La Marche du Levant, de Léafar Izen
Quatrième de couverture :
Trois cents ans. C’est le temps que met la Terre pour tourner sur elle-même. Dans le ciel du Long Jour, le soleil se traîne et accable continents et océans, plongés tantôt dans une nuit de glace, tantôt dans un jour de feu. Contraints à un nomadisme lent, les peuples du Levant épousent l’aurore, les hordes du Couchant s’accrochent au crépuscule.
Récemment promue au rang de maître, l’assassine émérite Célérya accepte un enrôlement douteux dans le désert de l’est. Là, sans le vouloir, elle contribue à l’accomplissement d’une prophétie en laquelle elle n’a jamais cru.
Un domino vient de tomber ; les autres suivront-ils ?
A la poursuite de l’aube du Long Jour
Le contexte de ce roman est diablement intéressant, jugez plutôt. A une date indéterminée, le soleil est « ralenti » (du point de vue des habitants de notre planète, puisque astronomiquement c’est plutôt la rotation de la Terre qui est ralentie) pour une raison inconnue ce qui a pour conséquence de considérablement rallonger le durée d’une journée. En effet, un jour terrestre dure maintenant 300 ans, et il est fort justement appelé le Long Jour. Une journée plus longue qu’une année, ça peut sembler étrange mais ça existe déjà sur la planète Vénus, même si l’écart entre les deux durées n’est pas aussi important qu’ici. Toujours est-il que c’est astronomiquement possible. Avec une journée aussi longue, la planète, toujours soumise aux saisons de l’année, se retrouve donc avec des zones chauffées par le soleil durant de longues périodes (150 ans), ce qui finit par les rendre désertiques, tandis que les zones qui restent dans l’ombre durant la même période de temps deviennent glacées. La région habitable se situe donc près du terminateur, la bande faisant office de séparation entre l’ombre et la lumière du soleil, un territoire qui, forcément, se déplace avec lui. Et c’est là que se situe la ville d’Odessa, la capitale de la Marche Centrale, forcée pour survivre de constamment poursuivre l’aube pour ne pas se retrouver dans une zone désertique sans ressource. Et donc de se déplacer, de 300 pas chaque jour.
Premier hic, c’est quoi un jour ? Ben oui, un jour dure 300 ans et s’appelle le Long Jour, alors c’est quoi un jour (sans la majuscule) ? Bon, il semblerait que les habitants d’Odessa continuent d’utiliser la mesure du temps telle que nous la connaissons (avec des clepsydres pas très précises pour mesurer une heure, car « La Marche du Levant » revêt les atours d’un roman de fantasy relativement classique, donc la technologie n’est pas très avancée), et donc une journée dure vraisemblablement 24 heures. On pourrait se demander pourquoi garder ce principe de « jour » alors que ça n’a physiquement aucune signification sur cette Terre déréglée, mais soit. Par ailleurs, sur un pur plan physiologique, le roman, qui ne manque pourtant pas de dévoiler le fonctionnement de ce monde étrange au fil de la lecture, ne donne guère d’indications sur le rythme de vie des hommes et des femmes… Comment dorment-ils ? A quel moment ? Car oui, suivre le soleil éternellement, cela signifie ne jamais avoir de nuit. Et donc côté rythmes circadiens, ça doit être un peu nawak, puisque les périodes de 24 heures n’ont plus de sens physiquement. Et encore, je ne parle là que des êtres humains, mais on imagine que ça doit être la même chose pour les animaux qui eux n’ont pas de clepsydre (ni de nuit obscure donc) pour leur indiquer qu’il est l’heure de se coucher. Et les végétaux au fait ? Parce qu’il me semble que les végétaux ont aussi besoin de l’alternance jour-nuit pour correctement se développer. Et que dorer au soleil pendant 150 ans, ça doit être compliqué à encaisser pour une plante verte… Alors bien sûr, on peut imaginer que les formes de vie se sont adaptées à ce nouveau rythme solaire, mais de cela le lecteur n’aura aucune info (ou alors j’ai raté quelque chose), et puisque la vie humaine du roman ressemble ma foi très fort à la nôtre, on est en droit de se poser la question pour le reste des organismes terrestres…
Alors voilà, le contexte est très intéressant, mais peut-être un peu perfectible si on creuse un peu… Mais Léafar Izen a de la chance, je suis bon public et prêt à avaler quelques couleuvres s’il parvient à m’embarquer dans son récit. Et sur ce point, ça a fonctionné, même s’il faut bien avouer que l’originalité n’est pas son point fort. On a une voleuse/assassine, Célérya, revenant des terres glacées de l’ouest, qui est envoyée, accompagnée de son fidèle camarade Oroverne, un vieux guerrier du Nord, taciturne mais fiable et redoutable, à l’est par sa Guilde à la solde du pouvoir central. Elle y fera face à certaines déconvenues qui lui feront voir d’un autre oeil les jeux de pouvoirs auxquels elle a pourtant été entraînée à prendre part. S’en suit une sorte de quête personnelle qui la verra s’allier, autant par les circonstances que par réelle volonté, à un petit groupe de « rebelles » persuadés d’abriter en leur sein l’élue d’une prophétie. Cela passera par des manigances politiques, des guerres, des coups d’état, des joies, des peines, des sacrifices, la vie dans tout bon roman de fantasy en somme. Et tout se transforme ensuite en quête de tout un peuple pour… Mais ça, c’est au lecteur de le découvrir… 😉
Composé de trois parties (trois « Chants »), « La Marche du Levant » montre peut-être un peu trop sa structure de départ puisque le volumineux roman de presque 650 pages était prévu pour être une trilogie à part entière. Pour en arriver à un seul livre, il a donc fallu trancher. Il y a donc des ellipses, parfois assez vertigineuses, notamment dans la troisième partie qui couvre une période de temps nettement plus longue que les deux premières et qui lui donne des allures de « chroniques d’une longue marche ». Pas désagréable d’ailleurs, bien au contraire, j’aime assez ce style, mais sur un plan narratif, le roman est un peu déséquilibré.
Plus que son intrigue, c’est donc son contexte (même s’il n’est pas parfait comme on l’a vu) qui donne au texte son sel, avec une nécessité pour Odessa de planifier sur le long terme sa survie. Où doit-elle passer par rapport au obstacles naturels (montagnes, lacs, mers, etc…), comment doit-elle gérer ses ressources (des hommes font des plantations loin à l’ouest, là où étaient situées les glaces peu de temps auparavant, ces mêmes plantations étant récoltées des années plus tard au passage d’Odessa, voire sont transformées en charbon par ceux qui suivent la ville loin à l’est dans les zones désertiques là encore de nombreuses années après), etc… Sur un plan logistique, c’est très intéressant à imaginer.
Et puis il y a le jeu avec la prophétie. Une prophétie que Léafar Izen nous montre comme un truc fait un peu au hasard au départ, et dont l’accomplissement ne tient que parce qu’elle est déjà écrite. La prophétie autoréalisatrice parfaite. Cet aspect du roman est très réussi, et a pour effet d’enlever tout pouvoir ou rôle mystique à cette élue qui ne doit sa charge que parce qu’elle se trouvait au bon endroit au bon moment et dont la vie est dictée (et dirigée par d’autres, du moins au début) par ce qui est écrit.
« La Marche du Levant » n’est donc pas un roman parfait, loin s’en faut, mais c’est un roman qui ne manque pas de qualités, d’écriture notamment, ni de souffle quand il prend des allures de chroniques presque historiques, lui donnant une certaine hauteur de vue qui lui réussit. On pourrait tout de même regretter que le roman, peut-être là aussi à cause des coupures nécessaires pour le transformer en un seul volume, délaisse parfois un peu trop ses personnages (je pense en particulier à Oroverne qui, certes, garde tout son mystère, mais pour lequel je reste persuadé qu’il n’a pas eu l’attention ni le destin qu’il méritait). Pas parfait non, mais l’aventure est belle, le contexte étonnant, et Léafar Izen, avec son final renversant (dans tous les sens du terme), ne manque pas de terminer en beauté sur une note vertigineuse qui donne à réfléchir sur tout ce qui vient d’être lu précédemment.
Lire aussi les avis de Gromovar, Feyd Rautha, Anouchka, Nicolas, Fantasy à la carte, Célindanaé, L’Ours Inculte, Le Chroniqueur, François Schnebelen, Yogo, Le Chien Critique, Xapur, Artemus Dada, Les Blablas de Tachan.
Tu vas te faite taper sur les doigts, Mr AMI avait laissé en commentaire sur mon blog :
« je n’ai pas coupé un seul mot des trois manuscrits de Léafar Izen (appelés Chants dans l’ouvrage en objet). Imaginez une rutilante locomotive et deux wagons, hé ben j’en ai fait un train vers l’Ouest. »
Je remarque que ce roman t’a fait te poser plein de questions, comme par chez moi.
Cependant, sur « Comment dorment-ils ? A quel moment ? » , je pense me rappeler que les habitants avaient calque leur habitude sur les temps anciens (les notres) et avaient adopté ce rythme de vie de 24h.
Ah mince, bon, tant pis pour moi, j’aurais dû lire les commentaires, tant pis pour moi. 😀
Oui je me suis posé plein de questions sur le fonctionnement de ce monde, il faut dire qu’il s’y prête bien. J’avais bien supposé que les journées duraient encore 24 heures, mesurées plus ou moins précisément (ce que j’indique dans mon article), mais ça pose encore plein d’autres questions. Comment sont rythmées les journées ? Est-ce que le matin et le soir sont des choses « officielles » ? Puisque le soleil est toujours présent, après tout chacun est libre de considérer que l’heure de dormir arrive à peu près quand ça l’arrange… La nuit de l’un peut donc la journée de l’autre… Certes c’est à peu près comme dans notre monde en fait, certains travaillent la nuit, d’autres le jour, mais transposé dans le monde du roman, ça demande une organisation assez particulière qui n’est pas développée.
Et sur la flore et la faune, l’impact est forcément encore plus important, et là encore, pas un mot…
Il y de quoi écrire un livre entier uniquement sur la description de ce monde et son fonctionnement en fait. 😀
Bonjour et merci pour cette chronique,
Puisque je passe par là, je me joins au débat.
Côté rythme de vie, il est dit qu’il n’y a plus d’horloge quotidienne naturelle mais qu’il est de coutume pour un homme du levant de déjeuner, dîner et dormir une vingtaine de fois par lunaison. Une journée plus longue que les nôtres donc. Comme leurs vies.
Odessa rythme sa vie et synchronise ses habitants au son de ses coups de cloche. Et la journée commence par le traditionnel déménagement. En dehors de la ville, on peut imaginer des rythme de vie plus libres. Les arbres, mis à part dans le grand nord, n’existeraient pas sans le travail des hommes. Seule une végétation frustre a le temps de renaître entre glace et désert.
Il est vrai que je n’ai pas creusé l’impact de ce tropisme sur la faune. Ainsi que d’autres aspects intéressants que vous soulevez. Je fais confiance à votre imagination pour dessiner entre les lignes.
Je confirme, rien n’a été coupé. Si le temps avance aussi vite vers la fin, c’est pour une autre raison : les protagonistes vieillissent, le temps leur file entre les doigts… Et le récit se place en altitude, comme si Kron, le dieu du temps racontait ceci du haut de son indifférence…
Il faut croire que je n’ai réussi à rendre correctement cet effet, car peu de lecteurs le comprennent en première lecture.
Merci beaucoup
Merci pour votre retour, et vous êtes le bienvenu par ici. 😉
Des précisions éclairantes, dont certaines que j’aurais dû relever par moi-même (les cloches bien sûr, c’est pourtant régulièrement décrit !…).
Nous sommes dans les littératures de l’imaginaire, imaginez des choses pour « boucher les trous », on sait faire. 😉 Mais c’est vrai que pour le lecteur peut-être un peu « technique » (à cause d’un passé de rôliste en ce qui me concerne ?), ce sont des petites briques qu’il aurait peut-être été souhaitable de trouver. Ceci dit ça n’engage que moi et je ne crois pas avoir vu d’autres critiques allant autant dans la précision de la mécanique du monde que vous avez imaginé.
Pour la dernière partie plus elliptique et couvrant un temps plus long, je me permets de m’auto-citer : « c’est un roman qui ne manque pas de qualités, d’écriture notamment, ni de souffle quand il prend des allures de chroniques presque historiques, lui donnant une certaine hauteur de vue qui lui réussit », cette dernière partie de ma phrase pointant directement le troisième chant du roman. Du coup, quand vous parlez d’un récit qui se place en altitude et que j’indique qu’il prend de la hauteur, je me dis qu’on doit penser plus ou moins de la même manière sur cette très belle dernière partie du récit. 😉 Mais bon, je dis ça juste pour me faire mousser un peu. 😀
Merci à vous pour être venu ici apporter ces éclaircissements. 😉
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