Tschaï, de Jack Vance

Les prochaines semaines risquent d’être un peu pour moi le temps des aveux. Aveux de mon inculture dans le domaine de la SF. Car oui je vais chroniquer des choses qui sont sorties il y a longtemps, des choses considérées comme des chefs-d’oeuvre, que tout amateur de SF devrait avoir lu. Du coup, faute avouée à demi pardonnée, et il n’est jamais trop tard pour bien faire. Avec ces deux dictons, j’esquive les critiques et je commence ici mon premier aveu : je n’ai jamais lu le cycle de « Tschaï » de Jack Vance. Jusqu’à aujourd’hui.

 

Quatrième de couverture :

En découvrant la planète Tschaï, le vaisseau terrien Explorator IV est aussitôt détruit par un missile. Unique survivant de la catastrophe, Adam Reith va devoir affronter un monde baroque, violent et d’une beauté envoûtante. Un monde peuplé de quatre races extraterrestres : les belliqueux Chasch, les impénétrables Wankh, les farouches Dirdirs et les mystérieux Pnume. Déjouer les traquenards, explorer les secrets des cités géantes, percer le mystère des hommes hybrides : autant d’étapes pour une extraordinaire odyssée, qui permettra peut-être à Reith de rentrer chez lui…

 

Science-fantasy exotique

Ce cycle, composé de quatre romans d’environ 200 pages ici réunis dans une seule et même intégrale illustrée comme de juste par Caza (en France, « Tschaï » et Caza sont désormais indissociables, notamment depuis les célèbres couvertures individuelles des quatre romans, reprises en pages intérieures mais en noir et blanc, et illustrant de belle manière les quatre races majeures de la planète éponyme) et à la traduction de Michel Deutsch révisée pour cette intégrale par Sébastien Guillot (révision que je suis bien incapable de juger, n’ayant pas lu la traduction originale, je peux juste constater quelques « tics » peut-être présents dans la VO, comme le fait de régulièrement « lever les bras au ciel »…), a été écrit à la fin des années 60. On n’est donc plus vraiment dans l’âge d’or de la SF, mais il persiste dans ce cycle un sentiment d’éblouissement, d’émerveillement et même d’optimisme quant aux merveilles que peut réserver l’exploration spatiale.

Difficile en effet de ne pas être enchanté, fasciné par le monde inventé par Jack Vance. Certes, on sera moins ébloui par l’intrigue relativement succincte qui court sur les quatre romans (un vaisseau spatial terrien, venu enquêter sur des signaux radios émis par la planète Tschaï est abattu et le seul survivant du crash, Adam Reith, va chercher par tous les moyens à retourner sur Terre), ou bien la dimension psychologique des personnages relativement restreinte (notamment celle d’Adam Reith, un peu « tout feu tout flamme », qui ne doute quasiment jamais, ne se pose pas de questions quant à ses actes et ses conséquences…). Mais lit-on Jack Vance pour avoir une intrigue alambiquée ou des personnages complexes ? Sans doute pas. Non pas que cela ne serait pas un bonus appréciable mais on lit Jack Vance avant tout pour s’évader. Car Vance est un créateur de monde, à l’imaginaire sans limite. C’est en ça que l’auteur a marqué un sillon indélébile dans la SF, et c’est en ça que « Tschaï » est tenu comme étant l’un de ses chefs-d’oeuvre.

Quatre romans donc, pour autant de races rencontrées et pour une multitude d’épreuves se dressant sur le chemin d’Adam Reith. Quatre races (les Chasch, les Wankhs, les Dirdirs et les Pnumes) qui donnent leur nom aux quatre romans et auxquelles il faut ajouter un certain nombres de peuplades… humaines ! Car oui, il semblerait bien que l’humanité, d’une manière ou d’une autre, s’est retrouvée sur Tschaï mais en oubliant totalement l’existence de la Terre… Et ces peuplades humaines, à la fois nombreuses et variées (les « indépendantes » mais aussi celles qui sont sous le jougs des races majeures et que l’on appelle donc les « Hommes-Chasch », les « Hommes-Wankhs », les « Hommes-Dirdirs » et les « Pnumekins »), ajoutent encore à l’exotisme déjà bien présent de la planète Tschaï.

Chaque roman s’intéresse particulièrement à une des quatre races majeures, et sont autant d’occasions de développer les diverses sociétés de la planète (et de manière assez approfondie qui plus est) en plus d’offrir de palpitantes aventures sans guère de temps mort. Oui tout va vite (parfois trop avec quelque ficelles un peu « faciles » comme le fait qu’un seul langage soit parlé sur toute la planète, langage qu’Adam Reith apprend pour le moins rapidement…), on ne s’appesantit pas son sort, chaque épreuve se termine quand une autre commence. Reith, sans doute un peu trop monolithique et sans guère de considérations pour ses agissements (il y a un certain nombre de victimes là ou passe le héros, et son passage ne manquera pas de bouleverser les sociétés pourtant parfois bien établies), se trouvera donc accompagné de quelques acolytes, parfois pour un court moment, parfois pour l’aventure entière. Il est d’ailleurs intéressant de noter que certains personnages secondaires, qu’ils apparaissent furtivement ou plus longtemps, ont parfois tendance à lui voler la vedette tels l’Homme-Dirdir Anacho ou bien le Lokhar (une autre race d’hommes) Zarfo Detwiler.

Le cycle commence « doucement », il faut un temps d’adaptation à ce monde étrange et bigarré, éclairé par un soleil vieillissant et dont les nuits sont traversées par deux lunes, l’une rose et l’autre bleue. Le premier roman « installe » ce monde pour le lecteur, comme une sorte d’introduction pas forcément passionnante mais nécessaire. Le deuxième volume est dans la droite lignée du précédent, tout en améliorant la recette avec une intrigue qui, si elle reste au fond la même, prend des chemins un peu plus excitants. Le troisième tome parvient à nouveau à surpasser les deux précédents, avec quelques très beaux moments comme la chasse aux sequins alors que nos héros sont poursuivis par des Dirdirs cannibales (!!). Enfin, l’ultime volume offre une atmosphère assez différente, se passant majoritairement sous terre et délaissant un temps les camarades de Reith. Différent mais tout aussi intéressant, alors qu’il offre une conclusion au cycle (bien qu’un peu rapide à mon goût, mais c’est sans doute à l’instar du cycle entier).

Proposant un monde mi-futuriste mi-médiéval (la technologie est présente, à la fois avancée et archaïque), avec un héros en quête d’un moyen de retour sur Terre, aidé en cela par une petite communauté qu’il se créera autour de lui, « Tschaï » propose donc un certain nombres d’ingrédients relevant directement du genre fantasy. Ancré pourtant dans un univers de SF (d’où le qualificatif de « science-fantasy »), ce cycle de Vance, même s’il est un peu daté par certains côtés (le rôle des femmes notamment) est donc une preuve éclatante du talent de créateur de monde (de démiurge même !) de l’auteur américain. Exubérant, coloré, étonnant, merveilleux, palpitant, tous ces qualificatifs s’appliquent pleinement au cycle de « Tschaï ». Si vous aussi recherchez de l’exotisme, de l’inventivité, des sociétés surprenantes mais cohérentes et un monde unique, allez faire un tour sur Tschaï, dépaysement garanti ! 

 

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