Cérès et Vesta, de Greg Egan
Quatrième de couverture :
Cérès d’un côté, Vesta de l’autre. Deux astéroïdes colonisés par l’homme, deux mondes clos interdépendants qui échangent ce dont l’autre est dépourvu — glace contre roche. Jusqu’à ce que sur Vesta, l’idée d’un apartheid ciblé se répande, relayée par la classe politique. La résistance s’organise afin de défendre les Sivadier, cible d’un ostracisme croissant, mais la situation n’est bientôt plus tenable : les Sivadier fuient Vesta comme ils peuvent et se réfugient sur Cérès. Or les dirigeants de Vesta voient d’un très mauvais œil cet accueil réservé par l’astéroïde voisin à ceux qu’ils considèrent, au mieux, comme des traîtres… Et Vesta de placer alors Cérès face à un choix impossible, une horreur cornélienne qu’il faudra pourtant bien assumer…
« Greg Egan est l’auteur de science-fiction
le plus important du XXIe siècle. »
Stephen Baxter
Cérès et Vesta a été finaliste du prix Sturgeon 2015.
D’un planétoïde à l’autre
Novella d’une centaine de pages, « Cérès et Vesta » donne l’occasion à Greg Egan de laisser de côté l’aspect « hard-SF » qui l’a rendu célèbre pour quelque chose qui sonne un peu plus social, et qui a même de franches résonances avec l’actualité (ceci dit, j’avais déjà eu l’occasion de voir à la lecture de son recueil « Axiomatique », non critiqué sur ce blog, qu’il ne faisait pas que de la hard-SF). Cérès et Vesta sont deux astéroïdes situés dans la ceintures d’astéroïdes entre les orbites de Mars et Jupiter. Deux astéroïdes colonisés par l’homme et qui sont interdépendants : l’un manque de glace alors que l’autre en regorge, l’autre a besoin de pierre là où son alter-ego n’en manque pas. Bref, l’offre, la demande, le commerce, tout va bien. Jusqu’au jour où les dirigeants de Vesta mettent en place la ségrégation de la famille Sivadier (et leurs descendants), famille qui a certes fait partie de la première vague de colons mais n’a pas, d’après les dirigeants de l’astéroïde, mit la main à la pâte de la « bonne » manière (essentiellement via des dépôts de brevets et autres joyeusetés administratives mais sans jamais suer sang et eau comme les autres familles). S’en suit un exode massif et illégal qui n’est pas sans danger (trois ans de voyage collé à du matériau échangé entre les deux sociétés) et qui pousse Cérès a gérer cette crise migratoire.
Bon forcément, avec un tel résumé, les liens avec l’actualité récente sont plus qu’apparents, ça saute aux yeux ! Mais l’auteur ne s’arrête pas à cette situation car si elle suffit amplement à pousser à la réflexion, il a décidé d’aller plus loin et d’imposer à Anna, la directrice du port spatial de Cérès, un choix cornélien qui donne d’ailleurs son titre à la novella en VO (« The four thousand, the eight hundred »). Un choix que je ne dévoilerai pas ici mais qui est vraiment marquant, aucune solution n’étant bonne par nature. Mais un choix qui doit être fait. Cet élément n’arrive qu’en fin de récit, le début mettant en place les tenants et les aboutissants de ce drame qui se noue. Et la narration, pour « complexe » qu’on puisse la trouver ( elle est déconstruite chronologiquement parlant), est réussie et ajoute même, avec variété et rythme, une dimension supplémentaire à la qualité de ce texte.
Certes, Greg Egan, ce n’est pas nouveau, a toujours eu un malus côté empathie (ses jets de dés ont dû être mauvais à la création du perso ! ^^) et c’est à nouveau le cas ici, les personnages ne semblant exister que pour faire avancer le récit, sans que le lecteur y attache une quelconque importance. C’est bien dommage car avec un tel sujet, il y aurait de quoi faire pleurer dans les chaumières sans forcément avoir la main lourde sur le côté pathos. Mais ce n’est pas encore avec ce récit que Greg Egan nous fera pleurer. Tant pis, ce qui n’empêche pas de louer la qualité du texte qui, avec ces réflexions sur le racisme, l’exclusion, la discrimination, la crise migratoire, fait écho à l’actualité mais aussi à d’autres grands drames de l’Histoire.
« Cérès et Vesta » montre une nouvelle fois, s’il en était besoin, que la SF ne manque pas d’interroger notre présent en parlant de notre futur, c’est flagrant ici et c’est surtout réussi, il est bien difficile de lire cette novella sans penser à ce qui se passe pas si loin de chez nous (voire carrément chez nous). Dommage que ce texte manque un peu d’incarnation dans ses personnages alors qu’un autre texte de la collection, « L’homme qui mit fin à l’histoire » de Ken Liu, qui souffre pourtant du même défaut du fait du mode de narration choisi, lui reste finalement bien supérieur tout en n’étant pas si éloigné dans ce qu’il cherche à apporter au lecteur. Greg Egan n’est pas Ken Liu… Pas de quoi s’alarmer cependant, « Cérès et Vesta » est un texte politique qui reste en l’état tout à fait recommandable.
Lire aussi les avis de Apophis, l’Ours Inculte, Just a word, Nebal, Yogo, Samuel, Célindanaé, Yossarian, Blackwolf, Elessar, le Fictionaute.
(merci pour le lien)
Très bonne critique, tu as très bien cerné ce qui fait l’intérêt du texte et ce qui peut poser problème aux lecteurs cherchant à tout prix une connexion émotionnelle avec les personnages. J’aime beaucoup le coup du tirage de dés ^^
Par contre, oui, il y a encore besoin de montrer que la SF interroge notre présent en parlant du futur (et de l’ailleurs). Je suis tombé sur une critique de La cité du futur de Robert Charles Wilson (sur Babelio) qui opposait frontalement SF et humanisme, preuve qu’il y a encore beaucoup de pédagogie à faire tant la personne mettait allègrement TOUTE la Science-fiction dans le sac de la Hard-SF et considérait que pour qu’un livre estampillé SF soit humaniste, il fallait que l’aspect SF soit aussi faible que possible. Une position marquant, certes, une totale méconnaissance (et incompréhension) du genre, mais hélas très (trop…) répandue.
Greg Egan a eu des bonus à tous ses autres tirages, fallait bien qu’il en foire un avec un échec critique ! 😀
Des lecteurs qui n’ont pas conscience de ce qu’est la SF, il y en a plein, du genre « Ah non mais moi je ne lis pas de SF » et si tu leur montre un roman d’anticipation paru en littérature générale, ça ne leur pose pas de problème. « Oui mais c’est pas de la SF ! ». Ben si. La SF est partout, de plus en plus présente, et les thèmes qu’elle aborde sont la plupart du temps très actuels. Il y a encore du chemin à parcourir…
Il est au programme pour ma part!
Bon, mes amis blogueurs vous ne cessez de répété le manque d’impact émotionnel. J’avoue que c’est une des réserves que j’émets car c’est un point important pour ma part.
C’est du Egan quoi, pas de surprise sur le côté émotionnel des personnages : il n’y en a guère…
Ça reste un récit réussi malgré tout, les problématiques posées l’emportent sur le reste.
Bonne critique qui relève le problème commun à nombre de retours.
Personnellement, l’absence de traitement, ou du moins le traitement léger des personnages et de leurs émotions ne me dérange pas plus que ça. Surtout que ça n’empêche pas d’avoir des thèmes forts qui sont traités sans filtre. L’émotion passe par des enjeux plus grands, qui dépassent les personnages. Cérès et Vesta parle de décisions communes et de groupe d’Hommes qui accepte des situations inacceptables. Moi ça me fait autant vibrer que le reste, voir plus, parfois.
C’est une de mes caractéristiques : j’ai besoin de « sentir » les personnages », ça m’aide à me plonger dans le récit. Sinon ça me donne un peu l’effet « Latium » : je suis conscient que le texte est intrinsèquement bon, mais ça ne m’emporte pas.
Ceci dit, il y a des exceptions, le texte de Ken Liu que je cite est assez bouleversant malgré des personnages qui restent au second plan.
Mais je comprends ton point de vue, il est tout à fait pertinent.
Je survole ta critique vu que j’ai l’intention de le lire prochainement, mais je suis ravie de savoir qu’on passe un bon moment ^^.
Un bon moment oui, pas dans le sens super joyeux mais un bon récit qui pousse à la réflexion. On n’en attendait pas moins de Greg Egan. 😉
[…] Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur cette novella, je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de FeydRautha, celle de l’Ours inculte, celle de Yogo, de Célindanaé sur Au pays des Cave Trolls, de Samuel Ziterman sur Lecture 42, de Blackwolf, de Lorhkan […]
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