Les sept morts d’Evelyn Hardcastle, de Stuart Turton

Posted on 12 mai 2020
« Les sept morts d’Evelyn Hardcastle » est un roman qui a pas mal fait parler de lui à sa sortie en mai 2019. Il faut dire que ce mix d’Agatha Christie, « Downtown Abbey » et « Un jour sans fin » (comme mentionné en quatrième de couverture) semble à la fois improbable et terriblement intrigant. Mais avec une telle hype, le truc c’est d’arriver à être à la hauteur. Verdict.

 

Quatrième de couverture :

Mixez Agatha Christie, « Downton Abbey » et « Un jour sans fin »… voilà le roman le plus divertissant de l’année. Lauréat du prestigieux Costa Award, le premier roman de Stuart Turton est à la fois un formidable jeu de l’esprit et un régal de lecture.

Ce soir à 11 heures, Evelyn Hardcastle va être assassinée. Qui, dans cette luxueuse demeure anglaise, a intérêt à la tuer ? Aiden Bishop a quelques heures pour trouver l’identité de l’assassin et empêcher le meurtre. Tant qu’il n’est pas parvenu à ses fins, il est condamné à revivre sans cesse la même journée. Celle de la mort d’Evelyn Hardcastle.

Prêt pour un plaisir de lecture comme vous n’en avez pas connu depuis longtemps ? Plongez dans ce labyrinthe des délices. Chaque personnage, chaque recoin obscur de la maison cache un mystère. Chaque page ou presque offre un rebondissement inattendu. Et il y a 500 pages.

 

Un Cluedo sans fin

Difficile de ne pas penser au célèbre jeu de société quand on se met en tête le contexte du roman : une aristocratie britannique qui se regroupe dans une vaste propriété constituée d’un manoir et de ses dépendances, des personnages qui ont tous quelque chose à cacher, et un meurtre à élucider. D’ailleurs, la couverture s’en inspire plus qu’ouvertement dans ce parcours relevant du jeu de l’oie illustré par différents indices importants dans l’intrigue du roman (mais il manque le chandelier du colonel Moutarde…). De même, les rabats et la deuxième de couverture reprennent la liste des invités et le plan de Blackheath House (et là on est vraiment sur le plateau de jeu du Cluedo).

Mais comme le dit la quatrième de couverture, le roman va un peu plus lojn qu’un simple Cluedo, car il y a un élément fantastique avec ce « Jour sans fin » que le protagoniste principal est condamné à revivre à de multiples reprises, une boucle temporelle dont il ne pourra s’extirper que s’il parvient à élucider un meurtre qui va avoir lieu. Il faut ajouter à cela le fait que notre enquêteur (et le lecteur avec lui) se retrouve in media res au début du roman, tout en ayant perdu la mémoire sur qui il est et ce qu’il fait là. Il va donc avant tout devoir tenter d’y comprendre quelque chose dans ce qui s’apparente à un joli panier de crabes. Autre élément important : il s’avère que l’enquêteur (Aiden Bishop) n’est jamais vraiment lui-même puisqu’il se réveille chaque jour dans la peau d’un hôte différent.

Voilà qui fait beaucoup d’inconnues pour une équation qui semble totalement insoluble. Bien évidemment, il va finir par parvenir à y voir plus clair (et le lecteur avec lui là encore) au fur et à mesure des nouvelles journées et des nouveaux hôtes qui vont lui permettre de multiplier les points de vue et de jouer avec la chronologie de la journée (pour faire passer des messages à ses hôtes futurs, contrer ou anticiper les actes de certains autres, etc…).

Il faut être honnête : la complexité de l’intrigue, ou plutôt sa construction, est remarquable. Roman choral d’une certaine manière (chaque hôte est différent et son caractère influe sur les actes et les pensées de Aiden Bishop) mais malgré tout centré sur l’enquêteur puisqu’il se cache dans la peau de chaque hôte, « Les sept morts d’Evelyn Hardcastle » dévoile très progressivement le jeu trouble de cette aristocratie qui n’est jamais ce qu’elle voudrait sembler être. Couplé avec le jeu sur les boucles temporelles et les multiples entrelacements des actes de chaque personnage et des conséquences de ceux-ci sur les uns et les autres, ça nous donne un truc à la fois un peu fou et apparemment tout à fait cohérent. Quand on sait que ce roman est le premier de son auteur, ça force le respect et j’avoue que j’aimerais bien voir si Stuart Turton a fait un « plan » avant d’écrire ce livre, parce que franchement ça doit être quelque chose !

Et du coup, c’est vrai que tout ça est assez passionnant. Mystérieux bien sûr, surtout, et on a évidemment très envie d’avoir le fin mot de cette histoire. Et puis, j’avoue, j’ai commencé à peiner un peu. Les intrigues en huis clos de ce style là, c’est vrai que quand c’est bien mené c’est passionnant, mais il ne faut pas non plus que ça s’éternise trop, le huis clos ayant aussi ses limites. Et, pour moi, ces limites se situent sous la barre des 550 pages de ce roman. Oui, c’est un peu long quand même. Par ailleurs, Stuart Turton utilise quelques « trucs » qui lui permettent d’entretenir le suspense de manière un peu artificielle (quand un élément important est identifié par Bishop mais que celui-ci n’en fait pas mention avant d’en reparler au moment opportun à un autre personnage) et qui, surtout, empêchent le lecteur de pouvoir réfléchir « à armes égales » en même temps que Bishop puisqu’il n’a pas toutes les clés pour ça. Pour ceux qui ont lu le roman, je pense notamment

Spoiler !
au médaillon retrouvé par Bishop sur le corps de Ted Stanwin et représentant une Lucy Harper jeune que Bishop identifie immédiatement mais qu’il ne mentionne que bien plus tard (dans la pagination du roman, mais plus tôt chronologiquement parlant, vous suivez ? 😀 ), au moment de confronter Ted Stanwin. C’est donc un élément important de l’intrigue que le personnage comprend mais qui reste « injustement » caché au lecteur, ce qui est d’autant moins compréhensible que le roman est à la première personne et donc que le lecteur est clairement « dans la tête » de Bishop.

De même, dans la lettre adressée à Bishop lui disant de prendre garde à ses gants qui brûlent, cette dernière phrase est écrite par une personne différente du reste du texte. Un élément pourtant visuellement explicite mais que le lecteur ne découvre que sur le tard, comme si l’auteur avait voulu lui cacher cette information pourtant remarquable au premier coup d’oeil.

Et je pourrais encore citer deux ou trois autres trucs du même genre…

Saluons tout de même la maestria avec laquelle ce roman est mené, savourons cette enquête aux innombrables rebondissements (que l’on pourra relire pour tenter de trouver une faille dans la construction, à ce titre je regrette un peu que les chapitres ou même le texte ne mentionnent pas l’heure de l’action un peu plus explicitement puisque c’est là que se situe toute la subtilité de la chronologie de l’intrigue) et à la conclusion satisfaisante même si la résolution du côté fantastique ne soulèvera pas les foules et, sans faire abstraction des quelques défauts qui, personnellement, m’empêcheront d’encenser ce roman au-delà du raisonnable, reconnaissons que cette intrigue est à nulle autre pareille. C’est remarquable par certains côtés, moins enthousiasmant par d’autres, mais le public semble conquis, et ça, quoi qu’on en dise, Stuart Turton le mérite totalement.

 

Lire aussi les avis de Gromovar, Lune, Tigger Lilly, Yogo, Célindanaé, Feyd-Rautha, Baroona, Artemus Dada, Touchez mon blog monseigneur, Yuyine, Mr K, et plein plein d’autres…

Critique écrite dans le cadre du challenge « Défi Cortex » de Lune (catégorie « Dans une dimension parallèle ou une timeline divergente »).

 

  
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