Aurora, de Kim Stanley Robinson
Quatrième de couverture :
Notre voyage depuis la Terre a commencé il y a des générations.
À présent, nous nous approchons de notre destination.
Aurora.
Brillamment conçu et merveilleusement écrit, un roman majeur d’une des voix les plus puissantes de la science-fiction moderne. Aurora raconte l’histoire incroyable de notre premier voyage au-delà du système solaire, pour trouver un nouveau foyer.
Space, the final frontier…
Après un voyage de 170 ans à 10% de la vitesse de la lumière (avec tout de même plusieurs années d’accélération à l’aide d’un laser tiré depuis Saturne et autant d’années de décélération), les 2122 occupants d’un vaisseau générationnel (qui n’a pas de nom, chose rare) arrivent à destination : l’étoile Tau Ceti, dans la constellation de la Baleine, et notamment la planète E, située dans la zone habitable et dotée d’un satellite (nommé Aurora) qui pourrait être éligible à l’installation d’une colonie humaine.
Mon introduction donne le ton : Kim Stanley Robinson écrit de la hard-SF, « Aurora » ne fait pas exception, et même si les quelques chiffres qui apparaissent dans cette entrée en matière n’ont rien de très effrayants, le roman dans son ensemble est basée sur les sciences, « dures » avant tout (astronomie, biologie, physique…), mais aussi humaines (sociologie et politique). En fait, il est frappant de voir à quel point ce roman est une sorte de roman « total » : tout est réfléchi, tout fait sens, tout est cohérent, dans tout les aspects qu’il aborde. Et comme j’ai envie de dire qu’il aborde tous les aspects, je me permets d’affirmer que tout y est.
Les choses qui fâchent d’abord…
Alors c’est vrai, pour évacuer les tares du roman, car il y en a, il faut parler du style de Kim Stanley Robinson. L’auteur n’est certes pas connu pour sa prose lyrique, et effectivement ici c’est sec comme un coup de trique. Très factuel, sans doute un peu froid, avec quelques passages narratifs explicatifs qui relèvent plus du documentaire que du roman.
Mais Robinson a été suffisamment malin pour donner une explication à ce style, qui fait partie du processus narratif du roman puisqu’on s’aperçoit rapidement que le récit nous vient de l’intelligence artificielle qui régit le vaisseau. Celle-ci a en effet été mandatée par Devi, l’ingénieure en chef (née sur le vaisseau puisqu’on parle bien d’arche générationnelle) pour raconter le voyage. Ce n’est pas un détail, puisque ce processus va amener l’IA à appréhender le langage humain sous un angle très analytique mais va surtout la conduire à s’humaniser, à « réfléchir » à son statut, à s’interroger sur la conscience et, le cas échéant, à prendre des décisions.
L’autre défaut du texte est la relative faiblesse de ses personnages, qui manquent clairement d’éclat et qui ne portent pas le récit. On pourrait arguer que c’est une mauvaise chose, et si ces personnages ne sont pas un point fort du récit, il va falloir pour emporter l’adhésion du lecteur que Robinson mette les bouchées doubles sur le reste…
Et ensuite, ce qui est bon (c’est à dire tout le reste !)
Et bon sang c’est le cas, mille fois oui ! « Aurora » est un voyage interstellaire époustouflant, reprenant certains thèmes classiques des romans de ce type pour en faire un tout qui, à la condition d’être sensible à ce type de récit bien sûr, va vous faire chavirer plus d’une fois. C’est bien simple, j’ai eu des étoiles plein les yeux à de multiples reprises, le « sense of wonder » est à son sommet quasiment du début à la fin. Le récit est d’une rare ampleur, aborde de manière magistrale des éléments pourtant explorés à de multiples reprises (la colonisation d’une nouvelle planète par exemple), mais il le fait avec un souci du détail et du réalisme saisissant.
Il m’est difficile d’aborder de plus près les différentes étapes du voyage qu’offre ce roman, car expliquer ce qui le rend merveilleux serait spoiler éhontément, et « Aurora » mérite d’être découvert sans connaître ces détails. Alors je tairai les éléments clés de l’intrigue pour insister sur les aspects scientifiques, qui d’ailleurs peuvent donner un piste sur ce que va vivre l’équipage du vaisseau.
Syndrome de l’insularité
Robinson, très au fait des sciences, n’ignore pas qu’un long voyage en vase clos pose de sérieux problèmes. Le vaisseau du roman, constitué de deux vastes anneaux (eux-mêmes constitués de douze « biomes » de plusieurs kilomètres de long, recréant différents climats de la Terre, avec la faune et la flore correspondants à ces habitats et susceptibles d’être introduits sur Aurora) reliés à une structure centrale cylindrique, a bien du mal à amener ses occupants à bon port.
Au bout de 170 ans de voyage, malgré un recyclage systématique de la matière (quelle qu’elle soit), le métabolisme de ses biomes souffre de déséquilibres graves, mettant en danger l’existence même de l’équipage. Ce syndrome de l’insularité, couplé au fait que les bactéries qui peuplent ces habitats évoluent beaucoup plus vite que les organismes plus complexes, rend les longs voyages délicats. Il est amusant de constater que c’est cette raison qui a amené Liu Cixin, dans « Terre errante », à déplacer la Terre plutôt que de construire des vaisseaux, aussi gigantesques soient-ils… Le côté biologique et génétique des choses est donc abordé de près, l’occasion pour Robinson d’étudier de près le fonctionnement du vaisseau du point de vue écologique.
Les robinsons suisses humains
Le roman s’intitulant « Aurora », on a bien sûr droit au débarquement sur ce satellite de la planète E. Un monde fascinant, pas follement original en soi, mais l’installation de la colonie y est décrite avec minutie. Tout comme les précautions prises par les colons. Installation des premiers baraquements, des premiers véhicules, puis premiers déplacements vers ce qui pourrait constituer le premier véritable lieu d’habitation, etc… Cette volonté de réalisme chevillée au corps de Robinson (malgré une utilisation un peu trop intensive pour être tout à fait honnête des imprimantes « à tout faire », jusqu’à imprimer des imprimantes…) rend cette expédition fascinante, car on y croit. Et inévitablement, l’auteur finit par nous montrer que l’Homme vient de la Terre, et que les autres mondes ne sont pas vraiment faits pour lui.
Enfin l’aspect politique et social est loin d’être négligeable. Car après tout, pour gérer plusieurs générations de voyageurs et une odyssée de près de deux siècles, il faut bien un système. Assez léger malgré tout tant que les occupants du vaisseau, disséminés dans les biomes, mènent leur vie tranquillement vers un objectif qui reste encore lointain, il va devenir critique dès lors que les problèmes font leur apparition et que la population se scinde en plusieurs factions aux avis différents. Il en va de la survie du vaisseau, de la réussite ou non de la « mission ».
Une épopée renversante !
Constitué de sept longs chapitres, le roman est donc absolument captivant. Jamais à court d’idées, relançant constamment la machine de chapitre en chapitre pour rendre l’épopée du vaisseau toujours plus palpitante et ambitieuse (ce fabuleux sixième chapitre, vertigineux à souhait, et décrivant une fuite en avant basée sur une navigation gravitationnelle au millimètre près… J’en rêve encore !), et s’inscrivant de manière spectaculaire sur un temps long d’une manière similaire à ce qu’avait fait Poul Anderson avec « Tau zéro » (sans toutefois être aussi extrême), « Aurora » est un spectacle quatre étoiles. Solide scientifiquement, il fait vivre au lecteur une épopée époustouflante.
Et du coup, le dernier chapitre, sur un ton très différent du reste, plus personnel, plus introspectif, détonne un peu. Il a certes son intérêt, avec notamment une conclusion frappante (peut-être amenée de façon un peu trop maladroite…), mais après ce splendide voyage on était en droit d’attendre une fin en apothéose. C’est sans doute pour mieux nous surprendre et mieux faire passer son message que Robinson a procédé ainsi et malgré ce petit bémol, à l’évidence le but est atteint.
Je crois donc que grandiose est un qualificatif qui sied parfaitement à « Aurora ». Les amateurs de grandes épopées spatiales ne pourront qu’être scotchés par ce récit. Certains disent que c’est le meilleur roman écrit par Kim Stanley Robinson. Puisque c’est le premier roman que je lis de cet auteur, je ne peux évidemment pas me prononcer, mais il me donne en tout cas très très envie d’aller voir de plus près le reste de sa bibliographie. Splendide !
Lire les avis de Gromovar, Feyd-Rautha, Yogo, Terenceblack, Charybde2, Gepe, Léa Touch Book, Culture vs news, Post Tenebras Lire, Christophe Dasse, Gloubik.
C’est mon roman coup de coeur de l’an dernier et j’ai l’impression qu’il soit un peu passé sous le radar de la blogosphère SF !
Cela m’a donné envie de relire les autres KSR que j’avais abandonné… sa trilogie Martienne pour commencer.
Je ne sais pas s’il est passé sous le radar, il a quand même été adoubé par un certains nombres de blogueurs. Mais si on peut en convaincre quelques autres… 😉
Je ne sais pas si je vais attaquer sa trilogie martienne, j’ai plutôt envie de me pencher sur des trucs moins massifs (et en un seul tome, genre « Chroniques des années noires »), mais vu que la trilogie martienne est un monument de SF, il faudra bien y passer un jour… 😉
Génial! Je mets dans ma liste d’envies. 🙂
Une décision judicieuse. 🙂
Quel coup de génie ce serait pour une IA d’écrire un livre sous un pseudonyme humain et de camoufler son manque de style en laissant croire à son caractère volontaire car le récit est justement raconté par une IA. Quelqu’un a vérifié l’humanité de Kim Stanley Robinson récemment ?
Je crois que tu viens de mettre le doigt sur une conspiration d’IA ! O_O Il faut prévenir les autorités !
Ha, ça sera peut être l’occasion de tenter l’auteur.
J’avoue que j’ai toujours été rebuté par la réputation de son style et de ses personnages. Et le fait qu’il écrive des bons parpaing n’aide pas trop ^^
Moi aussi. Mais là, devant les critiques enthousiastes (et un pitch très alléchant), je me suis laissé tenter. Et wow, je ne le regrette pas un seul instant !
Je l’ai aussi, et je n’avais jamais lu l’auteur non plus. Je viens d’entamer Mars la Rouge, j’en suis à la moitié, et j’adore. Tout le monde m’avait prévenue que c’était vraiment de la « hard SF », très coriace, très sèche, assez pénible à lire… Pourtant je trouve ça très sympa, fluide, accessible. Il y a même des histoires « romance », sur plusieurs dizaines de pages, qui, si elles avaient été écrites par des femmes, auraient fait hurler à la mièvrerie. Mais non, c’est un homme qui écrit ça, donc c’est sérieux et pas du tout ridicule et déplacé dans ce type de roman de SF… (ce sont les passages qui m’ont le plus gonflée, je préfère largement qu’on me parle de chimie ou de géomorphologie). Mais c’est vraiment bien, on a du mal à s’arrêter. J’ai hâte de lire la suite.
Merci pour la petite chronique, ça donne envie 🙂
Je réponds tardivement, ton message était passé dans les spams, désolé…
Décidément, la trilogie martienne de Robinson semble vraiment incontournable. Vu l’ampleur du projet, on peut lui excuser quelques passages mièvres ou superflus (et ça n’a rien à voir avec le fait que ce soit un homme qui les ait écrit, ce serait la même chose pour une femme), d’autant que ce n’est à l’évidence pas ce que l’on retient de cette série.
Un jour je m’y mettrai, un jour. 😉
Il est dans mon radar celui-ci. Je n’ai pas lu Kim Stanley Robinson depuis une éternité mais sa trilogie martienne m’a marquée.
Ce bouquin devrait être dans les radars de tout le monde en fait, parce qu’il est vraiment top. Mais je crois que j’ai été assez clair sur le sujet, non ? 😀
Bon je penserais peut-être à lui cet été pour un certain challenge ^^
Je crois que je vois à peu près de quoi tu veux parler… 😀
Bonne idée en tout cas. 😉