Bifrost 96, spécial William Gibson
Dernier numéro du Bifrost en date, le numéro 96 s’intéresse à un auteur majeur de la SF, le « pape du cyberpunk », j’ai nommé William Gibson. Un auteur important donc, dont les ouvrages sont pour le moins difficiles à se procurer. Le pourquoi du comment est dévoilé dans le dossier qui lui est consacré, mais le fond du problème est à rapprocher de ce que pointe Olivier Girard dans l’édito, à savoir que les éditeurs de poche (les grands groupes avant tout) font de moins en moins bien leur boulot, qui est (avant tout ?) de faire en sorte que le « fonds », les oeuvres importantes du genre SF, soient disponibles à la vente.
Gibson est un exemple illustrant ce problème, on pourrait sans doute citer d’autres auteurs (on parlait de Theodore Sturgeon dans le numéro qui lui était consacré). Le constat est assez sévère, tout en étant juste. À la décharge des éditeurs de poche, je me permettrais quand même de signaler que le fonds s’enrichit d’années en années et qu’il est sans doute bien difficile pour les éditeurs poche de reprendre les parutions grands formats âgées d’un ou deux ans et de faire vivre un fond de plus en plus important, tout en faisant suffisamment de ventes pour assurer la pérennité de la structure. Un vrai travail d’équilibriste pour lequel je ne suis pas sûr qu’il y ait une solution miracle…
Les rubriques habituelles
Du côté des critiques, tellement nombreuses que tout ne tient pas dans le format papier (il faut donc se tourner vers le site du Bélial (ici et là) ou bien, à vos risques et périls, vers le format numériques de la revue), BEAUCOUP de parutions intéressantes. Trop sans doute pour la santé de nos portefeuilles d’une part mais aussi pour notre temps disponible. Impossible de tout lire, des choix s’imposent. Mais à l’évidence, la qualité des nouveautés est bel et bien là !
On passera rapidement sur le coin des revues animé par un Thomas Day moins incisif que d’habitude (ça fera des crises de nerfs en moins chez les éditeurs de ces périodiques, Thomas Day a vraiment l’esprit de Noël !) pour s’intéresser à l’interview de Alain Sprauel, le gentil psychopathe responsable des bibliographies des auteurs mis en avant dans les Bifrost ainsi que dans certaines parutions du Bélial’. Un fan de rangement donc, et qui aime aussi la généalogie. Deux passions qui vont certainement bien ensemble. Bon, je dis qu’il est gentil mais si ça se trouve, si vous allez chez lui et que vous vous amusez à déplacer quelques bouquins d’une étagère à l’autre (sachant qu’il en a une tripotée !), il ne va peut-être guère apprécier… 😀
Enfin, dans « Scientifiction », Roland Lehoucq nous donne un petit court de « matière dégénérée ». Partant d’un comics (« The Atom »), c’est l’occasion de s’intéresser à des états un peu extrêmes de la matière, en commençant doucement par une naine blanche avant d’aller sur des étoiles à neutrons. Un excellent article, qui expose notamment très clairement le cycle de vie d’une étoile et sa fin de vie, avec en plus quelques exemples de matière « bizarre » utilisée en SF. Passionnant !
Pour terminer, quelques news du secteur de la SF, avec notamment un rappel pour signaler que les votes pour le Prix des lecteurs de Bifrost 2019 sont ouverts, et ce jusqu’au 20 décembre. Il est donc plus que temps que je m’y mette, et vous aussi (si vous êtes abonnés).
Le dossier Gibson
De manière générale, les dossiers Bifrost c’est du solide. Là, disons-le tout net, c’est moins réussi. La faute en incombe sans doute avant tout à l’auteur lui-même, qui ne semble pas être du genre à s’épancher dans les médias pour donner suffisamment de matière à d’éventuels biographes. L’équipe du Bifrost a donc dû se rabattre sur deux articles écrits par un journaliste américain, Gary Westfahl, en 2013. Le premier s’intéresse essentiellement aux jeunes années de Gibson, c’est à dire pré-« Neuromancien », l’autre regardant de plus près ses parutions en fanzines, là aussi dans sa prime jeunesse. Dans l’absolu ce n’est pas inintéressant, quoique l’article sur les fanzines nous met face à des récits que nous n’avons aucun moyen de récupérer, même en VO, et parle à plusieurs reprises des dessins de Gibson qui ne sont pas présents dans l’article (sans doute pour des raisons de droits, mais c’est frustrant). Et donc tout ça est très bof, et donne surtout l’impression de n’approcher l’auteur que par la bande.
Heureusement, une belle interview fait suite à ces deux articles. Une interview réalisée par Larry McCaffery qui date de… 1988 ! Décidément, ce William Gibson est insaisissable ! Qu’on se rassure, elle est extrêmement intéressante. Reste à espérer que son état d’esprit n’ait pas changé depuis pour se dire qu’on a enfin une idée de ce que pense l’écrivain, mais disons qu’on a au moins une belle vision de ce qu’il était en 1988, peu après sa « trilogie Neuromantique ».
Arrive ensuite un guide de lecture qui revient sur les oeuvres d’un auteur finalement pas très prolifique. Un guide qui donne très envie de se replonger dans des textes qui ne m’avaient pas franchement convaincu au premier abord, notamment « Gravé sur chrome » ou bien le fameux « Neuromancien » dont la critique fait attendre la nouvelle traduction (fin 2020) avec la bave aux lèvres (bien plus que l’extrait de la dite traduction d’ailleurs, disponible dans ce numéro, j’y reviens un peu plus loin…). On remarquera tout de même que cette critique est écrite par Laurent Queyssi, l’homme qui s’occupe de cette nouvelle traduction, on le voit donc mal dire que ce roman est mauvais… Juge et partie, tout ça… Mais bon, il adore et c’est son droit, tout comme c’est son droit de nous le dire.
Mais donc, comme je le disais en introduction, les oeuvres de Gibson ne sont plus guère disponibles. Heureusement, les éditions Au Diable Vauvert sont là ! Elles ont en effet racheté les droits et vont donc rééditer tout Gibson dans les années qui viennent, en romans simples et en intégrales. Marion Mazauric, la patronne, nous dit ce que représente Gibson pour elle comme pour la littérature SF (et littérature tout court). Gibson va donc revenir sur les étals, et c’est une bonne nouvelle.
Reste au final un dossier en demi-teinte donc, qui ne convainc qu’avec une vieille interview et un guide de lecture qui donne furieusement envie de s’y (re)mettre (et bien sûr une bibliographie dressée par Alain Sprauel). Le reste est malheureusement plus anecdotique… Déjà que Gibson n’est pas mis en valeur par une couverture qui le fait passer pour un Talosien… 😀
Les nouvelles
Bon, le dossier n’est pas tout à fait convaincant, mais les nouvelles vont changer la donne, n’est-ce pas ? Ben non, pas vraiment. On peut commencer par le bon, le récit de Tim Pratt, « Rêves impossibles », une belle histoire sur une (et même plusieurs) uchronies cinématographiques avec ce cinéma venu d’une dimension parallèle dans laquelle un certain nombre de films jamais réalisés chez nous ont finalement trouvé leur chemin jusqu’aux salles obscures. Ça parle au fan de ciné, c’est mignon, c’est doux, les personnages sont touchants et crédibles, c’est une belle histoire de romance, c’est réussi (et on trouvera une belle adaptation en court métrage ICI).
Claude Ecken, que j’ai peu lu mais dont j’ai adoré « En sa tour, Annabelle », est au sommaire avec « Fidèle à soi ». L’introduction par Olivier Girard le compare à Greg Egan. Si on parle de personnages froids et sans saveur, c’est en effet assez vrai ici, mais c’est peut-être le but avec cet homme qui suit une « stimulation magnétique transcrânienne répétitive » à la demande de sa petite amie, pour le sortir de ses dérives alcooliques. Un traitement qui va changer son comportement. Pour le meilleur ou pour le pire ? Et donc c’est long, parfois très (trop !) introspectif sans que cela ne donne plus de vie aux personnages, jamais je ne suis parvenu à entrer dans le récit.
Ce n’est guère mieux avec « L’express des étoiles » de Michael Swanwick, qui pêche par l’effet inverse de la nouvelle de Claude Ecken : il y a ici à l’évidence pas mal de choses à explorer dans cette nouvelle qui reste malheureusement trop courte pour donner toutes les clés au lecteur. Le texte aurait gagné à être un peu plus étoffé. Reste un récit qui se veut touchant mais qui n’y parvient qu’à moitié. Dommage.
Et donc, la dernière nouvelle n’en est pas une puisqu’il s’agit d’un extrait de la nouvelle traduction de « Neuromancien » de William Gibson, par Laurent Queyssi et à paraître fin 2020 aux éditions du Diable Vauvert. Un extrait qui lâche le lecteur sans contexte, en plein chapitre 3. Voilà un texte qui arrive dans ce numéro comme un cheveu sur la soupe. Sans doute aurait-il été préférable de commencer par le premier chapitre (en général c’est ce que font les éditeurs pour donner envie aux lecteurs…), ce qui nous aurait aussi permis de voir comment le célèbre incipit de la traduction de Jean Bonnefoy a été retouché. Mais ici, j’avoue ne pas avoir eu d’accroche avec le texte, sans élément pour « m’orienter ». De fait, la critique du roman donne bien plus envie que cet extrait qui me paraît au contraire assez contre-productif. D’ici un an, espérons que les éditions du Diable Vauvert sauront appâter le lecteur de manière plus efficace, Gibson le mérite certainement.
Pour conclure
Bon allez, je tape, je tape, mais qui aime bien châtie bien. Et puis on ne peut pas toujours faire des dossiers bétons comme pour les numéros consacrés à Theodore Sturgeon ou Edmond Hamilton… Ce sera sûrement mieux la prochaine fois, avec un dossier consacré à Alfred E. Van Vogt, un auteur qui ne m’attire pas plus que ça, mais que je connais en fait très peu. Avec un bon dossier, j’espère me mettre à niveau. ^^
Faire une revue moins percutante – alors que c’est ce que tout le monde attend – pour être à l’image du reste du numéro, moins bon que d’habitude, quel dévouement ce Thomas Day.
Et vive FolioSF.
Thomas Day ne peut pas s’empêcher de se fondre dans le moule du numéro. Total investissement. 😀
Et oui pour FolioSF qui fait du beau boulot. Mais peut-être qu’effectivement, le « vieux » fond reste en retrait…