L’inclinaison, de Christopher Priest
Quatrième de couverture :
Compositeur de musique renommé, Alesandro Sussken est né dans un pays en guerre, clos, dirigé par une impitoyable junte militaire. Parti au front, son frère Jacj n’est jamais revenu. Un jour, on propose à Alesandro une tournée de neuf semaines dans certaines îles de l’Archipel du Rêve, dont la volcanique Temmil, sur laquelle vit And Ante, un guitariste de rock qu’Alesandro considère comme un plagiaire éhonté.
Cette tournée, aux distorsions temporelles incompréhensibles, va changer la vie d’Alesandro d’une façon inattendue. Il va tout perdre : sa femme, ses parents, sa liberté. Pour comprendre sa descente aux enfers, il n’aura pas d’autre solution que de retourner dans cet Archipel du Rêve, aussi séduisant que dangereux…
Au rythme des flots…
Christopher Priest a, de ce que j’ai lu de lui jusqu’ici, toujours été très bon dans les reconstitutions historiques tout en n’oubliant pas l’essence même du bon roman : une intrigue solide qui accroche le lecteur, quitte à le perdre un peu dans le tissu de la réalité. Priest a en effet repris pour lui, entre autres, quelques une des interrogations dickiennes, en les adaptant à son style et ses centres d’intérêt. Le sense of wonder, il connaît aussi, témoin le vertigineux « Le monde inverti ».
Je m’attendais à quelque chose d’assez « priestien » avec « L’inclinaison ». Sauf qu’on sort de ce chemin désormais bien balisé. Une intrigue ? Disons qu’elle est relativement discrète, pour le moins. Une narration particulière ? Pas du tout, le roman est très linéaire dans son déroulé. Mais alors, où est passé ce qui fait la force des romans de l’auteur anglais ? Hé bien il faut croire qu’il a décidé de faire autre chose. Et disons-le tout net : il le fait bigrement bien. Certes on retrouve quelques motifs bien priestiens (deux frères, l’armée est un élément, même lointain, du récit), mais ce texte, qui demande un certain « lâcher prise » au lecteur, reste relativement éloigné des récits précédemment lus.
« L’inclinaison » nous propose de suivre les pas de Alesandro Susken, un musicien fasciné depuis l’enfance par les îles de l’Archipel du Rêve qui bordent son pays en guerre. Traumatisé par le départ de son frère pour l’armée engagée dans un lointain conflit, il profite de l’occasion qui lui est offerte (une tournée musicale) pour visiter certaines de ces îles, et de faire face à certaines de leurs particularités, notamment un écoulement du temps assez particulier. Et voilà, c’est à peu près tout. D’où le « lâcher prise ». Il faut accepter de se laisser guider par la petite musique priestienne, comme Susken se laisse guider au gré des flots, de bateau en bateau, d’île en île.
Je suis pourtant assez cartésien, et j’aime bien avoir des explications aux phénomènes étranges que l’on rencontre dans les romans SFFF. Mais avec « L’inclinaison », je ne sais pas par quel miracle, j’ai passé un pacte avec Christopher Priest, j’ai accepté (et ce dès le début) de ne pas comprendre ce qu’il se passe. Il ne faut pas chercher d’explication. Le voyage est plus important que la destination.
Chargé d’une certaine langueur, le roman ne se dévore pas, il se déguste sur un rythme assez tranquille, nous faisant découvrir quelques îles de cet Archipel bien mystérieux. Les décalages temporels sont étranges, les façons de les contrecarrer sont étranges, mais ce ne sont que des éléments fantastiques parmi d’autres éléments plus classiques qui caractérisent un univers particulier, qu’il faut accepter tels qu’ils sont. Et on suit donc la vie d’Alesandro Susken, en commençant par son enfance, l’influence de la guerre sur sa vie, sa famille, son frère. Puis sa découverte de l’Archipel, de la musique, sa carrière, ses rencontres.
Rien de bien palpitant me direz-vous. Et vous aurez raison. Mais j’ai vraiment beaucoup apprécié ce roman duquel il n’est pas si simple de parler. S’intéressant à la création, l’art, l’amour, l’attrait pour l’inconnu, « L’inclinaison » tient presque plus du roman de littérature générale avec quelques éléments fantastiques que du pur roman SFFF (aucune « quincaillerie » fantastico-SF ici, hormis les quelques « dérapages du temps »). Et peu importe, car les personnages dépeints par Priest, son écriture qui vous embarque dès les premiers mots (j’ai l’impression qu’il pourrait écrire un annuaire que je l’adorerais quand même !) font que je n’oublierai pas ce voyage sur l’Archipel du Rêve de sitôt. Moi qui avait peur de m’engager dans un univers qui avait déjà bénéficié de plusieurs romans ou recueils (« L’archipel du Rêve », « Les insulaires »…), me voilà rassuré. J’ai peut-être manqué deux ou trois références à des îles déjà évoquées précédemment, mais à vrai dire cela m’importe peu. Et j’ai d’ores et déjà envie de ré-embarquer.
Lire aussi les avis de Julien, Lune, Acr0, Blackwolf, Mariejuliet, Le fictionaute, Nikao.
Critique écrite dans le cadre du challenge « Lunes d’Encre » de A.C. de Haenne.
Pour moi aussi, c’était la première fois que j’ai mis les pieds dans l’Archipel du rêve : j’ai trouvé ce roman accessible sans connaître ses précédents écrits. On peut clairement opter « cadence » afin de nommer le rythme de ce récit. Je reste tout de même très intriguée par les barres et aimerai bien pouvoir en observer une réellement.
Très accessible oui, je ne me suis jamais senti perdu ou devant une référence que je ne comprenais pas.
Ah ces fameuses barres, j’aimerais aussi voir ça de visu. 😉
Pour moi c’était le premier roman de Christopher Priest que je lisais, je suis assez d’accord avec ta chronique. Il faut se laisser porter par le voyage et l’ambiance particulière du roman. Je pense lire d’autres romans de cet auteur en tout cas, certainement Le prestige.
C’est une jolie porte d’entrée sur la bibliographie de Priest. Il te reste plein d’autres choses à découvrir, dans d’autres genres (et à moi aussi d’ailleurs). « Le prestige » est très bon, et facile à lire aussi. Tu pourras ensuite comparer avec le film. 😉
Se laisser porter, c’est ça la clé. Voire se laisser bercer par le récit.
En cours de lecture, je lirais ton avis plus tard. Pour l’instant, le tempo me ravit.
J’attends de voir ton avis définitif alors. 😉
Lecture terminée.
Pleinement d’accord avec ce que tu en dis, mis à part le fait que je trouve l’inclinaison comme un de ses romans le plus priestien. Mais cela reste très subjectif.
Comme je n’ai lu que trois romans de Priest avant « L’inclinaison », ma vision de ce qu’est un roman priestien est forcément tronquée.
Je te fais donc confiance sur ce point, et si « L’inclinaison » est ce qui définit le mieux ce qu’est un roman priestien, personnellement ça me va, je reste Priest-compatible. 😉
Moi aussi j’aimerais le lire davantage. Tous ses bouquins ont l’air extraordinaires dans le sens premier du terme.
Extraordinaire dans plein de sens en fait, y compris au sens premier.
Il faut que je lise d’autres récits de lui, je crois que ça marche à tous les coups avec moi. 😉
J’ai lu mon premier Priest ce mois-ci, avec La Séparation, et le manque d’explication m’a un peu gênée au final :-/ je crois que je manque de pratique du « lâcher prise », mais au moins je saurai un peu mieux à quoi m’attendre pour les suivants… Du coup, L’inclinaison ne me semble pas indiqué dans mon cas ^^ mais comme me l’a pointé Lune, je retenterai ma chance avec Le Monde inverti (en plus ton retour dessus confirme qu’il y a bien des explications ! 🙂
Le problème des explications c’est qu’elles peuvent se révéler pas très satisfaisantes. C’est ce qui m’avait un peu embêté avec « Le monde inverti » mais le reste du roman est tellement extra ! « Le monde inverti » c’est du sense of wonder à plein tube !
Et en effet, de manière générale (sauf pour « Le monde inverti » donc), il faut accepter de ne pas tout comprendre dans les récits de Priest. Ça peut dérouter quand cet élément « fantastique » fait partie intégrante de l’intrigue comme c’est le cas dans « La séparation » (roman que j’avais adoré), mais c’est moins le cas ici, le côté fantastico-SF n’étant qu’un élément parmi d’autres, et le récit ne tourne pas autour de lui.
J’avais adoré Le Prestige, Le Glamour et Le monde inverti… mais jamais je ne me suis plongé dans l’univers de l’Archipel du rêve. Ta critique m’ouvre un certain espoir… 😉
Tu peux t’y jeter sans crainte, il n’y pas de prérequis pour lire « L’inclinaison ».
Et si tu as aimé d’autres récits de l’auteur, celui-ci pourrait te plaire tout autant.
Christopher Priest est l’un de mes écrivains préférés, et ta chronique m’a grandement donné envie de lire ce livre. En revanche, je crois que je vais commencer par ses plus anciens de l’Archipe du Rêve.
A.C.
Alors moi j’ai du mal.. je n’arrive pas à me laissé porté, à continuer ma lecture.
Thème, univers, ambiance me plaisent, mais comme une impression que ça ne démarre jamais, que ce n’est pas assez exploré.. peut être plus tard dans l’histoire…. Donc voilà, personnellement le rythme et la façon de relater ces pérégrinations sur l’archipel et la glaund m’ont laissé malgré que les premières pages me firent penser ne jamais dormir avant de l’avoir fini.
Je peux comprendre cette réaction. Cette impression que ça ne démarre jamais n’est pas tout à fait fausse puisqu’on peut considérer que ça ne démarre en effet jamais véritablement…
Et si la narration ne t’embarque pas avec elle, le risque de ne pas avoir grand chose d’autre à quoi se raccrocher est grand.
« L’inclinaison » n’est ni un roman facile, ni le plus palpitant de l’auteur, certainement pas le plus simple d’accès. Désolé que ça n’ai pas fonctionné avec toi !
Merci de ta réponse!!
Et pour être honnête, après avoir lu moult commentaires positifs, puis posté le mien ici-même, je m’y suis replongé!
J’en suis à la commande de la générale pour une œuvre « patriotique »…
Je pense en effet que ce ne sera pas mon livre préféré de C.Priest, mais il est bourré d’éléments qui me font du pied, donc autant allé au bout!
Merci encore à toi!!
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