Le gambit du renard, de Yoon Ha Lee

Posted on 21 janvier 2019
L’arrivée d’un nouvel auteur étranger dans le champ de l’édition francophone est toujours à saluer, surtout quand il s’inscrit dans le genre du space-opera à tendance hard-SF, genre qui n’est pas des plus porteurs si on vise à sortir un best-seller dont on parlera au journal de TF1. Donc l’initiative de la collection Lunes d’Encre chez Denoël est bienvenue. Sauf que la lecture du roman de Yoon Ha Lee m’a laissé sur le carreau…

 

Quatrième de couverture :

Le capitaine Kel Cheris tombe en disgrâce après avoir utilisé des armes non conventionnelles lors de sa dernière affectation. À sa grande surprise, elle est promue général à titre temporaire par le commandement Kel qui lui confie une mission d’une importance vitale pour l’Hexarcat, le système des six factions : mater une hérésie en cours dans la forteresse des Aiguilles Diffuses. Seulement cette promotion est assortie d’une terrible condition : ancrer en elle l’esprit du général Shuos Jedao, ancien traître et fou sanguinaire mort depuis des siècles, mais stratège de génie qui n’a jamais perdu une bataille. 
Que cachent les six factions à Kel Cheris ? Que sait exactement Jedao et, surtout, qui fut-il réellement? 

Le Gambit du Renard est un space opera d’une richesse et d’une profondeur rares. Il a reçu le prix Locus du premier roman et a été finaliste des deux plus prestigieux prix du genre : les prix Nebula et Hugo.

 

Un space-opera qui fait mal…

Parfois il y a des rencontres qui ne se font pas. Ce fut le cas pour moi avec ce roman, « Le gambit du renard » de l’auteur américain d’origine coréenne, Yonn Ha Lee. Pourtant, les critiques sont globalement très bonnes, mais rien n’y a fait.

Alors bien sûr, j’étais prévenu, le roman est basé sur un aspect physique un peu particulier (j’y reviendrai), et puisque le lecteur est jeté in media res dans cet univers sans en connaître, du moins au départ, ni les tenants ni les aboutissants, il y a une marche qui peut être difficile à franchir. Ce fut déjà le cas avec « [anatèm] » (dont j’ai chroniqué le tome 1) de Neal Stephenson mais au final la réussite fut totale et le roman avait su m’embarquer. Ici, rien de cela…

Pourtant, cet univers avait tout pour me plaire. D’abord avec son côté hard-SF étonnant. L’ami Feyd-Rautha sur son article en parle bien mieux que moi mais pour faire court, disons que le roman nous présente l’Hexarcat, un regroupement de six factions qui a conquit une vaste portion d’univers. Il a instauré sur ses mondes le haut calendrier, une sorte d’horloge de référence de sa société, qui en plus de définir les durées (heures, jours, mois, années, etc…) et les jours de commémoration, « joue » avec les lois de la physique en imposant via des équations mathématiques un fonctionnement de la technologie un peu particulier. C’est un système assez étrange, qui n’est pas explicité avant un certain nombre de pages (et encore, pas très clairement, certains blogueurs insistent sur l’importance de lire (ce que je n’ai pas fait) une nouvelle plus accessible sur ce sujet mais non traduite en français, « The battle of candle arc » disponible gratuitement en VO) et qui demande au lecteur un certain effort quant à sa suspension d’incrédulité… Hard-SF ou magie, on en arrive vite à un point où la différence est ténue (Arthur C. Clarke et sa Troisième Loi ont trouvé ici une nouvelle illustration)… Mais pourtant, malgré cette introduction difficile, on finit par se faire à cet univers, et le problème n’est donc pas là.

L’autre point qui m’avait intéressé était l’intrigue en elle-même, assez ramassée puisqu’il s’agit ni plus ni moins que du siège d’une forteresse, la Forteresse des Aiguilles Diffuses, la plus importante des relais de transmission du haut calendrier. Pourquoi l’assiéger ? Tout simplement car une hérésie s’y est déclarée et a amené un « pourrissement calendaire », c’est à dire une modification du haut calendrier entraînant un changement sociétal et également (comme vu au-dessus, il est là le point hard-SF) un changement des lois physiques. L’Hexarcat est régulièrement confronté à différentes hérésies, mais celle-ci touche donc un élément essentiel de son pouvoir, elle décide donc d’y remédier en chargeant la jeune capitaine Kel Cheris (promue pour la circonstance général à titre provisoire) de reprendre la forteresse. Elle sera aidée par le général Shuos Jedao, ancien général stratège traître et honni mais surtout invaincu. Un général qui ne sera pas présent en personne mais plutôt implanté dans la tête de Kel Cheris, lui qui est maintenu en stase depuis près de quatre siècles et réanimé de façon opportune par l’Hexarcat quand la situation l’exige…

Le dernier point qui joue, au départ, en faveur du roman est tout simple, il est relatif à son genre. Car même si tout ce que j’ai dit au-dessus ne l’indique pas, « Le gambit du renard » est bel et bien à classer dans le genre du space-opera, genre que j’affectionne. Un space-opera (essentiellement militaire, l’intrigue tourne du début à la fin sur une armée tentant de reprendre un territoire perdu) un peu particulier donc, puisque d’une part on ne voyage guère à travers les étoiles, l’essentiel de l’action se situant sur ou autour de la Forteresse des Aiguilles Diffuses, mais aussi d’autre part avec son univers et son fonctionnement originaux qui éloignent le roman des space-operas classiques.

Que de bons points donc ! Oui, mais. Je n’ai en fait à peu près rien compris à ce roman. Je n’ai pas compris ce qui s’y passait, je n’ai pas compris les stratégies employées pour tenter de reconquérir la forteresse, je n’ai pas compris ni réagi aux révélations censées éclairer les évènements passés ou présents sous un jour nouveau, je n’ai pas compris les points-clés liés à la caractérisation des personnages (pourtant l’interaction entre Cheris et Jedao dans un seul et même cerveau promettait d’être intéressante…), je n’ai pas compris le déroulé des évènements. Vous conviendrez que cela fait beaucoup…

A qui la faute ? A l’univers ? Je ne crois pas, ses particularités et son accès difficile compliquent sans doute les choses mais une fois les « règles » de cet univers acceptées (ce qui n’est certes pas une mince affaire, on est sans doute un cran au-dessus de « [anatèm] » en ce domaine…), il n’y a rien d’insurmontable pour peu qu’on ait un peu bourlingué dans de nombreux autres univers de SF. La traduction ? Plusieurs lecteurs ont soulevé une traduction (de Sébastien Raizer) moins fluide que la VO. Je ne m’aventurerai pas à les comparer maintenant que la douleur de ma lecture est passée (j’ai lu le roman en entier, moins de 400 pages qui m’ont paru longues, surtout en n’y comprenant pas grand chose… 😀 ), mais il me faut tout de même constater que le texte français n’est pas des plus légers… Peut-être dois-je tout simplement me rendre à l’évidence : ce roman, cette intrigue (ou en tout cas cette manière de la mener), ces personnages, d’une manière ou d’une autre, ne semblent pas être faits pour moi. Dommage, d’autant plus que, malgré une fin satisfaisante (ouvrant tout de même sur d’autres horizons), « Le gambit du renard » marque le début d’une trilogie. De mon côté, j’en resterai bien évidemment là.

 

Lire aussi les avis de Gromovar, Feyd Rautha, Blackwolf, Lutin82, Apophis, Nanet, Tiben, Les lectures de Sophie, Fabien.

 

  
FacebooktwitterpinterestmailFacebooktwitterpinterestmail