L’espace d’un an, de Becky Chambers
Quatrième de couverture :
Rosemary, jeune humaine inexpérimentée, fuit sa famille de richissimes escrocs. Elle est engagée comme greffière à bord du Voyageur, un vaisseau qui creuse des tunnels dans l’espace, où elle apprend à vivre et à travailler avec des représentants de différentes espèces de la galaxie : des reptiles, des amphibiens et, plus étranges encore, d’autres humains. La pilote, couverte d’écailles et de plumes multicolores, a choisi de se couper de ses semblables ; le médecin et cuistot occupe ses six mains à réconforter les gens pour oublier la tragédie qui a condamné son espèce à mort ; le capitaine humain, pacifiste, aime une alien dont le vaisseau approvisionne les militaires en zone de combat ; l’IA du bord hésite à se transférer dans un corps de chair et de sang…
Les tribulations du Voyageur, parti pour un trajet d’un an jusqu’à une planète lointaine, composent la tapisserie chaleureuse d’une famille unie par des liens plus fondamentaux que le sang ou les lois : l’amour sous toutes ses formes.
Loin de nous offrir un space opera d’action et de batailles rangées, Becky Chambers signe un texte tout en humour et en tendresse subtile. Elle réussit le prodige de nous faire passer en permanence de l’exotisme à la sensation d’une familiarité saisissante.
Là où on va, on n’a pas besoin d’intrigue !
Sous cette phrase ouvertement référentielle et un brin provocatrice se cache pourtant une vérité : il ne faut pas lire ce roman pour son intrigue, quasi-inexistante et surtout prétexte à faire découvrir au lecteur l’équipage du Voyageur et les relations que les personnages nouent les uns avec les autres. Après tout, pourquoi pas, ce n’est pas le premier roman que je lis avec une intrigue qui passe au second plan, mais j’avoue que sur 450 pages, ça fait un peu long le roman sans ligne rouge…
Heureusement, Becky Chambers a soigné ses personnages, que ce soit la pilote Sissix, sorte de reptile avec des plumes, « les » navigateurs Ohan (en réalité un être extraterrestre contaminé, comme tous ceux de sa race ou presque, par un virus, d’où l’utilisation du pluriel dû à cette symbiose, qui leur permet de comprendre l’hyperespace, appelé infrastrate dans le roman, et d’y naviguer), l’excellent docteur-cuisinier Docteur Miam et ses six bras-jambes, la cosmico-cool un peu barrée Kizzy, le tech-info à la verticalité contrariée Jenks, l’alguiste Corbin, responsable du carburant du vaisseau, la nouvelle arrivée et greffière Rosemary qui cache un lourd secret, l’IA Lovey (diminutif de Lovelace en référence à Ada Lovelace) ou bien le capitaine Ashby qui a la rude tâche de faire fonctionner tous ces caractères bien trempés tous ensemble.
Ce bref tour d’horizon de l’équipage est en fait bien plus développé dans le roman, et c’est lui qui en est au coeur, qui en forme la structure narrative à travers différents chapitres que l’on peut presque assimiler à des nouvelles, s’intéressant tour à tour de manière plus précise à l’un ou l’autre des personnages. Jenks et son intérêt pour l’IA Lovey, le secret de Rosemary, le devenir de l’espèce du Docteur Miam, les besoins intrinsèques de Sissix, cet équipage bigarré est suffisamment varié pour offrir de quoi alimenter le récit, au gré de leur long voyage entrecoupé de quelques pauses pour recharger les batteries (au propre comme au figuré).
Sauf qu’on est dans un roman, et à un moment on voudrait que ça décolle un peu, alors qu’en plus, le roman se voulant très optimiste ce qui n’est pas pour me déplaire et change un peu de la sinistrose ambiante, frôle parfois un peu trop la guimauve et la naïveté. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, mais au bout d’un moment, ça devient rengaine… J’avoue que ça m’a un peu usé… Ce qui est bien dommage alors que le récit a finalement pas mal de choses à offrir, comme un contexte certes tracé assez rapidement (une humanité partagé en deux, entre les riches qui ont pu s’offrir une installation sur Mars et les pauvres, les Exodiens, qui n’ont eu d’autre choix que de quitter la planète Terre devenue invivable pour… un ailleurs à ce moment-là bien illusoire, ou bien une Union Galactique composée de plusieurs races extraterrestres au sein de laquelle l’humanité est loin de faire partie des puissants, ce qui me fait plutôt penser au jeu vidéo « Mass Effect ») mais plutôt efficace, ou bien une partie « quincaillerie SF » peu détaillée techniquement mais qui fonctionne (sans poser trop de questions hein, c’est comme le transporteur de « Star Trek » : « Comment fonctionne-t-il ? Très bien, merci ! »), à l’instar du Voyageur qui a pour mission de forer des trous de ver en passant par l’infrastrate (l’hyperespace donc) pour relier deux points éloignés de l’univers à l’aide d’une foreuse… qui fonctionne très bien, merci ! ^^ Clairement on est dans du space-op d’aventure, pas dans de la hard-SF.
Ceci dit, Becky Chambers a la finesse d’introduire dans son récit à la fois des thèmes d’actualité et universels (l’altérité, l’acceptation de l’autre, les différences culturelles, le pardon, l’écologie, l’homosexualité…) mais aussi des thèmes plus directement hérité de la SF « pure » (comme le statut des IA). Porté par un équipage attachant, ces thèmes font mouche même s’il manque au roman un brin de subtilité.
Voilà, « L’espace d’un an » ne peut donc que se révéler clivant. Ultra-optimiste jusqu’à l’excès (on nage parfois dans la mièvrerie et la naïveté), une intrigue rachitique, mais des personnages attachants, des thèmes porteurs et un univers, pour peu détaillé qu’il soit, qui ne manque pourtant pas d’attraits, tels sont les pour et les contre du roman. Il appartient à chaque lecteur de faire son choix, en fonction de ses goûts, de ses attentes, mais aussi de son humeur du moment. Si on est dans une mauvaise passe, un « feel-good-book » comme celui-ci, ça peut faire un bien fou.
Pas de coup de coeur pour moi donc, mais une découverte intéressante en dépit de ses défauts qui m’ont énervé plus d’une fois. Je lirai sans doute le volume suivant, « Libration », qui sort fin juin en France et qui est nommé au Prix Hugo 2017.
Lire aussi les avis de Apophis, Samuel, Kissifrott, Sandrine, May, Jonathan, Koyolite Tseila, Miroirs SF.
Bien résumé, pas un chef d’œuvre, mais feel-good-book 🙂
Pour l’absence d’intrigue, il y a une mince filet narratif qui se dessine à travers la destination finale, mais il est vrai que c’est léger.
Le tome 2 est sorti, ou doit sortir incessamment sous peu, personnellement je le lirai. Vraiment pas curiosité, parce qu’une fois passé la surprise et la découverte de ses personnages, il va falloir qu’elle aligne autre chose.
Oui c’est ça, ça fait du bien par où ça passe, même si c’est quand même un peu longuet…
C’est vrai que l’intrigue se développe un tout petit peu sur la fin, mais c’est vraiment minime.
Pour le tome 2, entièrement d’accord avec toi, je veux voir si l’auteur a d’autres idées en tête. 😉
Je l’ai noté dans un coin, ça peut pas faire de mal ce genre de lecture de temps en temps ^^.
Ouaip, le monde a besoin d’un peu d’optimisme en ce moment…
Même si je suis la première à déplorer la sinistrose de mise en SF et que j’accueille toujours avec bonne humeur un roman optimiste, je ne suis pas tentée par la guimauve.
Et puis pas de fil rouge… Non merci.
Ce n’est pas un incontournable de toute façon.
Comme souvent, nos impressions sont proches, à ceci près que je ne lirai personnellement pas la suite. qui a le mauvais goût de sortir dans une période épouvantablement chargée en sorties (VO ou VF) qui sont (de mon point de vue) beaucoup plus intéressantes. Maintenant, si ton avis sur le tome 2 est vraiment, vraiment bon, je me laisserai peut-être tenter, mais sans en faire une priorité. Merci pour ta critique !
C’est plus par curiosité qu’autre chose, histoire de voir si l’auteure a d’autres choses à proposer.
Dommage, j’aime beaucoup les romans avec des personnages travaillés, mais sans intrigue et trop optimiste, ça ne va pas le faire pour moi je crois :/
Ça change, mais c’est un peu longuet quand même. Le conflit, y a que ça de vrai ! 😛
Y a pas à dire, les romans pessimistes plombent le moral, mais au moins, les possibilités de thématiques sont infinies et nous surprennent toujours. Pas le cas des feel-good-book on dirait.
Les « trous de ver en passant par l’infrastrate » m’ont fait penser à tous ces livres actuels sur les intestins, va savoir pourquoi. Des livres qui vous font du bien aussi !
Vive la sinistrose
C’est vrai qu’on s’était déjà aperçu avec l’anthologie « Contrepoint », censée ne pas parler de conflit, qu’il était difficile d’écrire quelque chose de parfaitement optimiste. Pour ne pas dire sans intérêt finalement.
Alors loin de moi l’idée de dire que ce roman est sans intérêt, ce n’est pas le cas, mais bon, le côté sombre, c’est bien aussi. 😉
Et non, l’infrastrate n’a rien à voir avec la prostate ! 😛
Je l’avais noté sur mes tablettes mais 450 pages sans le fameux fil rouge m’avait fait renoncer…. ta critique me confirme les premiers avis. Bref, je sens qu’il va me manquer quelque chose ! 🙂
Je suis mauvaise langue, le fil rouge existe, il est très ténu et ne prend de la consistance (enfin juste un peu) que vers la fin. C’est léger quoi ! 😀
Je m’ennuie déjà… lol
J’ai beaucoup ri à ta conclusion « Si on est dans une mauvaise passe, un « feel-good-book » comme celui-ci, ça peut faire un bien fou. » J’avais plus ou moins fait la même. Je suis d’accord avec toi sur toute la ligne. Mais contrairement à toi, ce n’est pas certain que je me laisse tenter par le second tome. Je verrai ce qu’en diront les critiques. Tu me serviras donc peut-être de lecteur test ^^. Comme tu le dis, il y a du potentiel dans cet univers, donc sait-on jamais…
Ce roman semble fait pour ça : se sentir bien, et quoi de mieux que de se sentir un peu mieux quand on est dans une mauvaise passe ? 😉
Je lirai sans doute le second tome oui, mais je n’en fais pas pour autant une priorité.
Il faudrait une petite pastille au début de chaque roman, qui indique pour quelle humeur cette lecture est indiquée : « envie d’action ? alors passez votre chemin et revenez une prochaine fois » ; « envie de réconfort ? plongez sur ce roman » ^^
Haha, faudrait passer le mot aux éditeurs ! 😀
Je viens de le terminer, j’ai été totalement conquis par le voyage et l’équipage <3 😀
Je vais totalement lire le suivant moi 😀
Ça ne m’étonne pas, c’est tout à fait ton style de roman.
Peut-être liras-tu le suivant avant moi, tu me diras. 😉
[…] Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de Samuel Ziterman sur Lecture 42, celle de Lianne sur De livres en livres, de Lorhkan […]
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