Ubik, de Philip K. Dick

Roman qu’on ne présente plus, régulièrement cité parmi les grands chefs d’oeuvre de Philip K. Dick, « Ubik » aurait dû faire partie de mes lectures plus « tardives » de l’auteur, histoire d’avoir plus de recul sur son oeuvre avant d’attaquer ce classique. Mais l’arrivée d’une édition dite collector (qui n’a de collector que le nom puisqu’elle n’a rien de plus que les éditions précédentes si ce n’est une (très réussie) nouvelle couverture tape-à-l’oeil), m’a fait changer d’avis. Alors, c’est quoi « Ubik » ?

 

Quatrième de couverture :

Entre la régression du temps et l’instabilité du monde des morts, Ubik est le piège final des réalités. Dans ce roman culte qui réunit tous les thèmes de la S.F., Philip K. Dick peint le portrait d’une humanité à l’agonie, dominée par la technologie. Pour Joe Chip, le héros spécialisé dans la traque des télépathes, la paranoïa et le doute sont les seules certitudes…

 

Je suis vivant et vous êtes morts

« Ubik », au-delà de tout ce qu’on pourrait dire concernant ce roman, est sans doute une expérience pour le lecteur. Une expérience à la fois déstabilisante puisque Philip K. Dick utilise tout son savoir-faire pour ne pas que le lecteur se trouve en terrain connu, sans cesse se demandant où est le vrai et la faux, et fascinante parce que parfaitement maîtrisée sur le plan de la narration et impossible à lâcher.

Mais avant d’aller plus loin, revenons un instant sur le pitch du roman, sans aller trop loin car en dire trop serait aller à l’encontre de l’expérience que voulait faire vivre Dick à ses lecteurs. Au départ, on a tout simplement deux agences concurrentes, l’une utilisant des télépathes pour rendre certains services à leurs commanditaires (entreprises ou autres), l’autre au contraire utilisant des neutraliseurs chargés de contrer les télépathes. Glen Runciter dirige cette dernière. Il reçoit un gros contrat venant d’un milliardaire qui le charge de neutraliser une infiltration de télépathes sur une installation secrète sur la Lune. Runciter demande à un de ses neutraliseurs, Joe Chip de constituer une équipe pour mener à bien cette mission. Bien évidemment, rien ne se déroulera comme prévu.

Je m’arrête là, l’effet de surprise est important. Car Dick ne fait rien comme tout le monde. Le roman débute certes de la manière décrite au-dessus, avec pas mal d’humour et décrivant un monde futuriste (en 1992, alors que le roman a été écrit en 1966) dystopique et ultra-capitaliste (dans lequel tout se paie, même le simple fait d’ouvrir la porte de son logement, c’est d’ailleurs l’une des scènes les plus connues du roman), mais le récit dévie très rapidement pour ne pas se contenter d’être un thriller futuriste. Car d’une part la société dépeinte par Dick est originale à plus d’un titre (on pourrait parler des êtres en « semi-vie » : morts mais que la technologie permet de placer dans une sorte de stase et avec qui il reste possible de communiquer), mais aussi (et surtout !) car Dick brouille très rapidement les pistes avec les thèmes qui lui sont chers et habituels, mêlant schizophrénie, paranoïa, réalité truquée (ou subjective, ou altérée, ou mélangée…), le tout dans un monde qui vire à l’entropie alors que les objets du quotidien semblent suivre une flèche du temps différente de celle des personnages et que ceux-ci comprennent que leur vie même est menacée. Si on ajoute en plus des communications « médiumniques » (par différents moyens) à travers des univers parallèles qui ne peuvent cohabiter, on a là toute la panoplie propre à dérouter, voire à effrayer ou à perdre le lecteur.

Mais il n’en est rien ! Car Dick, même s’il ne fait pas des étincelles stylistiques, garde son roman sur les rails, des rails qu’il est peut-être le seul à voir, mais des rails suffisamment costauds pour que le lecteur, même s’il se pose un tas de questions, ne quittera pas non plus. Car la narration est limpide, et une fois mis en route il est bien difficile de poser le livre sans avoir eu le fin mot de l’histoire.

La porte refusa de s’ouvrir et déclara:
– Cinq cents, s’il vous plaît.
A nouveau, il chercha dans ses poches. Plus de pièces; plus rien.
– Je vous paierai demain, dit-il à la porte. (Il essaya une fois de plus d’actionner le verrou, mais celui-ci demeura fermé.). Les pièces que je vous donne constitue un pourboire, je ne suis pas obligé de vous payer.
– Je ne suis pas de cet avis, dit la porte. Regardez dans le contrat que vous avez signé en emménageant dans ce conapt.
Il trouva le contrat dans le tiroir de son bureau: depuis que le document avait été établi, il avait eu besoin maintes et maintes fois de s’y référer. La porte avait raison; le paiement pour son ouverture et sa fermeture faisait partie des charges et n’avait rien de facultatif.
– Vous avez pu voir que je ne me trompais pas, dit la porte avec une certaine suffisance.
Joe Chip sortir un couteau en acier inoxydable du tiroir à côté de l’évier; il s’en munit et entreprit systématiquement de démonter le verrou de sa porte insatiable.
– Je vous poursuivrai en justice, dit la porte tandis que tombait la première vis.
– Je n’ai jamais été poursuivi en justice par une porte. Mais je ne pense pas que j’en mourrai.

Et d’ailleurs, y a -t-il vraiment un fin mot de l’histoire ? Sans doute que oui, mais sans doute aussi différent pour chaque lecteur. Toutes les clés sont données par Philip K. Dick, mais il se garde bien d’apporter une explication claire et définitive à ce qu’il a écrit, sans que cela ne soit nullement rédhibitoire, bien au contraire. C’est aussi ça qui fait de « Ubik » une expérience. Quant à dire si ce roman est LE chef d’oeuvre de l’auteur, je ne saurais dire, principalement parce que je n’en ai pas lu assez pour le dire, mais une chose est sûre, « Ubik » est marquant. Tout le monde ne sera peut-être pas de cet avis, car la SF a changé depuis les années 60, et la façon d’en écrire également. Il faut néanmoins saluer Dick pour avoir écrit un tel roman, dense, déstabilisant et radicalement original, parfaitement clair et pourtant très interrogateur, oscillant entre humour et passages plus sombres, et qui plus est d’une grande richesse thématique, le tout en moins de 300 pages. Culte !

 

Lire aussi l’avis de Morca, Vicklay, Philémont, Colimasson, Kameyoko.

 

  
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