L’oeil dans le ciel, de Philip K. Dick
Quatrième de couverture :
La visite de l’accélérateur de particules atomiques aurait pu se terminer beaucoup plus mal pour ceux qui s’y trouvaient lorsqu’est survenu l’accident. Jake, Marsha et les six autres victimes semblent s’en être tirés avec seulement quelques contusions. Pourtant, après cela, les choses ne sont plus tout à fait les mêmes. La réalité se détraque imperceptiblement, au point de se plier aux terreurs et aux fantasmes les plus secrets des huit protagonistes. Parviendront-ils à sortir de ce labyrinthe de cauchemars inconscients ?
Réalités subjectives, névroses et fantasmes politico-religieux
Incontestablement, « L’oeil dans le ciel » marque un tournant dans la bibliographie de Philip K. Dick puisque si ses romans précédents abordaient à la marge certains thèmes dickiens, ce dernier le fait ouvertement en mettant la perception de la réalité au coeur du récit. Pourtant l’aspect purement récréatif des premiers récits de Dick apparaît encore ici, notamment avec le prétexte science-fictif ouvrant l’intrigue : un incident dans un bevatron, un accélérateur de particules, conduit huit visiteurs de l’installation à être exposés à un puissant faisceau de protons. On se croirait dans « Hulk » !… Bref, heureusement, pas de victimes. Pourtant, le monde dans lequel ils se réveillent semble étrange…
Et c’est le début d’une plongée dans plusieurs réalités… différentes, issues tour à tour de l’inconscient que chaque personnage impose aux sept autres ! Dans le premier, la religion est omniprésente et dirige le monde, les miracles sont légion et les punitions divines arrivent sans crier gare. Une sorte de société totalitaire dans lequel vous êtes religieux ou vous n’êtes pas. D’une certaine manière, ce début de roman fait penser à « Mystérium » de Robert Charles Wilson (en plus « mystique » puisque d’une part les miracles ne peuvent qu’émaner de Dieu lui-même, alors que la physique du monde en vient même à être modifiée, le géocentrisme ptoléméen devenant « réalité », et d’autre part car tout ceci est une sorte de voyage intérieur, imposé par une des victimes de l’accident aux autres), d’autant que c’est là aussi un incident dans un centre de recherche en physique qui est à l’origine de tout.
Mais ce voyage dans cette autre réalité ne s’arrêtera donc pas là puisque les huit victimes seront confrontées à d’autres mondes étranges, comme celui dans lequel un des personnages possède les pleins pouvoirs sur ce (et ceux) qui l’entoure(nt), et se retrouve capable de modeler l’environnement au gré de ses envies/fantasmes/lubies/névroses (comprenez faire disparaître ce qui le dérange, adieu donc tout ce qui est gênant et/ou sale, comme le bruit, les usines, le sexe… et cela peut aller jusqu’à des êtres humains !), mais aussi un monde paranoïaque où chaque objet est un danger potentiel, complotant pour porter atteinte à l’intégrité physique des protagonistes (cette maison vivante est tout à fait digne de « The twilight zone » !), ou bien un autre où le communisme est en guerre ouverte avec le capitalisme, avec des slogans tombant du ciel et mettant le feu aux habitations ! On nage donc en pleine obsession dickienne avec des réalités successives et subjectives issues de fantasmes personnels, pour aboutir à une conclusion que l’auteur laisse volontairement entrouverte, et là encore totalement dickienne, attention je spoile :
La construction narrative du roman n’a en revanche rien d’extraordinaire et ne fait rien ou presque pour contrebalancer la faiblesse qu’elle implique : un sentiment de répétition, heureusement atténuée par l’imagination de l’auteur. Par ailleurs, même si la première réalité subjective, ultra-religieuse, prend son temps pour se dévoiler et entretient un vrai suspense quant à ce qui est réel et ce qui ne l’est pas, une fois le ressort dévoilé, on se retrouve devant une simple course en avant pour tenter de remettre les choses à leur place (mais les réalités suivantes sont plus courtes et plus dynamiques sur le plan de la narration), l’ambiguïté n’étant plus guère présente, jusqu’à la conclusion donc, qui la réintroduit subtilement.
Sur le plan du style, Dick est fidèle à lui-même, c’est à dire que de style il n’y a point. Ceci dit, après plusieurs lectures poussant un peu le bouchon de ce côté-là (que cela soit réussi ou too much), revenir à un roman où le style est entièrement au service du récit est finalement bien reposant.
En conclusion, « L’oeil dans le ciel » est le premier roman de Dick qui place les thèmes chers à l’auteur au coeur du récit, tout en critiquant vertement la société américaine d’alors (racisme, religion exacerbée, MacCarthysme, paranoïa…) et montrant que l’enfer c’est les autres et que malgré des façades avenantes il ne fait pas bon connaître dans le détail la psyché de son voisin… Parfois marqué par son époque (le roman est paru en 1957), notamment sur les personnages féminins même s’il y a bien pire dans le domaine, « L’oeil dans le ciel », avec en prime quelques doses d’humour ici ou là, marque incontestablement un jalon important dans l’oeuvre de Philip K. Dick, aussi bien sur le plan des idées que sur le pur plan qualitatif. Un plaisir de lecture pour amateurs de l’auteur, et pas que !
Lire aussi les avis de Manu B., Critiques libres, Morca, Juan Asensio, L’Antre du Voyageur Onirique, Arutha, K. Shiro, Vance.
Un jour faudra que je me replonge dans Philip K Dick, un jour… En attendant j’ai la série Philip K. Dick Electric Dreams dans mes projets de visionnage, c’est déjà un bon début ^^.
J’aime bien m’y plonger de temps en temps. Et comme il a été prolifique, j’ai des réserves pour loooooongtemps ! 😀
Et j’ai commencé à regarder la série, c’est très « adapté », c’est à dire que l’idée de Dick au départ de chaque récit est présente mais que les scénarios ont été très transformés. Ce qui n’a rien d’une mauvaise chose puisque le résultat s’avère très plaisant.
Je ne connaissais pas ce bouquin de K. Dick. Ce que tu en dis ne me donne pas du tout envie de le lire ^^. A mon sens K. Dick fait partie de ces auteurs qu’il faut avoir lu car il marque un tournant dans l’histoire de la SF et l’alimente tant et plus aujourd’hui. Mais bon sang, il ne sait décidément par écrire ^^. Je crois que je préfère encore l’écriture d’Asimov.
Il faut l’avoir lu mais tu n’as pas envie de lire ce roman. 😀 Bon c’est pas grave, il y en a plein d’autres. J’ai beaucoup aimé celui-ci, ne serait-ce que parce que c’est le premier de son oeuvre qui met vraiment les thèmes typiquement dickiens au centre de l’intrigue. Ceci dit, l’effet de répétition l’affaiblit un peu, mais ça se lit toujours très bien.
Quant au style, ce n’est évidemment pas pour ça qu’on lit Dick. Il faut s’y faire. 😉