Saga de Snorri le godi
Quatrième de couverture (tirée du volume de la Pléiade):
Les Sagas islandaises en prose, qui datent pour la plupart du XIIIe siècle, se situent aux frontières de l’histoire et de la légende. Elles rapportent dans un style laconique, avec un humour noir et froid, les exploits des colonisateurs de l’Islande et de leurs descendants. Sans lyrisme aucun, oscillant entre la banalité du quotidien et la démesure de l’exceptionnel, les auteurs, presque tous anonymes, ont su traduire une grandiose conception de la condition humaine : véritables artisans de leur destin, les personnages préservent, par la vengeance, la réputation qui les sauvera de l’oubli et les fera triompher de la mort.
Réminiscences païennes et violence ordinaire
Cette saga est la deuxième de l’épais volume de la Pléiade, après la « Saga d’Egill, fils de Grímr le Chauve », l’une des plus célèbres d’Islande. Elle est pourtant bien différente de cette dernière (au-delà du fait que son auteur soit inconnu), non plus centrée exclusivement sur un seul et même personnage (bien que Snorri le godi y joue bien évidemment un rôle prépondérant), mais s’intéressant plutôt à une zone géographique bien précise, sur de nombreuses années, depuis la colonisation de l’Islande jusqu’aux Xe-XIe siècles.
C’est sans doute sa principale faiblesse sur le strict plan littéraire. Il devient ici impossible de s’attacher à un personnage (même si au fond Egill était un personnage assez nettement détestable, il était malgré tout suffisamment flamboyant pour accrocher le lecteur, ce qualificatif convenant également tout à fait à Gísli Súrsson qui a lui aussi eu droit à sa saga, Snorri étant par ailleurs le neveu de ce dernier), et la trame narrative devient ainsi très diluée, faisant plus penser à de simples chroniques géographiques.
Mais elle a d’autres atouts à faire valoir. Notamment sur le plan du culte païen. Habituellement assez en retrait, ce culte est ici largement mis en avant, sans toutefois qu’on y trouve un culte une relation directe avec la mythologie scandinave. Non, on n’y parlera pas de Valhalla et de Ragnarok, mais les allusions à Thor sont bien là par exemple (avec la mention d’un temple que son propriétaire devra démonter, et jetant ses piliers de bois à la mer, il finira par s’installer là où ils se sont échoués, ou bien des prénoms donnés en son honneur : Thorolf, Thorgrim, Thorstein, etc…). On y trouve également la mention d’un rituel funéraire bien particulier pour éviter que les morts ne reviennent hanter leurs anciennes demeures. Des morts qui parfois parviennent quand même à importuner les vivants jusqu’à ce qu’ils soient proprement inhumés, conformément à leur souhait.
Pour le reste, cette saga nous donne à voir une vie difficile dans un pays au climat rude. Les hommes et les femmes qui y vivaient étaient à cette image. Ainsi, un simple vol de mouton a vite tendance à dégénérer en carnage généralisé. Mais soyons honnête, dans ce pays glacé, un vol de bétail peut fort bien mettre en péril la survie d’une famille… Mais la violence est clairement au coeur du récit, avec Snorri le godi (un godi étant, en simplifiant un peu, plus ou moins un chef de district) intervenant régulièrement pour trancher lors des conflits judiciaires (et n’hésitant pas aussi à user de violence de temps à autre…). La justice de l’époque n’était pas une illusion, régie qu’elle était par des règles strictes (mais pas forcément très claires pour une personne occidentale d’aujourd’hui). Snorri, personnage essentiel de cette saga, est d’ailleurs montré sous un jour particulièrement favorable, ce qui n’a rien d’étonnant quand on sait que la saga a été rédigée aux alentour du XIIIe siècle par un clerc chrétien alors que Snorri est celui qui a déclaré le christianisme comme étant la religion officielle en Islande…
Toujours écrite dans la style très laconique des sagas, présentant de très nombreux personnages (et leurs ascendants, la généalogie et les sagas c’est une longue et parfois éprouvante histoire d’amour !) aux dénominations parfois très proches, elle n’est pas aussi entraînante que la « Saga d’Egill » et demande un certain effort de lecture. N’oublions pas tout de même que nous sommes en présence d’un texte médiéval… Néanmoins, pour les amateurs d’histoire et de culture scandinave, elle reste intéressante. Pour un public averti (et de niche sans doute) donc.
Oho! Il y a longtemps que tu ne nous avais pas présenté un livre de ce genre. Il fait un peu peur surtout avec ses nombreux personnages et sa langue laconique – heureusement pas draconique.
As-tu pu reliè avec des romans plus modernes et connus ?
Merci
C’est difficile de faire un lien entre cette saga précisément et d’autres textes plus modernes. Elle fait partie d’un ensemble beaucoup plus vaste (les sagas donc), qui elles, avec leurs différents types (sagas islandaises, sagas légendaires, sagas royales, sagas des chevaliers, etc…), ont infusé dans de nombreux domaines.
Dans les genres qui nous intéressent, Poul Anderson est bien sûr celui qui les a le mieux mises en avant avec notamment « L’épée brisée » et l’excellente « Saga de Hrolf Kraki » qui, elle, est directement tirée de la saga légendaire du même nom (en y ajoutant quelques petites choses, notamment sur Beowulf).
Donc pas de lien particulier avec cette « Saga de Snorri le godi » qui n’est intéressante que par le fait qu’elle présente pas mal d’éléments « surnaturels » ou ayant trait au paganisme d’alors, chose habituellement plutôt rare dans des textes, faut-il le rappeler, écrits par des clercs chrétiens. 😉
Ceci dit, Wikipedia mentionne (sur la version anglaise) une nouvelle de Robert Louis Stevenson, « The Waif Woman: A Cue, from a Saga » (traduite en français par sous le titre « Thorgunna la solitaire ») directement inspirée de cette saga, mais je ne l’ai pas lue (elle semble difficilement trouvable…).
J’ai essayé de lire ces sagas et j’ai dû abandonner. Le style est trop hiératique, l’entremêlement des personnages trop complexe. J’ai lu d’autres textes médiévaux mais je trouve ces sagas islandaises très inconfortables à lire…
C’est assez particulier c’est sûr. Le gros avantage reste que ce sont des textes écrits en prose, chose rare à cette époque. Mais ces textes ne peuvent qu’intéresser une frange restreinte de la population, c’est évident.