Station eleven, de Emily St. John Mandel
Quatrième de couverture :
Un soir d’hiver à Elgin Theatre de Toronto, le célèbre acteur Arthur Leander s’écroule sur scène, en pleine représentation du « Roi Lear ». Plus rien ne sera jamais comme avant.
Dans un monde où la civilisation s’est effondrée, une troupe d’acteurs et de musiciens parcourent la région du lac Michigan et tente de préserver l’espoir en jouant du Shakespeare et du Beethoven. Ceux qui ont connu l’ancien monde l’évoquent avec nostalgie, alors que la nouvelle génération peine à se le représenter. De l’humanité ne subsistent plus que l’art et le souvenir. Peut-être l’essentiel.
Entre l’avant et le présent, « Station Eleven » entrelace sur des décennies la destinée de personnages inoubliables. Élégie de la condition humaine, ce livre à construction vertigineuse envoûte le lecteur par sa puissance romanesque émotionnelle.
Shakespeare après la fin du monde
Emily St. John Mandel est une jeune auteure canadienne née en 1979 (oui jeune, car je suis né la même année, donc ne discutez pas, elle est jeune. 😀 ). Mais elle n’en est pas à son coup d’essai, « Station eleven » étant son quatrième roman, même si jusqu’ici elle s’était plutôt cantonnée au genre policier/thriller. Ce nouveau roman se frottant à la SF lui a d’ailleurs permis d’être nominée à quelques prix prestigieux (notamment le National Book Award aux US) et de remporter le prix Arthur C. Clarke en 2015. Autant dire que sa traduction était attendue. Ce sont les éditions Rivages qui s’y collent, eux qui ont déjà édité les précédents romans de l’auteure (je ne saurais d’ailleurs trop vous conseiller les articles de Charybde2 sur « Dernière nuit à Montréal », « On ne joue pas avec la mort » et « Les variations Sebastian » si les thrillers vous intéressent).
Alors « Station eleven », de quoi ça parle ? Et bien c’est du post-apo, pour faire simple. Sauf que ce n’est pas aussi simple, puisque certes une partie du roman relève de ce genre, mais l’auteure fait de nombreux flashbacks sur « l’avant » (la civilisation humaine a sombré à cause d’une épidémie foudroyante d’une grippe extrêmement agressive et contagieuse). Les personnages sont nombreux, aussi bien « avant » que « après », mais on s’aperçoit au fil de la lecture que tout est lié, la romancière ne laissant rien au hasard.
Mais n’allez pas croire qu’il s’agit d’une intrigue alambiquée, pas du tout, je dirais même que l’intrigue, si tant est qu’elle existe (on peut en discuter), s’efface finalement presque totalement devant les personnages, tous bien travaillés, touchants avec leur qualités et leurs défauts et crédibles (l’occasion de dire qu’on est sans doute plus devant un roman de littérature « blanche » qu’un « pur » roman de SF, mais qu’importe…). Il est d’ailleurs étonnant de voir que les passages précédant la catastrophe et les personnages qui les illustrent sont les plus réussis, preuve que le post-apo n’est qu’un prétexte (mais un prétexte réussi lui aussi, avec cette « Symphonie Itinérante », une troupe d’acteurs qui reproduit des pièces de Shakespeare dans les villes où elle passe, illustration de l’importance de l’art et de la culture pour faire vivre une société, le ciment qui l’empêche de sombrer définitivement) pour parler de la vie, des choix que l’on fait, et des conséquences (parfois inattendues et dont on ne sait souvent rien) de ceux-ci.
Cette narration, qui en soi n’a rien de foncièrement original, est pourtant extrêmement maîtrisée et la très belle plume et la finesse des descriptions et du travail sur ses personnages de Emily St. John Mandel font qu’il est bien difficile de lâcher le roman une fois les premières pages tournées, chose rare quand on se rend compte que ce n’est pas l’intrigue qui pousse à continuer la lecture (les personnages, les personnages, les personnages ! Et démêler l’écheveau de ces trajectoires qui se croisent parfois par de petits riens) et preuve donc du grand talent de l’auteure.
Roman à la fois terrible et lumineux, à l’ambiance parfois sombre mais avec toujours cette petite lueur d’espoir (voire un peu plus, on est donc loin de romans post-apo désespérés comme « La route » de Cormac McCarthy ou « Gueule de truie » de Justine Niogret, romans qui de toute façon n’ont rien à voir dans leur traitement), que l’on sent parsemé de petites choses issues de la vie de l’écrivaine (elle a vécu à Toronto et à New York, lieux qui se retrouvent dans le roman, est née et a grandi sur une petite île à l’ouest de la Colombie Britannique, tout comme l’un des personnages, etc…), « Station eleven » est une grande réussite, et sans doute un modèle de construction narrative. J’en attendais beaucoup, j’ai été servi, et même un peu plus.
Lire aussi les avis de Acr0, Cindy Van Wilder, Julien Martlet, Alexia, Chatelaine.
Critique rédigée dans le cadre du challenge « Dystopie » de Val.
Je ne sais pas dire à quel point je ne suis pas d’accord avec ton enthousiasme, cher collègue.
Un point quand même, qui me semble important. On lit partout « l’importance de la culture, toussa », sauf que art et culture ne sont ici que des gimmicks qui ne donnent lieu ni à utilisation ni à réflexion. Ces gens seraient un groupe de rémouleurs itinérants que l’histoire serait la même.
Lune est mon deuxième prénom ! 😆
Pas sûr qu’un groupe de rémouleurs trouverait une audience dans les villes où il s’arrêterait. Cette Symphonie Itinérante, c’est un peu les baladins d’autrefois. Certes, la réflexion n’est pas poussée sur ce point, mais on s’aperçoit vite que la partie purement post-apo n’est pas la partie la plus importante du roman.
Je suis en train de le lire et sans surprise je suis assez d’accord avec Lorhkan ! Certes on ne révolutionne mais alors pas du tout le post-apo, par contre suivre la vie des personnages est juste addictif pour moi. Cela ressemble à L’Échange (sans les mondes parallèles) pour le côté vie d’acteur qui s’intègre vraiment bien dans le récit. Je dévore ce bouquin :p
Ah mais oui, je voulais parler de « L’échange » et ça m’est totalement sorti de la tête ! Le parallèle est évident (et bizarrement, l’addiction du lecteur est la même ! ^^).
Content que ça te plaise, je l’ai dévoré moi aussi. 😉
Ca a l’air pas mal en tout cas, je regarderai bien autour de ses polars pour me faire une idée, j’aime bien ça ^^
Je n’ai pas lu ses polars, et je ne suis pas sûr d’en avoir le temps, mais elle retente le coup en SF, je la suivrai.
Pour l’instant je sature sur le post Apocalyptique avec quelques lectures ces deux derniers mois et une autre encours. Je dis toutefois peut$-être car tu le « vends » bien le bouquin.
EN revanche, comme Growmovar, l’atout « culture et art » est souvent utilisé mais pas exploité. Je me ferais une idée quand je le lirai.
C’est du post-apo « light », c’est à dire que ce n’est pas l’atout numéro 1 du livre, d’où le fait que le symbole de la continuation de l’art même en des temps désolés ne soit pas non plus fort développé (ce que l’on peut regretter, d’accord avec ça).
Le grand atout de ce roman ce sont les personnages et la narration. Tu peux tenter le coup, si tu acceptes une intrigue très en retrait.
Eh bien je me suis ennuyée… mon intérêt a bien été titillé une ou deux fois (tiens, mais pourquoi le chien du prophète s’appelle comme celui de Miranda ?…), mais dans l’ensemble, qu’est-ce que c’est long ! Pourquoi nous raconte-t-elle les séances de travail de Clark ? On s’en fiche complètement… Pourquoi la Symphonie Itinérante, le Musée de la Civilisation si c’est pour n’en rien faire ? Et pourquoi Arthur (si fadasse), plutôt que Tyler ?
Bon voilà, suis déçue…
Ah désolé que ça n’ait pas fonctionné pour toi…
Je n’ai pas trouvé ça long, je l’ai avalé assez rapidement, les pages se tournaient toutes seules.
J’ai trouvé que ce que tu n’as pas aimé sur Clark aide à caractériser le personnage, montrant qu’il sait analyser et « lire » les autres. Le reste (la Symphonie, le Musée) sont des bases du passé sur lesquels la civilisation peut tenter de se reconstruire, sur l’art et le souvenir.
Et Arthur, fadasse ? J’ai trouvé ce personnage passionnant, d’autant plus que sa mort au début ne l’empêche pas d’infuser tout le récit puisque tout tourne autour de lui.
C’est amusant en tout cas toutes ces différences de perception. Et ça alimente le débat. 😉
En effet, nous voilà à des kilomètres 😉
Idem
Ce sont des choses qui arrivent ! On reste copains ? 😀
Si le travail autour des personnages peut amener à penser qu’on ait devant un roman de littérature « standard », s’il permet d’être lu par des lecteurs qui ont soi-disant en horreur les littératures de l’imaginaire, c’est tout bon à prendre 😀 C’est vrai que ce roman n’a aucune once du désespoir que contient la route de McCarthy. Un judicieux puzzle que nous offre l’autrice.
Oui, un puzzle joliment construit. Ça peut en effet être une belle porte d’entrée vers les littératures de l’imaginaire, ou en tout cas élargir quelques consciences… 😉
Wouah, c’est marrant parce que moi j’ai pas réussi à aller plus loin que les 30 premières pages (alors peut-être que je n’étais pas dans le mood, peut-être que je suis complètement passé à côté) mais j’ai vraiment l’impression d’avoir loupé quelque chose car je ne lis que des bonnes critiques !
Bon, je l’ai toujours donc je peux toujours me remettre dedans mais j’avoue que ce début désastreux me donne pas envie de me replonger dedans ^^
Certain(e)s n’ont pas adhéré non plus. Ci ça se trouve, ce roman n’est pas fait pour toi, ça arrive.
Tu peux toujours retenté le coup si tu es motivée, mais si tu n’accroches pas aux personnages, ça va être difficile…
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