Abimagique, de Lucius Shepard
Quatrième de couverture :
« C’est la fille coiffée style Halloween. Coupe Morticia Addams, teinture noir de jais, mèches orangées asymétriques. Elle a vingt-quatre ou vingt-cinq ans. Une femme-enfant, songes-tu, qui dévore des biographies d’empoisonneurs célèbres et s’est affublée des piercings les plus douloureux du marché. De la chair à goth typique. Pourtant, une fois passé les cheveux, les robes vintage, la bague-araignée au ventre de perle, les tatouages sur les mains (un crâne de vampire, un cœur humain) et le maquillage outrancier, tu remarques que son visage est empreint d’une douceur et d’une sensualité maternelles qui semblent trop vulnérables pour participer de ce monde moderne… »
Elle a pour nom Abi — diminutif d’Abimagique. Elle est volupté, sensualité, violence aussi, parfois. Le monde court à sa perte, elle en est convaincue, mais elle dit avoir le pouvoir de sauver ce qui peut l’être… Elle est impénétrable. Possible qu’elle soit Cybèle, Magna Mater, femme sorcière tellurique. Possible aussi que le temps soit venu ; celui du sacrifice…
« Lucius Shepard est incomparable… » THE TIMES
Tu tenteras le tantra
Lucius Shepard, en écrivant cette novella, a fait un pari, un peu sur un coup de tête comme il s’en explique dans une courte postface. Un pari sacrément casse-gueule : utiliser la deuxième personne du singulier. D’autres l’ont fait avant lui bien sûr, mais le risque est élevé. L’intérêt d’une telle technique narrative est d’impliquer le lecteur, et ici ça fonctionne à la perfection. Il faut dire que l’identification du lecteur au personnage principal, qui n’est d’ailleurs pas nommé, fonctionne à plein alors qu’il sont l’un comme l’autre ballottés au gré d’évènements qui les dépassent et qu’ils sont bien en peine de comprendre. A moins qu’il ne s’agisse d’une personne qui s’adresse à elle-même, avec donc une forte dose de subjectivité, ce qui correspond là aussi tout à fait à l’esprit du récit…
Car Abimagique, cette femme voluptueuse et mystérieuse que croise pour la première fois notre homme dans un restaurant, semble être bien plus qu’une « simple » femme. Qui est-elle réellement ? Que cherche-t-elle, ou plutôt contre qui lutte-t-elle ? Le personnage principal (le lecteur ?) n’est-il pas en train de se faire manipuler, d’être un simple objet utilitaire sous l’emprise d’une femme fascinante et hypnotisante aux buts et aux pratiques obscures, portant de mystérieux tatouages, étrangement proche de la nature, à la sexualité tantrique débridée ? Autant de questions qui n’auront guère de réponses à l’issue d’un texte à la conclusion ouverte, et dont on sent bien que l’histoire se poursuit au-delà de la dernière page. De fait, il appartiendra au lecteur d’imaginer ses propres explications à partir des maigres informations délivrées au cours du récit, se demandant si ce qu’il a lu (ou vécu…) est une réalité pleine de surnaturel ou bien le fruit d’une imagination déchaînée…
Pour magnifier ce récit troublant et fascinant, on peut bien sûr compter sur la plume de Lucius Shepard, toujours aussi précise, poétique, chatoyante. Les mots sont justes, les descriptions tout comme les pensées du personnage principal sont une merveille stylistique (qui doit bien sûr beaucoup à la qualité de la traduction de Jean-Daniel Brèque, traducteur attitré de Lucius Shepard, auquel l’auteur fait d’ailleurs un bref clin d’oeil dans le texte). On ne sera donc pas étonné de constater que l’utilisation de la deuxième personne du singulier semble être une formalité pour un écrivain aussi talentueux.
Je ne m’étalerai pas plus sur un texte qui n’en sera que meilleur si le lecteur en sait le moins possible. Tout juste pourrai-je conclure sur le fait que ce récit, puissamment érotique (mais dans un tout autre genre que « Les attracteurs de Rose Street ») et à l’ambiance troublante, poisseuse et sensuelle tout autant que captivante (à l’image du personnage d’Abimagique, qui échappe à toute classification), exerce une réelle fascination longtemps après avoir tourné la dernière page. N’est-ce pas la marque des grands ?
Lire aussi l’avis de Gromovar, Feyd Rautha, Célindanaé, Artemus Dada, Yuyine, Ombre Bones, Fantastinet, Boudicca, Stéphanie Chaptal, Mélie…
Critique écrite dans le cadre du challenge « Le Projet Maki » de Yogo.
Ah oui quand même. Ce bouquin vient de faire une grosse remontada dans ma PAL.
Il le mérite. C’est autre chose que le PSG quoi. 😀
Très beau texte, difficile de le lâcher une fois qu’on l’a commencé. Encore un coup de Griaule ^^
Griaule est grand, puissant, dominateur.
Tiens d’ailleurs, il faut que j’achète « Le calice du dragon ». 😉
Je n’ai pas été très convaincu par les précédents chroniqués de la collection mais celui-là fait envie.
Sans doute la plus belle plume de la collection en tout cas. Le reste, la sensibilité par rapport aux histoires, etc, dépend évidemment beaucoup de la sensibilité de chacun.
Mais quand même, Ken Liu et « L’homme qui mit fin à l’Histoire » est un sommet, la zénitude de Roger Zelazny dans « 24 vues du Mont Fuji, par Hokusai » est une vraie réussite, ou bien l’importance du travail collaboratif dans « Un pont sur la brume » de Kij Johnson… Ce ne sont que quelques exemples très personnels bien sûr. 😉
C’est au moins assurément la marque de Lucius Shepard – quel bonheur que Griaule lui ait accordé ce talent. Je compte forcément la lire un jour, mais ton avis réhausse bien mon envie. ^^
Tu vas lire Lucius Shepard, toi ? Quelle surprise ! 😀
D’ailleurs, tu as de quoi faire, il a été plutôt bien édité même s’il faut parfois fouiner dans les occasions…
Très chouette novella en effet. Mais je crois que j’ai préféré Les attracteurs de Rose Street !
Ce sont deux histoires et deux genres totalement différents. Mais j’ai beaucoup apprécié les deux. Il faut que j’explore un peu plus la bibliographie de Lucius Shepard, je crois qu’il y a de quoi se faire plaisir… 😉