L’une rêve, l’autre pas, de Nancy Kress
Quatrième de couverture :
« Docteur… savez-vous combien j’aurais pu accomplir en plus si je n’avais pas dû dormir toute ma vie ? »
Alors que deux jumelles viennent au monde, l’une d’elles a été génétiquement modifiée pour ne plus avoir besoin de sommeil. Chaque jour, elle dispose de huit à dix heures en plus pour vivre et découvrir le monde… Des heures qui feront aussi d’elle un être à part.
Dès lors, comment trouver sa place dans une société qui n’est plus la vôtre ?
Nancy Kress est l’une des belles voix de l’imaginaire mondial avec des romans comme Après la chute, Le Nexus du Docteur Erdmannou encore Les Hommes dénaturés. Elle développe une science fiction au carrefour de la science, de la conscience sociale et de la poésie. L’une rêve, l’autre pas est son chef-d’œuvre. Il a obtenu le prix Hugo, le prix Nebula, le prix Asimov des lecteurs, le Grand Prix de l’Imaginaire et le prix décerné par Science Fiction Chronicle.
Dormeurs vs Non-Dormeurs
Futur proche. La biologie génétique s’est prodigieusement développée et permet aux parents désireux de ne plus laisser faire le hasard de demander quelques « modifications ». Cosmétiques d’abord, et puis peu à peu les possibilités se multiplient. Ainsi, il devient possible d’avoir des enfants qui ne dorment plus. C’est d’ailleurs le rêve (haha !) d’un futur père qui considère que dormir, bien qu’étant un besoin physiologique, est une perte de temps et qu’il aurait pu faire tellement plus de choses s’il avait pu s’en passer. Il souhaite donc que sa futur fille n’ait plus ce besoin. Sauf que sa fille n’arrive pas seule, puisque ce sont des jumelles qui viennent au monde, l’une qui continue à avoir besoin de dormir, l’autre génétiquement modifiée comme prévu. L’une rêve, l’autre pas.
Et donc, si le sommeil n’est plus nécessaire, cela donne quoi ? Des enfants surdoués, à peu de choses près. Toutes ces heures de sommeil qui peuvent dorénavant être mises à profit pour apprendre, découvrir. Et cette modification génétique est donc le point de départ d’une véritable analyse sociétale vue à travers la vie de Leisha (celle qui ne dort pas) et, dans une moindre mesure, sa soeur Alice (celle qui dort), cette dernière ne supportant pas très bien le fait d’avoir une soeur à qui tout réussit et qui est de plus clairement la préférée de son père.
Analyse sociétale donc car Nancy Kress décortique l’influence et, disons le franchement, les bouleversements que ces modifications amènent dans tout un tas de domaines. A plus d’un titre, ce texte m’a fait penser à la nouvelle « Aimer ce que l’on voit : un documentaire » de Ted Chiang, incluse dans le recueil « La tour de Babylone », dans sa façon d’analyser un bouleversement bio-technologique. Sauf qu’ici, on reste proche des personnages, ce qui n’empêche pas Kress de pousser l’analyse de manière assez profonde. Jalousie, puis haine (à plus forte raison quand la population « normale » s’aperçoit que la supériorité des non-dormeurs ne s’arrête pas à la simple absence de sommeil), violence, repli sur soi, tous ces maux, bien que connus et prévisibles, ne manqueront pas d’apparaître, alors que sur un plan plus personnel, la famille de Leisha et Alice part elle aussi à vau l’eau…
« L’une rêve, l’autre pas » est donc un texte riche et fort. Riche de par ses thématiques finement abordées (l’altérité, le racisme, le communautarisme (ce repli sur soi forcé des « non-dormeurs » et le réseau qu’ils créent pour se protéger m’a fortement fait penser au roman « Les affinités » de Robert Charles Wilson), les difficultés parentales devant un enfant « différent », mais aussi les droits et devoirs des personnes privilégiées par rapport aux plus démunies, c’est d’ailleurs l’origine du titre en VO, « Beggars in Spain » (« Des mendiants en Espagne »), mais il faudra lire la novella pour en comprendre le sens, ou bien encore, de manière plus optimiste, la force du lien et le dépassement des différences), et la logique des réactions de la population, encore une fois malheureusement prévisibles, toujours bien amenées par l’autrice, et fort de par ses personnages touchants. Il n’est pas si courant de retrouver ces deux caractéristiques au sein d’un même texte court, mais Nancy Kress s’en est tirée haut la main. Un superbe texte donc, de la SF (qui plus est tout à fait accessible à un néophyte) de la plus belle eau.
Signalons pour terminer que le volume contient une interview de Nancy Kress, petit bonus sympathique même si le contenu de l’entrevue n’a rien de très renversant. Et enfin, pour être tout à fait complet, ajoutons que l’écrivaine a repris ce texte pour en faire un roman (la novella n’étant que la première des quatre parties), roman lui-même suivi de deux suites. Vu la qualité de « L’une rêve, l’autre pas », on ne peut que regretter la non-traduction à ce jour de ces textes.
Lire aussi les avis de Vert, L’Ours Inculte, Le Chien Critique, Efelle, Alias, Cornwall, Boudicca, Roz, Maureen Denizon, Nicolas, Ailayah, Librosophia, Croqueuse de livres, Fantastinet, Page après page, Phenixweb, Yossarian.
Ta chronique m’a donné envie de lire cette novella. Et de découvrir un peu plus l’auteure, en attendant de peut être me plonger dans le recueil paru au Bélial ces jours-ci.
Ça se lit tout seul, c’est passionnant et pertinent, vraiment bon.
Quant au recueil, c’est simple, c’est pareil : de la grande SF. Oups, je spoile ma chronique. 😉
Je l’attends avec impatience cette chronique… 😉
Demain ! 😉
J’étais tombée sur cette couverture, que je trouve étrange, et puis sur le synopsis, tout aussi intriguant, à l’occasion de la Foire du livre de Bruxelles 2017 et depuis, j’y reviens souvent. Au vu de ta critique, je pense que je vais me laisser tenter 🙂
Tu devrais, c’est de l’excellente SF !
Hormis la situation de base, je ne me souviens absolument pas du contenu du récit. C’est triste. =(
Je crois que j’avais bien aimé, mais pas autant que toi à priori.
Ho c’est dommage. Mais bon, j’ai une mémoire de poisson rouge aussi. Parfois il ne me reste qu’un sentiment diffus, même si je sais dire si j’ai bien aimé ou non longtemps après ma lecture.
Ceci dit, je pense que celui va me rester longtemps en tête !
« non-traduction » c’est vraiment moche. « Absence de traduction » me parait plus joli.
Si tu veux, mais je ne suis pas un esthète de la langue, tu l’auras remarqué… 😉
Même ressenti, même référence canadienne à laquelle cette novella m’a fait penser.
Merci pour le lien.
Et dépêche toi de publier ton avis sur Danses aériennes, il me reste très peu de temps pour envoyer ma liste de souhait !
Bon, je crois que tu étais passé dans les spams, faut croire que mon filtre n’aime pas les chiens… 😀
Du coup, il est un peu tard pour la liste de souhaits, mais mon avis sur « Danses aériennes » est paru, et c’est du bon !
Pour les étrennes, ça peut encore le faire… 😉
Même ressenti, même référence canadienne.
Merci pour le lien.
Et dépêche toi de publier ton avis sur Danses aériennes, je dois envoyer ma liste très très rapidement
J’avais bien aimé ce texte aussi, Nancy Kress écrit vraiment une jolie SF, j’espère qu’on va continuer à traduire ses textes (là j’ai encore Danses aériennes pour m’occuper mais ça ne va pas durer longtemps ^^).
Je l’espère aussi ! « Danses aériennes » tient vraiment ses promesses, ce serait dommage d’ne rester là.
Du coup, je n’étais pas certaine de faire l’effort de lire cette novella, et tu m’as fait changer d’avis. Outre la thématique, j’aime bien voir comment est traité le non sommeil et le rapport avec les parents.
Merci!
Ah si, elle vaut vraiment le coup ! Il y a plein de thèmes abordés en peu de pages, c’est vraiment à lire. 😉
Pour le guide de lecture Kress du Bifrost 89, j’ai l’ensemble de la trilogie Sleepless : à mon sens, il n’y a guère que le premier roman (*Beggars in Spain*, dont « L’un rêve, l’autre pas » constitue donc le premier quart, comme tu le précises) qui vaille le coup d’être lu. Les deux autres sont trop longs et bien moins intéressants — Kress est plus douée au format novella, on le sait 😉
Enfin, la novella « Méfiez-vous du chien qui dort… » (in *Horizons lointains*, antho de Silverberg) est plus anecdotique mais pas mal du tout au demeurant.
Je crois qu’en effet elle est meilleure sur le format novella, et je pense qu’elle en est d’ailleurs tout à fait consciente. Mais elle écrit aussi des romans car ils sont plus rémunérateurs et qu’ils lui permettent de vivre de sa plume (c’est ce qu’elle dit dans l’interview en fin de volume, confirmé par Pierre-Paul dans l’interview du prochain Bifrost je crois).
Bon du coup, j’ai l’impression que la novella « L’une rêve, l’autre pas » est en fait la meilleure partie de la trilogie ! 😀
Cette novella est très chouette, j’en ai gardé un bon souvenir, c’est cool que tu aies aimé !
Très chouette en effet, bien menée, bien rythmée, avec tout un tas de thématiques intéressantes. Bonne pioche ! 😉
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