Ar-Men, l’Enfer des Enfers, de Emmanuel Lepage

Posted on 29 janvier 2018

Ar-Men. Un nom mythique. Phare situé à l’extrémité de la Bretagne, au bout de la chaussée de Sein, sur un petit bout de rocher (d’où son nom) en pleine mer à dix kilomètres à l’ouest de l’île du même nom, isolé, battu par les vents, secoué par la mer déchaînée, Ar-Men est devenu synonyme d’extraordinaire. Dans tout les sens du terme. Car il faut être un peu fou pour y être gardien, coupé du continent durant plusieurs semaines, savoir se débrouiller pour parer à toute éventualité, entretenir le feu contre vents et marées (c’est le cas de le dire), trembler sous les coups de semonce de la mer faisant vibrer tout l’édifice et chuter les objets accrochés aux murs… Mais l’extraordinaire se situe aussi dans sa construction, qui a nécessité quinze rudes années alors que l’accostage sur ce petit bout de terre relève de l’exploit, les marins risquant leur vie à chaque essai.

 

  

 

C’est tout cela que raconte « Ar-Men, l’Enfer des enfers ». Mais une fois n’est pas coutume, Emmanuel Lepage délaisse le documentaire pour faire de la fiction. Car c’est avant tout l’histoire de Germain, gardien du phare d’Ar-Men qui nous est contée. Germain qui n’est pas là par hasard. Son isolement, il l’a souhaité, pour chasser ses démons, ou peut-être pour volontairement les entretenir, qui sait ?… Le récit de Lepage est d’ailleurs une vraie réussite, même s’il n’est pas réellement surprenant en soi. Touchant à plusieurs reprises, il se permet avec quelques astuces narratives de dériver sur d’autres histoires, plus ou moins imbriquées. Légende de la ville d’Ys, construction du phare, les rebelles de Sein qui ont refusé l’armistice de 1940 (et la fameuse phrase du Général de Gaulle à Londres passant en revue les 600 premiers volontaires de la France libre dont 128 venaient de Sein : « Sein est donc le quart de la France ? »), etc… Un bel exploit que d’aborder tout ça, et de belle manière en plus, sur seulement 96 pages.

 

  

 

Mais comment ne pas parler du dessin ? On connaissait Emmanuel Lepage en reporter du bout du monde (terres australes, Antarctique, ou Tchernobyl), dressant ses superbes aquarelles sur des paysages lointains. Ici, le voilà revenu près de chez lui, en Bretagne. Et de quelle manière ! Sa façon de peindre la mer est tout simplement stupéfiante de beauté. Il faut dire qu’Ar-Men s’y prête bien, qu’il soit éclairé d’un soleil donnant à l’eau une belle teinte turquoise (rarement…) ou qu’il soit battu par des éléments déchaînés (souvent). Les planches du dessinateur mettant en scène le phare, la mer, les paysages de manière générale sont renversantes, comme le montrent les quelques exemples de cet article. A tel point que j’aurais aimé voir plus d’illustrations en plein page voire en double-page. Il faudra bien un jour ou l’autre qu’Emmanuel Lepage nous sorte un best-of avec un max d’illustrations en grand format, dans un beau livre.

 

  

 

En attendant, on peut déjà se régaler avec cet album qui sait par ailleurs varier les plaisirs en jouant sur les techniques de dessin et les teintes de couleur en fonction des événements racontés (plutôt sépia pour le passé du phare, bleu pour le présent de Germain, couleurs plus vibrantes pour la légende d’Ys, etc…). La monotonie ne s’installe donc pas alors que l’illustrateur aurait pu se « contenter » de nous faire des aquarelles bleutées à tour de bras (ceci dit, vu leur beauté, ça ne m’aurait pas dérangé non plus…).

 

 

 

Je me souviens avoir rêvé de ce phare hors-normes (parmi d’autres : la Vieille, la Jument et sa célébrissime photo du gardien défiant les éléments, Ar-Men n’étant pas en reste sur ce sujet, Eckmühl, etc…) et qui mérite bien son surnom d’Enfer des Enfers, lors de mes visites sur l’île de Sein. Me demandant ce qui a poussé les hommes à construire cet édifice sur ce bout de terre inaccessible. Rendant hommage à ces aventuriers de l’extrême qui osaient affronter l’indomptable (et qui n’ont aujourd’hui plus à le faire puisque le phare a été automatisé en 1990, et qu’aujourd’hui malheureusement il se meurt à petit feu sous les coup de boutoir de la nature…). « Ar-Men, l’Enfer des enfers » (accompagné pour cette première édition d’un DVD documentaire de 52 minutes diffusé durant l’émission « Thalassa ») m’a permis de me replonger dans ce rêve. Superbe !

 

 

  
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