La main gauche de la nuit, de Ursula Le Guin
Quatrième de couverture :
Sur Gethen, la planète glacée que les premiers hommes ont baptisée Hiver, il n’y a ni hommes ni femmes, seulement des êtres humains. Des androgynes qui, dans certaines circonstances, adoptent les caractères de l’un ou l’autre sexe. Les sociétés nombreuses qui se partagent Gethen portent toutes la marque de cette indifférenciation sexuelle. L’Envoyé venu de la Terre, qui passe pour un monstre aux yeux des Géthéniens, parviendra-t-il à leur faire entendre le message de l’Ekumen ?
Ce splendide roman a obtenu le prix Hugo et a consacré Ursula Le Guin comme un des plus grands talents de la science-fiction.
Où la notion de chef d’oeuvre prend tout son sens
Par où commencer ? Car « La main gauche de la nuit », s’il n’est pas un roman très épais, possède en son sein de multiples points d’accroche et de multiples thématiques traitées, cela n’étonnera personne venant de Ursula Le Guin, de manière très fine. On peut considérer le roman comme une sorte de planet-opera : l’action se situe sur Gethen, une planète la plupart du temps recouverte de neige sur laquelle a été envoyé Genly Aï, un émissaire de l’Ekumen (sorte de fédération apaisée de multiples planètes) pour tenter de convaincre ses habitants de rejoindre le-dit Ekumen.
Gethen est relativement inhospitalière (l’Ekumen l’a baptisé Nivôse, nom qui révèle peut-être un excès de zèle du traducteur Jean Bailhache puisqu’en VO il s’agit tout simplement de Winter), mais ce qui la distingue le plus clairement du reste des planètes habitées vient de ses habitants. Ceux-ci sont en effet asexués la plupart du temps, sauf lors des périodes de rut, durant lesquelles le genre n’est pas défini à l’avance. Mâle un jour ne veut pas dire mâle toujours… S’en suit une question essentielle sur laquelle repose une bonne partie du roman : comment interagir avec des êtres asexués alors que le genre est habituellement le socle sur lequel s’appuient les relations sociales ? Et si le genre n’était finalement qu’un obstacle à une vie en paix ? Serait-ce le genre qui constitue le terreau bien trop fertile sur lequel s’établissent les guerres depuis la nuit des temps ?
Le côté ethnologique d’Ursula Le Guin fait ici des merveilles puisque non contente de créer une société « autre » et pourtant tellement cohérente, elle lui donne par ailleurs une vraie consistance sociale mais aussi mythologique à travers quelques contes disséminés ici ou là. Mais n’allez pas croire que la société créée par l’autrice soit paradisiaque, car au-delà d’un environnement pas très accueillant, Genly Aï va devoir aussi faire face à quelques machinations politiques qui vont le mener à l’exil, passant de la Karhaïde, pays plutôt tolérant qui lui a permis de commencer les négociations pour intégrer l’Ekumen (mais qui n’ont mené à rien) mais dont le roi faible va l’obliger à quitter le pays, à l’Orgoreyn, pays beaucoup plus fermé et gangrené par les intrigues de couloirs et la mainmise d’une police secrète plutôt expéditive.
Prisonnier d’un camp de travail, Genly va devoir s’échapper en traversant un pays désert et battu par les vents et le froid. C’est une part non négligeable de l’intrigue qui, en plus d’être intrinsèquement passionnante (comment ne pas penser à Jack London ?), est aussi l’occasion pour Genly Aï d’approfondir sa relation avec son « équipier » Estraven, celui-là même qui avait refusé de l’aider en Karhaïde et qui s’est lui aussi retrouvé exilé en Orgoreyn. C’est un long moment d’introspection autant que de surpassement de soi pour parvenir à comprendre l’autre, et c’est donc forcément un élément décisif de l’intrigue puisque de la compréhension de l’autre découlera nécessairement le basculement des relations entre deux conceptions différents de la vie (physiquement aussi bien que mentalement).
Altérité, réflexion sur le genre, prisme culturel empêchant toute communication, « La main gauche de la nuit » est une réussite totale, sur des sujets encore aujourd’hui d’actualité (et qui pourraient certes paraître éculés de nos jours, mais songez à cette approche dans un roman écrit à la fin des années 60, révolutionnaire à l’époque !). Construisant une société crédible permettant de s’interroger sur des sujets de fond, sans jamais perdre de vue le sens de l’aventure, Ursula Le Guin nous convie avec ce roman à réfléchir sur des notions importantes, pour ne pas dire nécessaires. Avec toujours une lueur d’espoir au bout du tunnel, cet espoir qui fait avancer les êtres, le roman mérite toujours autant son statut de chef d’oeuvre, presque 50 ans après sa parution.
Lire aussi les avis de Vert, Xapur, Nicolas Winter, Culture SF, Val, Lael.
Ce fut moi aussi mon premier Le Guin dans l’Ekumen, pour la même baffe !
Content que tu te sois enfin lancé et que tu aies apprécié. Tu ne comptes pas t’arrêter en si bon chemin j’imagine ? ^^
Ho non je ne vais pas m’arrêter de sitôt. Il y a déjà un autre article prévu pour la semaine prochaine, avec un autre chef d’oeuvre. 😉
Pour la suite, rien de planifié pour le moment, mais maintenant que j’ai mis le pied à l’étrier… 😉
Il va bien falloir que je le lise un jour. Merci pour la piqûre de rappel.
Avec plaisir. 😉
Il faut vraiment que je rattrape un peu du Ursula Le Guin, j’en ai trop peu lu !
Moi aussi. De nombreuses heures de bonheur en perspective ! 😉
Je l’avais lu car on me l’avais désigné comme un chef d’œuvre. J’ai bien aimé l’aspect « science/ethnologie » et la réflexion sur la découverte de l’Autre, mais la narration m’a paru trop elliptique (même si l’on sent que c’est volontaire). Je suis aussi restée sur ma fin. Donc pas une révélation pour moi mais tout de même un bon moment de lecture.
J’ai accroché tout au long du roman, aucune déception pour moi. Peut-être qu’on sent un peu ici ou là que le roman n’a pas été écrit hier, mais en dehors de ça, j’ai adoré.
Mais je comprends tes remarques, ça peut ne pas convenir à tout le monde.
Un roman que j’avais beaucoup aimé … mais dont je n’ai plus aucun souvenir car ma lecture remonte à quelques décennies ! Il faudrait que je le relise (ce qui n’est pas gagné car il y a toujours un livre qui vient doubler mes velléités de relecture(s) !).
Quelques décennies après, c’est largement pardonnable. Il m’arrive souvent d’avoir oublié des éléments clés d’une intrigue seulement quelques mois après ma lecture, y compris pour des romans que j’ai adorés… 😀
(Et comme toi, je relis très peu, il y a tellement de nouvelles choses à découvrir !)
Ajouté à ma liste d’envies sur The Book Depository pour ne pas oublier de le lire un jour 🙂
A lire absolument en effet ! Bon ceci dit, j’ai mis tellement de temps à m’y mettre que ce n’est pas moi qui vais donner des leçons ! 😀
Ah enfin ! Je suis contente que tu l’aies lu (et apprécié ^^). Je te recommandes Les Dépossédés, avec La main gauche de la nuit c’est vraiment ses deux monuments.
Oui enfin. Et je ne regrette nullement ce voyage sur la planète Gethen ! Pas de doute, le statut d’Ursula Le Guin n’est pas usurpé.
Et du coup, je regarde sa bibliographie et je me dis que j’ai encore énormément de belles choses à découvrir. Je note « Les dépossédés », il revient souvent dans les grandes oeuvres de Le Guin. J’avoue que j’ai aussi un intérêt certain pour « Le nom du monde est forêt » et pour « Le dit d’Aka » (ce dernier devant être adapté au cinéma il me semble). Bref, j’ai du pain sur la planche ! 😀
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