Chiens de guerre, de Adrian Tchaikovsky
Quatrième de couverture :
Je m’appelle Rex. Je suis un bon chien.
Rex est un bon chien. C’est un biomorphe, un animal génétiquement modifié, armé de fusils-mitrailleurs de très gros calibre et doté d’une voix synthétique créée pour instiller la peur. Avec Dragon, Miel et Abeilles, son escouade d’assaut multiforme, il intervient sur des zones de combat où les humains ne peuvent se risquer.
Rex est un bon chien. Il obéit aux ordres du Maître, qui lui désigne les ennemis. Et des ennemis, il y en a beaucoup. Mais qui sont-ils réellement? Se pourrait-il que le Maître outrepasse ses droits? Et si le Maître n’était plus là?
Rex est un bon chien. Mais c’est surtout une arme de guerre hautement mortelle. Que se passerait-il s’il venait à se libérer de sa laisse?
Après les araignées du futur lointain de Dans la toile du temps, Adrian Tchaikovsky crée un personnage de chien intelligent aussi dangereux qu’attachant. Il met ainsi en lumière les conséquences, notamment éthiques, des recherches en biotechnologie.
Bon chien !
Après l’évolution sur plusieurs millénaires d’araignées « augmentées » par un rétrovirus dans « Dans la toile du temps », Adrian Tchaikovsky se penche avec « Chiens de guerre » sur l’évolution sur plusieurs années d’un chien génétiquement augmentée et cybernétiquement amélioré. « Dans la toile du temps » utilisait l’imagination débordante et remarquablement « réaliste » de l’auteur pour finalement confronter une humanité au bord de l’extinction à une toute autre civilisation, radicalement différente et qui a pourtant vécu les mêmes crises que la société humaine durant son histoire. À la lecture de « Chiens de guerre », on finit vite par s’apercevoir que la canevas du récit est à peu près le même, avec tout de même un contexte différent.
Point de millénaires qui passent, toute l’action du récit se déroule ici sur quelques années, dans un futur relativement proche dans lequel les manipulations génétiques et cybernétiques ont donné aux militaires la possibilité d’utiliser des animaux améliorés (appelés biomorphes) lors des missions à risque. Rex est un de ces animaux-armes. Capable de se dresser et de marcher sur deux pattes, haut de plus de 2 mètres, avec tout un tas d’amélioration faisant de lui l’arme parfaite (parfaite car puissante, produite à la chaîne et donc aisément sacrifiable, c’est d’ailleurs tout l’enjeu du récit mais j’y reviendrai), comme une musculature upgradée, une peau plus résistante, une vitesse de mouvement bien au-delà des capacités humaines, deux fusils-mitrailleurs montés sur les épaules, etc… Et Rex pense. Car il est doté de quelques fonctions communications et d’analyses elles aussi améliorés et d’un module de rétroaction augmentant son instinct de récompense. Ainsi Rex obéit au Maître, et fait tout pour le contenter, sur un mode bon chien/mauvais chien. Il est le chef d’une équipe « multiforme » composée également de Dragon, un gros lézard furtif et maître dans l’art du sniper, Miel, une énorme ourse particulièrement intelligente (et puissante, forcément) et Abeilles, un essaim d’abeilles à l’intelligence distribuée, expert en reconnaissance et en frappes multiples.
L’escouade de Rex, au sein d’une compagnie privée de mercenaires, est engagée dans une guerre civile au Mexique à la demande du gouvernement mexicain pour mater la rébellion des Anarchistas. C’est dans cette zone de guerre que Rex et son escouade vont devoir faire face à une coupure de communication de grande ampleur, les laissant esseulés, sans les ordres du Maître pour les guider. Que faire ? Ne rien faire ? Prendre des décisions sans savoir si c’est ce qu’aurait voulu le Maître ? C’est le début d’un récit qui va atteindre des niveaux au départ insoupçonnés. Car les premières pages du texte, sur un ton très militaire, mettent en scène la guerre, avec tout ce qu’elle amène d’atrocités. Et puis Rex et son équipe découvrent la liberté, de façon douloureuse. Car il est bien difficile d’être libre quand on a été prisonnier toute sa vie. Et que son seul souhait c’est de retrouver le Maître et ses ordres, pour redevenir un bon chien.
La narration du roman oscille donc entre les pensées de Rex (on est projeté dans la tête du chien, avec une manière de penser très « canine » et docile, un peu comme dans « Blues pour Irontown », l’humour en moins) et celles d’autres protagonistes humains, liés d’une manière ou d’une autre aux actions de Rex, ce qui permet d’élargir le point de vue, d’informer le lecteur sur le contexte général, et de l’amener ensuite à un autre niveau. Car cette guerre au Mexique n’est que le début d’un récit qui se veut beaucoup plus ambitieux qu’un « simple » récit martial.
Evolution de la société, intelligence artificielle, statut légal que l’on pourrait accorder à des êtres cybernétiques (ne sont-ils que des armes de guerre sacrifiables, ou sont-ils des être vivants intelligents, conscients d’eux-mêmes et des autres, avec des droits fondamentaux ?), mélanges de vivant et d’électronique de haute technologie, impacts sociétaux, juridiques et sociaux d’une telle décision, avec en toile de fond une singularité technologique qui ne dit pas son nom, telle est la substantifique moelle d’un texte qui cache bien son jeu mais qui finit par faire mouche et par captiver le lecteur. Et au-delà de ces thématiques, c’est aussi le racisme qui est abordé, la peur de l’humain face à « l’autre », à l’inconnu, à celui qui est différent, ou bien la critique de la recherche du profit à tout prix de la part des entreprises et des gouvernements, sans un regard pour les populations impactées, quelles qu’elles soient, sans oublier la notion de dérive technologique, touchant jusqu’à l’être humain, au mépris des droits les plus élémentaires. La réflexion poussée par Adrian Tchaikovsky est remarquable à plus d’un titre : elle est d’une part technologiquement crédible (la cybernétique bien sûr, et plus généralement les biotechnologies, et cette fascinante démonstration par l’exemple de ce qu’est une intelligence distribuée avec Abeilles), et éthiquement et moralement tout à fait pertinente, avec un aspect social/sociétal important pour faire contrepoint à l’aspect « hard-SF » (pas très hard mais disons très technologique) du texte. C’est passionnant et l’évolution de la société imaginée par l’auteur sonne juste, pose le doigt sur les points délicats, ne fait pas dans l’angélisme (loin s’en faut !) et s’avère tout à fait perspicace et convaincante.
On pourrait reprocher à Tchaikovsky de reprendre le schéma narratif de « Dans la toile du temps » (alternance de points de vue araignées/humanité au fil des millénaires dans « Dans la toile du temps », alternance Rex/humains au fil des années dans « Chiens de guerre », pour dans les deux cas décrire une ou des évolutions de sociétés, confrontant l’humanité à l’inconnu), mais ce serait lui faire un mauvais procès. Car « Chiens de guerre » est avant toute chose un excellent roman, qui impose un personnage « différent », Rex (comme les différentes itérations de Portia, Bianca ou Fabian toujours dans « Dans la toile du temps »), le fait évoluer au fil des chapitres, pour en faire le porte-étendard d’une cause qui le dépasse et va bien au-delà de ses seuls congénères. À ce titre, la dernière partie du récit pose les bases d’une révolution encore plus importante, qui n’aurait eu aucune chance d’espérer se produire si Rex n’avait pas existé. Alors oui, on s’attache à lui, quand bien même il ne pense pas tout à fait comme nous, n’est pas tout à fait un personnage « aimable » (quoique, et c’est aussi là tout le sel du récit, en lien avec les thématiques explorées).
Mission une nouvelle fois accomplie donc pour Adrian Tchaikovsky qui nous livre ici un roman riche, bien plus profond que ce qu’on pouvait imaginer de prime abord, tenant autant de la prospective technologique que sociétale. C’est fort, c’est prenant, c’est remarquable.
Lire aussi les avis de Feyd Rautha, Cédric, Artemus Dada, Hilaire Alrune, Aelinel, Cédric.
Comme Rex, j’en ai la bave aux lèvres. Je vais sans doute m’y attaquer rapidement. « Dans la toile du temps » m’avait vraiment botté et pour ma part je ne serai pas fâché de retrouver une structure analogue. Bref, merci pour ton article.
Mais de rien, merci à toi. 😉
Si tu aimé « Dans la toile du temps », tu devrais aussi apprécié celui-là. Tes élèves ont bon goût. 😉
Ça donne envie. Au final, puisque la comparaison est filée, lequel est le meilleur des deux pour toi entre celui-ci et « Dans la toile du temps » ?
Les deux ont leurs points forts. Si tu préfères quelque chose de plus « SF » (dans le sens plus loin dans le temps et utilisant pas mal des grandes thématiques du genre, avec vaisseau-arche, cryogénisation, etc…) tu peux te tourner vers « Dans la toile du temps ».
« Chiens de guerre » a pour lui d’être plus proche de nous, et plus court aussi (320 pages contre 580 pour son aîné).
Mais au final, puisque tu me mets le couteau sous la gorge ( 😉 ) et me demandes de faire un choix, je vote quand même pour « Dans la toile du temps », forcément plus ample et avec une civilisation arachnéenne absolument fascinante, malgré une partie dédiée à l’humanité plus faible que le reste. 😉
Tu donnes envie. Ça me parle d’autant plus en tant qu' »amie des bêtes ». Peut-être un peu dur pour une âme sensible, non? En tout cas cet auteur semble super intéressant, il faudrait que je le lise un jour…
L’amie des bêtes peut aussi être l’amie de ce roman, je pense même que ça peut très bien fonctionner puisqu’elle sont ici très « humanisées » du fait de leurs « améliorations ». L’effet d’attachement s’en trouve sans doute renforcé.
Par contre en effet, sur ce sujet, certains passages sont peut-être un peu sensibles…
Je pense me laisser tenter, je l’avais repéré lors de la rentrée littéraire et le pitch m’a bien plu
Honnêtement, je ne m’attendais pas à être pris dans le roman de cette manière. C’est vraiment une belle réussite. Alors je ne peux que te conseiller de tenter le coup. 😉
Plus j’en entends parler, plus j’ai envie de le lire. Y a plus qu’à le faire venir en PAL !
Voilà, yapluka !
J’espère que ça te plaira autant qu’à moi. 😉
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