L’arche de Darwin, de James Morrow

Posted on 30 août 2017
Après l’épatant « En remorquant Jehovah », je ne pouvais pas en rester là avec James Morrow. J’avais d’ailleurs un peu anticipé ma réaction en achetant « la trilogie de Jéhovah » (comportant le roman sus-cité et ses deux suites) mais aussi « Hiroshima n’aura pas lieu ». Et du coup, forcément, le nouveau roman de l’auteur n’est pas resté éloigné de moi bien longtemps. On y retrouve les centres d’intérêt de l’auteur : la religion, le darwinisme, l’aventure navale, l’aventure tout court. C’est parti pour un voyage ébouriffant !

 

Quatrième de couverture :

Actrice sans rôle, Chloe Bathurst décroche un emploi de gardienne de zoo chez Charles Darwin où elle rencontre toutes sortes d’animaux exotiques, ainsi que différentes théories scientifiques d’une modernité étonnante. Pour sortir son père de l’hospice, elle vole la première mouture de la théorie de l’évolution et s’inscrit au Grand concours de dieu, qui offre 10 000 £ à qui prouvera ou réfutera l’existence d’un être suprême.

Alors que d’autres aventuriers recherchent l’arche de Noé sur le mont Ararat et qu’un enseignant britannique rencontre l’origine de l’humanité dans une fumerie de haschich, Chloe s’embarque dans un périple en bateau et montgolfière à travers le Brésil, l’Amazone et les Andes pour rapporter les spécimens nécessaires à ses ambitions. Parvenue aux Galápagos, elle va user de toute sa ruse, et du texte de Darwin, pour un procès en blasphème…

 

Dieu, Darwin, Noé et les Galápagos…

Pas facile de décider comment attaquer la chronique de ce roman tant il y aurait à dire. C’est qu’il est touffu le bestiau ! C’est à la fois sa grande qualité (l’érudition de l’auteur n’est pas une nouveauté) et son plus grand défaut (il a sans doute voulu un peu trop en mettre). Tout au long de ses 600 pages bien denses, James Morrow s’amuse avec ses thèmes de prédilection, au premier rang desquels se trouvent la religion et Darwin. Forcément dès qu’on parle de Darwin, il est difficile de mettre la religion de côté, dans un monde qui était alors encore très tourné vers Dieu. Ça tombe bien, l’auteur adore en parler, qu’on se souvienne de l’excellent « En remorquant Jehovah » !

De quoi est-il question ici ? D’une jeune femme qui tente de venir en aide à son père qui croule sous les dettes. Pour cela, alors qu’elle parvient à se faire embaucher en tant que gardienne du zoo personnel de Charles Darwin, elle apprend par surprise qu’un concours est lancé par quelques membres désœuvrés de la noblesse anglaise, accompagnés de quelques ecclésiastiques plutôt confiants. Le but du concours ? Confirmer ou infirmer de manière ferme et définitive l’existence de Dieu, avec à la clé une somme rondelette qui pourrait permettre à Chloe Bathurst de mettre son père à l’abri. Et quand il s’agit de prouver que Dieu n’existe pas, Darwin est en bonne place. Chloe, en femme forte et entêtée, décide de voler le « brouillon » de la théorie de Darwin sur l’évolution des espèces et s’embarque vers les Galápagos pour ramener en Angleterre toute une ménagerie qui lui assurerait la victoire au concours. Il faut par ailleurs qu’elle fasse vite, une autre expédition est montée pour chercher l’Arche de Noé…

Tout ceci n’est que le début d’une riche et dense aventure, pleine de rebondissements, d’érudition, mais aussi ce sens de l’aventure qui n’a jamais fait défaut à James Morrow. Il y a du Jules Verne dans Morrow, c’est incontestable, l’humour en plus. Mais cette richesse du récit est donc aussi son défaut, car quand l’auteur nous parle d’arguments ontologique, cosmologique ou téléologique pour prouver l’existence de Dieu, quand il oppose théisme et déisme en faisant appel à Schopenhauer (qui était déjà évoqué dans « En remorquant Jehovah », j’y reviendrai), quand il convoque à travers les visions d’un homme dans une fumerie de haschich des personnages venus du futur (le futur depuis le point de vue de l’époque de Darwin et du roman) comme Gregor Mendel, Pierre Teilhard de Chardin ou bien Rosalind Franklin qui nous exposent leurs travaux sur l’évolution (ultérieurs à la parution de « L’origine des espèces » de Darwin donc), il faut un peu d’effort au lecteur (ou beaucoup de connaissances) pour ne pas décrocher. Peut-être James Morrow aurait-il dû rendre son récit un peu plus accessible sur certains points, en tout cas « L’arche de Darwin » n’est pas un roman qui peut se lire par tranches de cinq minutes pendant la pause café, demandant au lecteur une attention certaine.

Reste donc un sens de l’aventure qui n’est jamais mis en défaut, Chloe Bathurst et ses compagnons se trouvant confrontés à un naufrage, à une attaque de condors, à une guerre contre l’esclavagisme dans la culture de caoutchouc, j’en passe et des meilleurs. Elle et ses compagnons rencontreront un pilote de dirigeable français, inventeront l’existence d’une treizième tribu juive au Pérou (!!), simuleront une éruption volcanique (!!!). Là aussi, j’en passe et des meilleurs. L’inventivité de James Morrow est à son paroxysme (mais peut-être saura-t-il faire encore plus fort dans un futur roman ? Ça ne va pas être simple !) ! Si on y ajoute une galerie de personnages particulièrement bien troussés, de Chloe Bathurst bien sûr, superbe héroïne qui vivra plusieurs épiphanies, en passant par Mr Chadwick, un vicaire à la foi pas si chevillée au corps que cela, Léourier le pilote français de dirigeable cherchant l’Eldorado, Ralph le capitaine de vaisseau fidèle ou bien Solange, une fille de joie (pardon, une courtisane !) perdue sur une île déserte au langage pour le moins franc, on obtient un roman qui, même si parfois un rien obscur, pousse toujours à aller plus loin, avec une bonne dose d’humour subtil.

 « L’arche de Darwin », et de manière plus générale un roman sur Darwin ou le darwinisme, semblait être un projet qui trottait dans la tête de James Morrow depuis longtemps, c’est ce qui nous est révélé dans les remerciements. Visiblement il avait déjà semé quelques idées ici ou là, quelques une d’entre elles se trouvant déjà dans « En remorquant Jéhovah » : une aventure maritime, une jeune femme perdue sur une île déserte suite à un naufrage (celle de « En remorquant Jéhovah » était sur une croisière sur les traces de… Darwin !), certaines références qui reviennent d’un roman à l’autre (Schopenhauer entre autres), certains questionnements sur la religion. On pourrait presque voir dans « En remorquant Jéhovah » les prémices de « L’arche de Darwin », ou disons plutôt, si vous me pardonnez l’expression, quelques traces séminales. Mais la quasi perfection narrative de son plus célèbre roman n’est pas reconduite ici, lui qui ne s’écartait qu’à bon escient de sa trame narrative, lui qui savait se faire nerveux quand il le fallait, poussant la réflexion au moment où il le fallait.

Je ne saurais qualifier « L’arche de Darwin » de déception, lui qui est tellement plus ambitieux que la plupart des romans actuels. Pour autant, après son illustre prédécesseur (qu’il faut lire absolument !), à trop vouloir en dire c’est le mot « dommage » qui revient. Mais qu’on se le dise, James Morrow est un grand auteur et il le prouve à nouveau avec ce roman.

 

Lire aussi les avis de Gromovar, Sandrine, Le chien critique, Culturellement vôtre, Madimado.

 

  
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