Neuromancien, de William Gibson

Posted on 6 novembre 2020
« Neuromancien », le roman qui a, à lui seul ou presque, lancé un genre : le cyberpunk. Mais qu’en est-il aujourd’hui du récit de William Gibson, très ancré dans les années 80 ? La nouvelle traduction ici présente, oeuvre de Laurent Queyssi et sortie tout récemment chez Au diable Vauvert (ouvrant le bal d’une réédition quasi totale des romans de William Gibson chez le même éditeur dans les mois et années à venir), joue-t-elle en sa faveur ?

 

Quatrième de couverture :

Case est le meilleur cow-boy des interfaces, un hacker lâché sur les autoroutes du cyberespace, le seul qui ait jamais traversé la matrice avant de rencontrer les mauvaises personnes au mauvais moment…
Première grande dystopie sociale aux côtés du « Blade Runner » de Philip K. Dick, un chef d’oeuvre prémonitoire, fondateur de la SF moderne.

 

Là où tout commence et où tout finit ?

Roman culte, « Neuromancien », devenu difficile à trouver neuf en librairie ces derniers mois, bénéficie enfin d’une nouvelle traduction. Oui, enfin. Car pour culte qu’il soit, un statut d’ailleurs bien mérité pour une oeuvre considérée comme fondatrice du mouvement cyberpunk, mouvement qui, s’il n’a pas été strictement inventé par « Neuromancien » (on pourrait citer « Sur l’onde de choc » de John Brunner, écrit presque 10 ans auparavant), doit à son auteur, William Gibson, d’avoir su sentir l’air du temps et d’avoir amalgamé toutes sortes de tendances et de détails propres à propulser sur le devant de la scène un genre qui ne demandait qu’à émerger, le roman souffrait malgré tout d’une traduction poussive et datée qui n’en facilitait pas la lecture.

Il s’agit d’ailleurs pour moi d’une relecture, sur laquelle je suis allé à tâtons tant je me souviens avoir pas mal galéré sur la première traduction de Jean Bonnefoy, célèbre malgré tout pour son fameux incipit (dont la célébrité doit bien sûr beaucoup plus à William Gibson lui-même, mais sa traduction a marqué la SF en France) :

Le ciel au-dessus du port était couleur télé calée sur un émetteur hors service.

C’est Laurent Queyssi qui s’est chargé de la délicate tâche de la retraduction. Et si on pourra être circonspect devant le nouvel incipit (plus parce que c’est une sorte de rupture sur une phrase à laquelle tout lecteur de SF s’était plus ou moins habitué qu’à cause d’un problème qualitatif)  :

Le ciel au-dessus du port avait la couleur d’une télévision allumée sur une chaîne défunte.

… On sera ensuite rapidement rassuré. Certes, le premier contact avec cette nouvelle traduction n’avait pas été très rassurant il y a quelques mois (un extrait proposé hors contexte dans le Bifrost 96 consacré justement à William Gibson), mais en reprenant depuis le début le roman de Gibson se retrouve enfin paré d’atours autrement plus séduisants que ce que proposait Jean Bonnefoy. Finies les tournures de phrase et les expressions datées, finie la francisation à tout prix de noms propres (qui ne « claquaient » pas vraiment) dans un monde globalisé (excepté pour Neuromancien bien sûr mais il était difficile de faire autrement, pour le reste Muetdhiver devient Wintermute, Lumierrante devient Straylight, Trait Plat reste francisé mais devient plus subtilement Tracé Plat, etc…), et pour avoir comparé quelques morceaux de l’ancienne et de la nouvelle traduction, il n’y a pas photo. L’effet est radical : le roman devient plus clair, tout simplement plus compréhensible, et ce qui est bien plus qu’un simple coup de polish lui redonne une vraie modernité.

C’est d’ailleurs un vrai tout de force pour un roman directement lié à son époque (1984 pour la VO), extrapolant sur l’avenir de l’informatique et le devenir d’une société laissée en pâture à un capitalisme dévorant tout sur son passage. Le cyberpunk a émergé avec « Neuromancien » (puisque tout y est ou presque : des megacorporations, des villes tentaculaires éclairées au néon, des gangs, des drogues, des implants cybernétiques, des intelligences artificielles aux motivations obscures voire incompréhensibles pour les êtres humains, des consciences numériques, la singularité technologique, la fameuse matrice, etc…) et il est vrai qu’à la lecture on peut avoir la sensation que le mouvement est né avec ce roman et qu’il a également cessé de vivre avec lui. L’alpha et l’oméga en quelque sorte, une époque et un genre défunts (ce n’est sans doute pas tout à fait vrai pour le mouvement cyberpunk qui a, au moins un peu, évolué mais qui reste malgré tout très marqué par toute l’imagerie véhiculée par le roman de Gibson).

On discerne également plus nettement les références ou emprunts que lui ont fait de nombreuses oeuvres postérieures, tel dernièrement « Void star » de Zachary Mason ou bien, plus anciennes mais plus connues, « Ghost in the shell » (Masamune Shirow pour le manga, Mamoru Oshii pour le (chef d’oeuvre !) film d’animation) ou « Matrix » des soeurs Wachowski (pour la matrice bien sûr mais aussi pour plein d’autres choses dont une Trinity qui semble être le portrait craché de Molly Millions). Sans « Neuromancien », rien de tout ça.

Alors bien sûr, Bonnefoy ou Queyssi, il n’est pas question de nier l’importance du roman dans l’histoire de la SF, mais à l’évidence la version Queyssi apporte un vrai plus qui permet enfin au roman d’être abordé par un lecteur actuel sans se faire des noeuds au cerveau ou soupirer devant une langue française qui ne correspondait pas vraiment (ou qui ne correspond plus, de nos jours) à l’univers assez radical dépeint par Gibson. « Neuromancien » redevient donc un roman à conseiller, un roman agréable, un roman qu’il faut avoir lu. C’est un nouveau « Neuromancien », tout simplement, un incontournable qui devient encore plus incontournable, par ailleurs sublimé par la superbe couverture signée Josan Gonzalez.

Et quand on sait que cette nouvelle traduction, sous l’égide des éditions Au Diable Vauvert, n’est que le début d’un renouveau de l’oeuvre (retraduite) de William Gibson en librairie, me voilà maintenant très impatient de découvrir les autres textes de l’auteur, ceux que j’ai lus (comme « Gravé sur chrome » qui ne m’avait qu’à moitié convaincu, dans une traduction de… Jean Bonnefoy, tiens donc !) comme ceux que je n’ai pas encore lus. Les années qui viennent seront cyberpunks ou ne seront pas !

 

  
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