Love, Death + Robots

Posted on 6 avril 2019

L’une des dernières séries Netflix à faire parler d’elle, « Love, Death + Robots » sort des schémas habituels à plus d’un titre. Tout d’abord pour son format, puisqu’il s’agit d’une série anthologique (plutôt rare à la télévision) ne proposant donc pas de liens directs entre les 18 épisodes qu’elle propose, en dehors de leur thématiques clairement affichées dans le titre. Pour la durée de ses épisodes ensuite, variable, allant de 6 à 17 minutes. David Fincher, producteur de la série (avec Jennifer Miller, Tim Miller et Joshua Donen), a clairement pris position à ce sujet : « Nous devons nous débarrasser des formats 22 minutes et 48 minutes qui répondent à un schéma pavlovien qui se trouve être contraire à l’essence du storytelling. On veut que l’histoire soit aussi longue que nécessaire pour devenir la meilleure proposition de divertissement possible. » Et enfin, la série ne propose que des courts-métrages d’animation, en associant pour cela différents studios. Le résultat donne des formes variées, plusieurs types d’animation étant utilisés avec tout de même une prédominance de la 3D à tendance réaliste. Petite revue de détail.

/* Note : les images ne représentent pas les épisodes dans l’ordre indiqué ici. */

 

 

  • Sonnie’s edge

Une jeune femme participe à des combats dont les protagonistes sont des monstres issus de la bio-ingénierie, connectés à leur maître via des implants cybernétiques. Les paris sur ces combats donnent lieu à quelques tentatives de corruption… Un épisode introductif (d’après une nouvelle de Peter Hamilton) qui donne le ton : c’est violent, le sang coule, le sexe est présent, et le twist final est plutôt bien amené. Bonne pioche, même si le sentiment d’être face à une « simple » (mais réussie) cinématique de jeu vidéo est bien présent.

  • Three robots

La nouvelle d’origine est signée John Scalzi, dans son côté absurde et drôle. Et c’est ici tout à fait réussi. Dans un monde post-apocalyptique qui a vu l’humanité disparaître, trois robots font une visite touristique dans une ville désertée. C’est donc drôle, caustique envers la folie destructrice de l’humanité, et le décalage entre le mode de pensée très « logique » des robots et l’apparente absurdité des hommes est bien utilisé. On rit donc objectif atteint.

  • The witness

Une femme est témoin du meurtre d’une prostituée. Elle s’enfuit avant que l’assassin ne la rattrape. Sur un parti pris graphique assez saisissant, on est là sur un pur exercice de style, plein de sang et de nudité. Ceci dit, même si l’intrigue est inexistante, la chute reste tout de même vertigineuse.

  • Suits

Des fermiers typiquement américains utilisent des méchas pour résister à l’invasion de voraces créatures. Mélange de « Starcraft », « Starship Troopers », « Pacific Rim » et… « Farming simulator » (ok, j’exagère un peu… 😀 ), cet épisode est plutôt sympathique, mais ne peut prétendre à faire partie des meilleurs de la série.

  • Sucker of souls

Des archéologues, avec l’aide de mercenaires protecteurs, se retrouvent nez à nez avec une créature venu des profondeurs… Cocorico, cet épisode est signé d’un studio français, le Studio La Cachette. Manque de chance, il est d’une part assez éloigné de la thématique de la série (si ce n’est la mort, plutôt sanglante d’ailleurs…), et d’autre part est doté d’un scénario pas très intéressant. Bof.

 

 

  • When the yogurt took over

John Scalzi à nouveau, et cette fois il nous parle d’un yaourt (!!) qui a pris le contrôle de l’état de l’Ohio. Que dire de plus ? Plus court épisode de la série, c’est aussi l’un des plus drôles. Délicieusement absurde et donc parfaitement réussi !

  • Beyond the Aquila rift

L’équipage d’un vaisseau spatial se retrouve à un endroit inattendu à la suite d’une erreur de parcours… A nouveau avec un studio français à la manoeuvre (Unit Image), et sur la base d’une nouvelle de Alastair Reynolds, cet épisode en met plein les mirettes. La fameuse « uncanny valley », qui rend immédiatement identifiables et donc non-humaines les tentatives d’animation les plus réalistes, est ici quasiment absente, le travail graphique/technique est époustouflant ! Et comme le scénario n’est pas en reste et offre son lot de surprises, que dire de plus ? Allez, peut-être un peu trop de nudité gratuite. Mais elle est belle, elle aussi… 😉

  • Good hunting

Sur un texte de Ken Liu, cet épisode (en animation « classique ») nous montre avec un certain désenchantement l’évolution d’un société asiatique vers une révolution industrielle de style « steampunk ». La nature et ses esprits sont laissés à l’abandon mais tentent de survivre dans ce nouvel environnement. Et de se donner de nouveaux buts, malgré les exactions qu’ils subissent. Très Ken Liu tout ça, avec ce mélange de fantastique/fantasy asiatique, de personnages toujours touchant, et un zeste de nostalgie. Et encore une fois, ça fonctionne parfaitement.

  • The dump

Basé sur un texte de Joe Lansdale (plus connu pour ses romans policiers que de SF), « The dump » met en scène un employé municipal chargé de notifier un vieil homme de son expulsion de la décharge dans laquelle il vit. C’est amusant, bien réalisé dans un style 3D « cartoon », mais ça ne va au fond pas bien loin.

  • Shape-shifters

Des loups-garous dans l’armée américaine, un atout de poids, quand bien même ils sont dénigrés et pas vraiment considérés à l’égal des autres soldats. Sauf que l’adversaire afghan semble bénéficier du même atout. C’est techniquement à nouveau impressionnant (3D toujours, cinématique de jeu vidéo toujours…), et ça parle de différence, d’acceptation. Et de choisir sa voix. Pas mal, sans plus. Ah si quand même : c’est assez sanglant, loups-garous oblige.

 

 

  • Helping hand

Gravity-style. Lors d’une banale intervention dans l’espace, une astronaute doit faire face à une situation d’urgence. Du 100% « Gravity », peut-être même un peu trop. Mais bon, c’est efficace, ça fait le boulot, et ça propose même une scène particulièrement… difficile à regarder. Peut-être même qu’on ne retiendra que ça. C’est mieux que rien.

  • Fish night

Deux commerciaux tombent en panne en plein milieu du désert américain. Pas d’autre choix que d’attendre le lendemain et retourner à la station-service précédente. mais la nuit recèle bien des secrets anciens. C’est beau, poétique, cruel aussi, et finalement assez marquant par l’onirisme qui en ressort. Basé à nouveau sur une nouvelle de Joe Lansdale, c’est très bon.

  • Lucky 13

Lucky 13 est le surnom donné à un vaisseau transporteur de troupes qui a perdu deux équipages, et dont le numéro d’identification est 13-023-13. Autant dire qu’il n’est pas vraiment classé parmi les porte-bonheur. Ce vaisseau est le premier que pilotera une rookie, Colby. On sent venir le truc à des kilomètres, mais c’est plutôt bien fait, non seulement techniquement (3D encore, Samira Wiley est superbement reproduite) mais aussi narrativement. Efficace et plein d’action à défaut d’être inoubliable.

  • Zima blue

Un artiste sur le point de se retirer décide de donner une dernière interview, après plus de 100 ans de carrière. Son plus grand secret pourrait bien être révélé. Avec des dessins très angulaires, un style qui pourrait déplaire (mais on s’y fait, et ça fait du bien de voir autre chose que de la 3D…), on a là une très belle histoire mêlant art, IA, et conscience. C’est finalement touchant et tout à fait réussi, sur un texte de départ signé Alastair Reynolds.

  • Blindspot

Trois cyborgs sont chargés d’intercepter un convoi transportant un MacGuffin un truc. Action, action, humour, action. Personnages volontairement caricaturaux qu’on croirait sortis d’un jeu de rôles. C’est marrant sur le coup. Et c’est tout. Mais c’est marrant. Mais c’est tout. Parce que la chute ne surprendra pas l’habitué de SF.

 

 

  • Ice age

Seul court-métrage proposant des prises de vues réelles (avec Mary Elizabeth Winstead et Topher Grace), « Ice age » nous fait découvrir un couple en train d’emménager dans son nouvel appartement, dans lequel l’ancien propriétaire a laissé traîner un vieux frigo. A l’intérieur, surprise ! Cet épisode m’a furieusement fait penser à un texte de Jeffrey Ford, publié dans la revue Angle Mort n°9. Sauf que le texte d’origine est ici signé Michael Swanwick. Peu importe, c’est amusant et c’est plein d’une évolution ultra-rapide, jusqu’à… 😉

  • Alternate histories

D’après John Scalzi à nouveau, et encore sur le mode humoristique. On découvre six versions alternative de l’Histoire, en s’intéressant à Hitler. C’est forcément casse-gueule, mais c’est traité sur un ton tellement loufoque et décalé que le risque de se planter avec un tel sujet est rapidement évacué. Encore une belle réussite !

  • Secret war

On termine sur quelque chose de plus classique avec ces soldats russes durant la Deuxième Guerre Mondiale qui sont engagés sur un front… qui n’est ni celui de l’est ni celui de l’ouest, mais plutôt sur le front souterrain, avec de vilaines bestioles qui ont franchi un portail dimensionnel qu’il aurait mieux valu laisser fermé. On ne joue pas avec la magie noire… C’est très martial, c’est un combat désespéré, l’animation (3D of course) est techniquement irréprochable, mais ça reste assez classique dans son déroulé et dans sa conclusion.

 

Au final, on obtient donc une très belle série, avec certes quelques épisodes oubliables mais surtout de très belles réussites. Et si on peut regretter le recours très fréquent à la 3D (avec ses limites, d’une part ce sentiment d’être face à une cinématique de jeu vidéo, et d’autre part avec cette « uncanny valley » dont on a du mal à se défaire, à l’exception notable de l’épisode « Beyond the Aquila rift », absolument superbe), il n’empêche que « Love, Death + Robots » offre tout de même une certaine diversité très bienvenue.

Mission accomplie donc, on tient là une belle oeuvre de SF (avec au départ de belles pointures de la littérature : John Scalzi, Peter Hamilton, Ken Liu, Alastair Reynolds, Michael Swanwick…), diverse (on a l’impression de regarder un recueil de nouvelles… 😉 ), techniquement réussie, avec pour la plupart des épisodes des scénarios qui tiennent la route et offrent leur lot de surprises, que cela soit basé sur une ambiance sombre, réaliste ou absurde (et dans ce dernier cas, John Scalzi fait des merveilles, la série m’a d’ailleurs vraiment donné envie de lire des textes de Scalzi dans cette veine, donc si vous avez des propositions je suis preneur !). Seul regret : même si les personnages féminins ont parfois une belle place (pas dans tous les épisodes ceci dit…), elles sont pour le moins absentes des équipes d’auteurs/scénaristes/réalisateurs… Et enfin, un dernier avertissement : « Love, Death + Robots » n’est pas à mettre entre toutes les mains, la violence et le sexe étant omniprésents, mais en dehors de ça, vous pouvez foncer !

 

  
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