Diseur de mots, La lyre et le glaive tome 1, de Christian Léourier
Quatrième de couverture :
Depuis l’accession au pouvoir du hartl Skilf Oluf’ar, la paix règne et la commanderie du Solkstrand prospère.
Lorsqu’on lui refuse le passage d’un pont parce qu’il ne peut s’acquitter du péage, Kelt prédit l’effondrement de la construction. Ainsi sont les diseurs de mots : ils possèdent de drôles de dons, jamais ils ne mentent et, affirme-t-on, leurs vérités ensorcellent.
Arrêté et livré aux geôles du seigneur local, Kelt doit démontrer son innocence lors d’une ordalie. Hòggni, un mercenaire en mal de contrats, accepte de le représenter puis remporte le duel. Toutefois, vexé de sa défaite, le seigneur les missionne alors au Heldmark, où le culte d’un dieu unique se répand plus vite que la peste…
Né en 1948, Christian Léourier est un écrivain français de science-fiction. Après avoir débuté dans la mythique collection Ailleurs & Demain, il entame en 1986 la publication de son œuvre majeure, Le Cycle de Lanmeur, considéré comme un classique du genre.
De la caste des raconteurs d’histoire – Holdstock, Hobb, et surtout Le Guin, – Christian Léourier signe avec Diseur de mots une fantasy sensible et poétique sur l’impermanence de toute chose : hommes, châteaux, civilisations.
Le pouvoir des mots
Pierre-Paul Durastanti dit de l’auteur, dans sa critique de la première intégrale du « Cycle de Lanmeur » dans le Bifrost 65, que « Christian Léourier est l’un des secrets les mieux gardés de la SF française ». Difficile de le contredire tant l’écrivain, discret et ne faisant pas de vagues, a pourtant une oeuvre à la profondeur qui n’a rien à envier à celle des grands auteurs anglophones. La comparaison avec Le Guin, Vance ou Silverberg, pour aussi exagérée qu’elle puisse paraître, n’a pourtant rien d’infondée. Avec ses récits pétri d’humanisme, se déroulant sur des mondes exotiques et écrits avec une plume toujours élégante, Christian Léourier mériterait certainement d’être plus mis en lumière. La sortie de « Diseur de mots », premier tome du diptyque « La lyre et le glaive » est une occasion toute trouvée pour ce faire.
Délaissant donc, au moins pour un temps, la science-fiction dans laquelle il a presque toujours officié, l’auteur nous plonge dans un monde fantasy tirant certaines de ses inspirations aussi bien du monde scandinave que de la civilisation asiatique et plus précisément des peuples himalayens, un mélange surprenant mais qui fonctionne pourtant très bien. On suit les pas de Kelt, diseur de mots, sorte de troubadour secrètement porteur d’une malédiction qui l’oblige à faire attention à ses paroles. En effet, il arrive que de ses lèvres sorte la Vérité, déclaration orale de choses inéluctables. Un dangereux pouvoir, qui peut lui donner une grande puissance mais aussi faire de lui un homme recherché. Et c’est précisément ce pouvoir, qu’il ne peut totalement maîtriser, qui va le voir entraîné dans un torrent d’évènements, à commencer par sa prédiction de la future destruction d’un pont réputé inébranlable. Le seigneur local, Skilf, offrira une récompense à qui pourra lui ramener cet homme, alors que dans ce monde régi par l’Axe Divin (deux personnes « élues », à la manière de la Kumari du Népal) et honorant de multiples divinités, une étrange nouvelle religion se développant dans le pays voisin et ne se reposant que sur un dieu unique, semble précipiter l’ensemble des nations vers la guerre…
Cette brève présentation n’est que la surface d’un roman plus complexe et qui, en plus de présenter des personnages consistants, au premier rang desquels se trouve bien sûr Kelt, à la recherche, en laissant faire la hasard (ou pas…), d’un amour perdu, propose un fond tout à fait remarquable. Réflexions sur la guerre, l’impermanence de toute chose, la religion et l’équilibre de la civilisation, le roman s’intéresse aussi à ces nouvelles croyances qui peuvent tout faire basculer en entraînant dans leur sillage les innocents comme les gens de pouvoir. Et le pouvoir justement, celui des mots, est aussi au coeur du récit. Avec Kelt bien sûr, celui par qui tout peut basculer, individuellement comme de manière plus large. Avec ces gens qui portent deux noms, l’un public, l’autre privé. Les mots, le langage, ont une influence sur le monde, sur la façon dont nous le percevons. Kelt en est l’incarnation. Et finalement, où est cette fameuse Vérité, si d’une interprétation du monde, façonnée par des croyances, on passe à une autre forme d’interprétation ?
Insistant sur la fragilité d’une situation apparemment stable, sur l’influence (la prépondérance ?) de la religion sur le monde, « Diseur de mots » n’est pas qu’un roman cérébral. Car Christian Léourier n’oublie pas qu’il écrit un récit qui se doit aussi d’offrir quelques scènes explosives. Et oui, par moment, le récit sait se faire épique et offrir à des personnages secondaires (mais peut-être pas tant que ça…) de beaux moments de gloire (Hòggni le mercenaire, Varka la danseuse). On pourrait sans doute regretter quelques évènements offrant trop de résonances avec des faits très similaires dans d’autres romans (Kelt et Hòggni deux personnages que tout oppose, l’un ayant, malgré son « pouvoir », la langue parfois un peu trop bien pendue, l’autre plus taciturne, faisant immédiatement penser à Tyrion et Bronn dans « Le trône de fer », allant même jusqu’au duel judiciaire…). Mais ce serait faire un mauvais procès à un roman qui a sa propre identité forte et qui pose de justes questions. Très proche également du « Chant mortel du soleil » de Franck Ferric autant dans ses thématiques (les dieux, les religions, les changements sociétaux) que dans son contexte (un aspect asiatique important, Mongolie chez Ferric, Hymalaya chez Léourier), « Diseur de mots » offre une autre approche, plus douce, plus apaisée en quelque sorte que celle plus « barbare » de Franck Ferric. Deux approches finalement complémentaires.
Au final, même s’il manque parfois un peu de rythme, « Diseur de mots » offre un beau récit qui, sans atteindre le firmament des oeuvres de fantasy, offre une belle aventure à même de satisfaire les lecteurs cherchant une lecture distrayante mais aussi intellectuellement stimulante, dans un monde parfois surprenant, et porté par une plume raffinée qui met toujours l’humain au centre de ses préoccupations. Le Guin, Vance et Silverberg, je vous dis ! Rendez-vous en 2020 pour la suite et la fin de ce diptyque avec « Danseuse de corde ».
Lire aussi l’avis de Nicolas, Timelapse.
Woh. Belle chronique, ça donne parfaitement envie – même si j’ai un peu de mal à envisager pleinement le pouvoir de Kelt, c’est étonnant. ^^
Je suis de plus en plus frileux sur les séries mais un diptyque ça reste tout à fait acceptable (et puis chez Critic ce qui est annoncé est réalisé, huhu). =)
Son pouvoir est assez mystérieux en fait, tout n’est pas expliqué (du moins pas pour le moment).
Merci pour le compliment, j’avoue avoir bien du mal à sortir cette chronique…
Quant à ce qui est annoncé, même Critic est parfois victime du syndrome #Moutons, regarde du côté de Lionel Davoust… 😀
Je le met dans ma liste, je n’ai pas encore lu de Christian Léourier et il semble bien que ça soit une erreur !
Oui c’est une erreur, mais un parcours sans erreur dans nos genres florissants, c’est compliqué… Le mien en est rempli ! 😀
« Avec ces gens qui portent deux noms, l’un public, l’autre privé. Les mots, le langage, ont une influence sur le monde, »
Ca me fait penser à Ursula Leguin ^^
Ca a l’air vraiment pas mal mais je suis devenue un peu méfiante avec la fantasy. J’ai tendance à considérer Léourier comme une valeur sur pour moi mais je n’ai pas lu assez de livres de lui pour confirmer mon intuition. Je crois que je vais d’abord finir Lanmeur avant de décider si je lis ce livre.
Ben oui, Léourier et Le Guin sont très proches au niveau des thématiques, ce n’est pas pour rien. 😉
Tu peux finir Lanmeur avant, et ça me rappelle une fois de plus qu’il faut que j’avance dans ce cycle aussi… 😉
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