Les attracteurs de Rose Street, de Lucius Shepard

Posted on 17 janvier 2019
Avec cet article, je serai à jour sur les parutions de la collection « Une heure-lumière » du Bélial’. Ça commence à se savoir mais cette collection atteint un niveau qualitatif très élevé tout publiant des textes très différents. Certes la SF domine largement, mais le spectre SF est large et la collection ne manque pas d’y piocher ici ou là. Reste que le pur fantastique « à l’ancienne », lorgnant ouvertement vers le roman gothique n’avait pas encore été à l’honneur. C’est désormais chose faite avec « Les attracteurs de Rose Street » de Lucius Shepard, et de quelle manière !

 

Quatrième de couverture :

Londres, fin du XIXe siècle. Une métropole enfumée, étouffant sous le smog et les remugles de l’industrialisation en pleine explosion… Samuel Prothero est aliéniste. L’un des meilleurs de sa profession. Membre du sélect Club des Inventeurs, jeune homme respecté, son avenir est tout tracé dans cette société victorienne corsetée. Jusqu’à ce que Jeffrey Richmond, inventeur de génie mais personnage sulfureux, sollicite son expertise sur le plus étrange des cas. Troublante mission, en vérité, pour laquelle le jeune Prothero devra se résoudre à embrasser tout entier l’autre côté du miroir, les bas-fonds de la ville-monde impériale et ceux, bien plus effrayants encore, de l’âme humaine…

 

Une pièce d’orfèvrerie

J’avais oublié à quel point Lucius Shepard écrit bien. Il faut le voir décrire le Londres des bas-fonds lorsque le personnage central du récit, Samuel Prothero, s’y rend pour élucider un mystère tournant autour d’un de ses confrères du très select Club des Inventeurs, Jeffrey Richmond. On s’y croirait. C’est terrible et beau à la fois. C’est d’ailleurs l’une des caractéristiques principales des « Attracteurs de Rose Street » : l’ambiance qui s’en dégage, dès les premiers mots. Lucius Shepard s’inspire à l’évidence des romans gothiques et victoriens, et il le fait de la plus belle des manières. Londres est brumeuse, Londres est sale. Et la maison dans laquelle se déroule le récit (un quasi huis-clos) est ténébreuse et fascinante.

« Les attracteurs de Rose Street » est donc une histoire de fantômes. Des fantômes convoqués par une machine censée lutter contre la pollution londonienne mais qui semble avoir d’autres propriétés. Une machine qui semble dépasser son inventeur en convoquant des fantômes. Le « Frankenstein » de Mary Shelley n’est donc pas bien loin comme nous le dit la deuxième de couverture… L’un de ces fantômes n’est d’ailleurs rien de moins  que Christine, la soeur de Jeffrey Richmond, qui a hérité de sa maison après sa mort. Une maison qui a une âme, aussi peu reluisante soit-elle puisqu’elle fut l’ancien bordel dans lequel Christine officiait…

On touche donc là les éléments fondamentaux du récit : sexe et fantômes se côtoient dans un texte qui n’oublie pour autant pas l’amour, au sens noble du terme, même s’il peut être parfois « déviant »… Atmosphère délétère, mystère pesant, lourd passé, fantômes énigmatiques et enquête menée par un aliéniste, voilà les ingrédients d’une recette que Lucius Shepard mène à sa manière. Et quelle manière ! Les personnages sont tiraillés entre leurs obligations (morales ou contractuelles) et ce que leurs sentiments leur dictent. Le coeur a ses raisons… Belle illustration de la citation de Pascal. Samuel Prothero, à l’image d’un Jonathan Harker soumis à la tentation des trois succubes (et avec qui il partage bien d’autres points communs), est fasciné par Christine, à moins que ce ne soit par les deux autres occupantes de la maison, bien réelles elles, mais qui ont le même passé que Christine, en plus de lui ressembler fortement… Mais d’ailleurs, dans cette maison, qui influence qui ?

Évitant les effets de manche faciles qu’un récit de fantômes pourrait autoriser (même s’il s’accorde une scène spectaculaire en fin de récit), jouant plutôt sur la tension (sexuelle notamment), Shepard nous donne là un récit maîtrisé et parfaitement mené, et en profite pour évoquer le sordide statut des femmes de l’époque. Avec une atmosphère étouffante superbement rendue, « Les attracteurs de Rose Street » convoque tous les grands noms des romans gothiques (Shelley, Poe, Stoker…) pour finalement tracer son propre chemin et prendre place parmi les grands textes du genre. Et devenir par la même occasion l’un des meilleurs textes (illustré comme les autres par Aurélien Police et traduit de main de maître par notre expert national ès Shepard, j’ai nommé Jean-Daniel Brèque) de la collection « Une heure-lumière ». Oui, c’est évident, Shepard est grand.

 

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