L’île des morts, édition intégrale, de Roger Zelazny

Posted on 7 novembre 2016
En ces temps éditoriaux difficiles durant lesquels mettre en place de nouveaux auteurs mais également miser sur les grands noms hormis les plus connus est difficile, voir arriver une intégrale sur Roger Zelazny est en soi un petit événement. En grand amateur de l’auteur, je ne pouvais que m’intéresser à cette parution.

 

Quatrième de couverture :

Bien que son corps soit celui d’un homme jeune, Francis Sandow est le doyen de l’espèce humaine. Il a exercé la fascinante profession d’astro-façonneur, devenant l’un des hommes les plus fortunés de la galaxie. Mais surtout, il est l’un des vingt-six Noms vivants, car en lui réside la personnalité du dieu Shimbo.

Sur un monde qu’il a façonné, Francis Sandow a édifié un étrange sanctuaire : l’Île des Morts. Depuis ce lieu, un inconnu rappelle à la vie plusieurs de ses amis et ennemis trépassés. Contraint d’abandonner son monde de luxe et d’oisiveté, il prend conscience qu’il devra affronter le danger le plus mortel de sa très longue existence…

L’Île des Morts est le joyau de l’œuvre passionnante, flamboyante tout autant qu’intelligente, de cet auteur considéré comme l’un des plus grands créateurs de la science-fiction.

Pour la première fois, une édition intégrale regroupe les deux romans ainsi que les cinq nouvelles se déroulant dans le même univers. L’ensemble esquisse une histoire de l’expansion humaine parmi les étoiles.

L’écrivain Timothée Rey, fin connaisseur de l’oeuvre de Roger Zelazny, a préfacé l’ouvrage et a établi un glossaire complet de cette fresque unique par ses visions et sa profondeur, comme seule la science-fiction sait en inventer.

 

L’histoire du futur selon Zelazny

li%cc%82le-des-morts-integrale-zelazny-couvertureUne intégrale sur « L’île des morts » peut sembler étonnant de prime abord. Quoiqu’en y réfléchissant, les romans « L’île des morts » et « Le sérum de la déesse bleue » sont clairement liés. De même, on peut ajouter à ce « cycle » la nouvelle « Lugubre lumière », mettant en scène elle aussi le personnage de Francis Sandow, centre névralgique de cette intégrale. Pourtant, la-dite intégrale ne s’arrête pas là puisqu’elle ajoute les nouvelles « En cet instant de la tempête » et « Cette montagne mortelle », parues à l’origine dans d’anciens numéros de respectivement « Fiction » et « Galaxie », ainsi que « Les furies » et « Clés pour décembre », dont j’ai déjà dit un mot sur ce blog, le tout classé dans un ordre censé être chronologique de cette histoire du futur de l’humanité imaginé par Roger Zelazny.

J’avoue n’avoir jamais entendu parler d’une soit-disant cohérence de cette histoire du futur, et je n’arrive d’ailleurs pas à savoir si c’est une réelle volonté de l’auteur ou bien si tout cela tient plus d’un amalgame éditorial qui tient plus ou moins la route (mais dans ce cas-là, autant aller au bout des choses : dans la nouvelle « Cette montagne mortelle », il est fréquemment fait référence à la montagne Kasla. Cette même montagne est également mentionnée dans le roman « Toi l’immortel » et considérée alors comme la plus haute de l’univers connu (dépassée depuis par la montagne au centre de « Cette montagne mortelle »). Le personnage principal, Conrad, regrette de ne l’avoir jamais gravie. On peut peut-être en déduire que « Toi l’immortel » se déroule dans le même univers et avant « Cette montagne mortelle », et il aurait alors été logique dans l’insérer dans cette intégrale…). Car soyons franc, les récits importent plus que le fil conducteur d’un éventuel avenir de l’humanité. Ceci dit, force est de constater que ce volume débute pas une préface fort érudite de Timothée Rey qui semble très bien connaître l’auteur (la moindre des choses quand on écrit une préface) et qui n’oublie pas d’être informative (on y parle mythes bien sûr, le coeur de l’oeuvre de Zelazny, mais aussi Virgile ou bien peinture tel le célèbre tableau de Arnold Böcklin ayant donné son nom au roman « L’île des morts » et repris en couverture de la dernière édition poche en date, chez J’ai Lu) et dotée d’un certain sens de l’humour (ce qui n’a rien d’étonnant concernant Timothée Rey).

Mais le travail éditorial ne s’arrête pas là car même si Timothée Rey décrit bien cette tentative de mise en ordre chronologique des récits, cette intégrale est en plus dotée d’un volumineux glossaire très complet et très intéressant lui aussi. Quel dommage que ce travail soit en partie gâché sur la forme par un classement thématique qui oblige à feuilleter les nombreuses pages avant de trouver l’entrée désirée. Un simple classement alphabétique aurait été tellement plus pratique !…

Mais ne crachons pas dans la soupe, à l’heure où l’éditeur (Mnémos en l’occurrence) semble souvent compter sur des rééditions sans forcément y ajouter une réelle plus-value (les traductions restent pour la plupart inchangées) hormis des objets-livres pour la plupart superbes (et j’avoue en être client, oui je suis faible…), celui-ci bénéfice d’un vrai et trop rare travail éditorial qui fait plaisir à voir, quand bien même (comme je le dis plus haut) je n’arrive pas à savoir si l’auteur en est à l’origine ou s’il s’agit d’un rafistolage post-mortem.

Je m’aperçois que cette chronique déjà bien trop longue ne s’est pas encore intéressée aux textes. Cinq nouvelles et deux romans donc, dont seul les deux premières nouvelles sont inédites pour moi (« En cet instant de la tempête » et « Cette montagne mortelle »). Deux textes forts, le premier prenant des airs d’apocalypse tout en mettant en scène un personnage faisant partie des premiers colons interstellaires humains. Ayant voyagé la plupart du temps en animation suspendue, il a atteint l’âge fort respectable de presque 600 ans… « Cette montagne mortelle » est une nouvelle sur… l’alpinisme ! SF tout de même,  puisqu’il s’agit ici de gravir un sommet de 60 000 mètres ! La fin réserve d’ailleurs son lot de surprises.

Pour les autres récits, je vous renvoie directement à ce que j’avais écrit plus ou moins rapidement à l’époque, en insistant sur la fluidité et le dynamisme de « Les furies », les questions humanistes soulevées dans l’excellent « Clés pour Décembre », mais aussi sur l’art de l’ellipse dans « L’île des morts », écrit à une époque (bénie !) où les auteurs ne jugeaient pas nécessaire de décrire dans le détail le pourquoi du comment de ce qui se passait dans leurs textes. Ainsi Francis Sandow est un façonneur de mondes. Pas besoin d’en savoir plus, c’est ainsi et ça fonctionne. Zelazny se concentre ainsi sur l’essentiel, en faisant un pacte avec le lecteur. L’intrigue s’en trouve resserrée, et les thèmes de réflexions (le statut divin, la place de l’homme, la mort, la destinée) ne sont pas brouillés par des considérations techniques sans intérêt pour le récit.

Clairement, un lecteur souhaitant s’intéresser à Roger Zelazny (c’est à dire tout le monde car tout le monde devrait s’intéresser à Zelazny !) ne devrait pas faire l’économie de ce volume (relié, sous une couverture rigide « rétro-art déco » illustrée par Fabio Montel), d’une part (et c’est bien là le point essentiel) car il rassemble de bons voire de très bons textes, toujours surprenants et élégants, et d’autre part car un travail éditorial de ce niveau, même perfectible, reste assez rare et mérite d’être salué. C’est aussi l’occasion de sortir l’auteur du « carcan » du célèbre cycle des « Princes d’Ambre » (tiens, il faudrait que je lise les cinq derniers volumes moi…) auquel on l’a trop souvent réduit. Et enfin, cette intégrale permet de remarquer qu’il serait temps qu’un éditeur se penche sérieusement sur une intégrale (ou au moins un gros volume reprenant le meilleur) des nouvelles de Zelazny, car au vu de ce que j’ai pu lire de lui sur ce format (à savoir « Une rose pour l’écclésiaste » et « Le Livre d’Or de Roger Zelazny », en plus des nouvelles présentées ici), j’ai constaté qu’il était au moins aussi bon nouvelliste de romancier. Amis éditeurs, à vous de jouer.

 

Lire aussi les avis de Soleil Vert, Apophis, Déborah Gay.

 

  
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