, sur quelque chose qui est totalement éludé. C’est à la fois très adroit de la part des auteurs, car cela entretient au moins en partie l’attention du lecteur, mais cela se termine en une énorme frustration. Et c’est un peu cette frustration qui domine à la fin, et qui participe du ressenti ultime une fois la dernière page tournée.
Alors soyons clairs, « Vita nostra » est un excellent roman, extrêmement riche, offrant plusieurs niveaux de lecture et abordant de nombreux thèmes de très belle manière, subtilement, adroitement, métaphoriquement ou non, doté de personnages plus vrais que nature, à la fois agaçants et attendrissants (comme dans la vraie vie, preuve que le roman vise particulièrement juste sur ce point). Mais sachez que vous n’obtiendrez aucune réponse au bout du chemin, ce qui m’a demandé un peu de recul pour réellement en venir à apprécier le roman, en laissant mon ressenti se « reposer » un peu. Soyez prévenus donc. Mais pour ceux qui sauront faire abstraction de ça, soyez sûrs que vous découvrirez un roman rare, unique même (et lisible par à peu près tout le monde, amateurs de genres ou non), remarquablement mené et à l’ambiance singulière, un grand roman tout simplement.
Lire aussi les avis de Gromovar, Lune, Anudar, Cédric, Tigger Lilly, Baroona, Anne-Laure, Célindanaé, Vert, Feyd-Rautha, Brize, Sometimes a book…
Je crois que c’est la première fois que je vois quelqu’un être gêné d’un manque de réponse, au point que je n’avais jamais envisagé que ça puisse être un problème. La métamorphose n’est pas une science exacte, parfois elle transforme le lecteur en mouton noir. =P
Content que tu aies quand même réussi à apprécier ses qualités. ^^
Oui, et pourtant les mystères non totalement dévoilés ne me gênent pas outre mesure d’habitude, mais là le fait qu’il n’y ait rien à découvrir car rien ne nous est dévoilé m’a gêné alors que c’est justement ce mystère qui nous guide.
Heureusement que les personnages sont superbes. Ca reste un excellent roman, mais je ne peux totalement passer sous silence cet aspect qui est celui qui a surpassé tout le reste à l’issue de ma lecture. Il m’a fallu un peu de temps pour digérer. 😀
Et puis, il faut forcément un mouton noir quelque part. C’est tombé sur moi ici ! Sûrement la volonté de Griaule. 😀
Il est dans la liste des bouquins intrigants. Je n’aurais pas dû lire ta chronique 🙂 Et il ne faut pas « rester sur sa faim ».
Il m’aurait été difficile d’écrire quelques chose sur ce roman sans avouer que l’absence de réponse m’a fait avancer avant de me frustrer. Pour le reste, tu as encore plein de belles choses à découvrir sur les personnages et leur évolution. 😉
« Rester sur sa faim », quel est le problème ?
Pareil que Baroona. La seule frustration que j’avais ressentie à la fin c’est de ne pas savoir ce qui se passait pour ses camarades de promo.
Ses camarades de promo, et elle. TOUS en fait, TOUS. 😀
Ca m’a frustré. Mais le reste contrebalance cette frustration (avec un peu de temps de repos pour digérer). 😉
Misère, tu te joins au chœur de louanges, malgré ce point que tu soulignes. Ce n’est pas le premier d’une trilogie? N’est-il pas possible que des réponses viennent plus tard? (Je me trompe peut-être, je ne sais plus ce qui m’a mis en tête que c’est un premier tome.) Je dis « misère » car, bon, comment faire pour tout lire, comme d’habitude…
En tout cas, je suis ravie du succès de ce livre car ce n’est pas tous les jours qu’on voit cartonner une œuvre traduite du russe, alors j’exulte pour le confrère
Il s’agit en effet d’une trilogie, mais les trois tomes seront indépendants. Donc les réponses… 😀
Quant à tout lire, je connais bien le problème… 😀
Une oeuvre de SF russe qui rencontre un tel succès, ce n’est effectivement pas courant même si la SF russe a une riche histoire, avec pas mal de grands noms et de beaux succès. Mais récemment, il n’y a en effet pas grand chose, en tout cas à un tel niveau.
Après vérification –> Ils sont ukrainiens, en fait. Une nationalité encore plus rare dans les succès en France.
Effectivement, je n’avais pas vérifié. Merci de me corriger. 😉
Il est dans ma PAL, mais aucune idée de quand il passera à la casserole celui-ci ^^ Merci pour cet aspect « manque de réponse », c’est noté ^^
De rien, si ça peut éviter une déception… 😉 Mais le reste est plus qu’à la hauteur !
C’est marrant, j’aurais pas dit que la fin ne donne aucune réponse. Par contre il n’y a pas de réponse claire et une marge d’interprétation énorme si je me fie à tous les avis que j’ai pu lire et qui partent parfois dans des directions très différentes.
Je l’ai lu un peu trop vite ce roman, happée par le mystère. Je pense que je le relirais tranquillement un jour pour l’apprécier encore plus ^^
Oui, c’est une réflexion qui se tient. 😉 Chacun est libre d’interpréter, et n’a d’ailleurs pas vraiment le choix, c’est ça le fond de ma pensée en fait. 😀 Mais autant j’aime bien les fins ouvertes, autant j’aime bien avoir quelques lignes directrices parce que là…
Mais bon, sur le coup j’ai eu du mal à encaisser, depuis ça va beaucoup mieux. 🙂
Et c’est en effet sûrement un roman qui se relit très bien. Maintenant qu’on connait là (non)fin, on peut s’attacher à tout le reste. 🙂