Annihilation, de Jeff VanderMeer
Quatrième de couverture :
La Zone X, mystérieuse, mortelle. Et en expansion.
Onze expéditions soldées par des suicides, meurtres, cancers foudroyants et troubles mentaux.
Douzième expédition. Quatre femmes. Quatre scientifiques seules dans une nature sauvage. Leur but : ne pas se laisser contaminer, survivre et cartographier la Zone X.
Lovecraft, Stalker et nature writing
Premier court volume (200 pages) d’une trilogie (« La trilogie du Rempart Sud »), « Annihilation » est un roman qui ne se dévoile que peu. Car cette « Zone X » dont il est question, explorée par un groupe de quatre femmes (une biologiste, une anthropologue, une géomètre et une psychologue, qui ne seront jamais nommées), reste bien mystérieuse. Qu’est elle ? Où se situe-t-elle ? Qu’est-ce qui la définit ? Quelle est sa surface ? Quelles sont ses propriétés ? Autant de questions que se posent le lecteur mais aussi en même temps la biologiste-narratrice puisque c’est à travers son compte-rendu que l’on découvre cet endroit étrange, auparavant peuplé mais maintenant laissé à l’abandon suite à un événement qui reste bien mystérieux.
Les quatre femmes sont donc chargées de cartographier et de manière générale d’étudier cet environnement. Cela pourrait paraître simple mais elles représentent la douzième expédition, alors que la plupart des expéditions précédentes se sont mal terminées. Et la biologiste va rapidement découvrir certaines informations qui semblent avoir été volontairement passées sous silence, comme par exemple cette « tour enterrée », qui n’apparaît sur aucune carte.
Quand on parle de zone d’exclusion, d’explorateurs, on pense forcément au roman « Stalker » des frères Strougatski. Le lien de parenté semble évident même si le traitement n’a rien à voir. Car là où la Zone des auteurs russes n’était qu’un prétexte à l’exploration profonde des personnages (mais c’est aussi un point commun, j’y reviendrai), ici la Zone X est au centre du récit puisque tout s’y déroule. On peut même dire qu’elle prend réellement vie sous la plume de VanderMeer qui ne manque pas de faire du nature-writing, lui qui s’est fortement inspiré de nombreuses randonnées au sein du parc St. Marks Wildlife Refuge. Ainsi, c’est une plongée en pleine zone anciennement habitée mais dans laquelle la nature a repris ses droits qui nous est offerte. Une nature belle, vivante, mais qui peut aussi être dangereuse. L’ambiance est particulièrement soignée et réussie : une forêt, des marais, la côte. Parfois des éléments plus urbains : un village abandonné, un phare.
Mais vous me direz : c’est bien joli tout ça, mais on est dans de la littérature de genre ou non ? La réponse est oui, totalement oui. Car la Zone X recèle bien des secrets. Des secrets que l’on pourrait qualifier… d’indicibles. Oui l’élément lovecraftien est très présent, même si l’auteur se défend tout à fait de s’être inspiré du Maître de Providence. Pas question d’en dire plus bien sûr, la surprise et à nouveau l’ambiance (bien que très différente de celle décrite plus haut) installées par l’auteur jouent à plein. Le suspense est fort bien dosé, et à l’instar de Lovecraft, VanderMeer sait ménager ses effets pour jouer à fond avec l’imagination du lecteur. Et si ce dernier adhère au récit (et ce fut mon cas, malgré un premier essai manqué car je n’étais pas dans le bon état d’esprit. J’ai recommencé un peu plus tard, et la mayonnaise a pris), il lui sera bien difficile de s’arrêter sans avoir tourné la dernière page.
Plongée au coeur d’une zone étrange donc, mais aussi, et j’en reviens au point commun avec « Stalker », plongée au coeur du personnage de la biologiste, qui cache elle aussi quelques secrets. Ainsi, le roman oscille entre descriptions de ce qui se passe dans la Zone X et flashbacks sur la vie passée de la narratrice. C’est à travers elle que l’on interprète les événements, de façon forcément biaisée puisqu’elle n’y est réceptive qu’à travers ce qui lui est arrivé auparavant, ce qu’elle a vécu. C’est un personnage vraiment intéressant, humain et réaliste dans son caractère réservé et très analytique, et qui apportera au lecteur autant de réponses sur elle-même (car elle est sans doute présente dans cette expédition pour une bonne raison) que sur ce qui se passe autour d’elle. Une exploration intérieure comme extérieure donc.
Alors bien sûr, il faut accepter de rester dans le flou. A l’issue du roman, les questions restent presque aussi nombreuses qu’au début, malgré tout ce qui nous a été donné de voir (et malgré la qualité de ce roman (qui se suffit à lui-même si on préfère ne pas avoir de réponses claires, ce qui est un choix tout à fait acceptable), on peut déjà avoir peur de la suite avec le risque de faire retomber le soufflé sacrément bien monté de ce premier volume). Et pourtant, ce voyage au coeur de la Zone X, pour aussi éprouvant ou inquiétant qu’il fut, restera certainement gravé dans ma mémoire. Un grand moment de déstabilisant dépaysement.
A noter qu’une adaptation cinématographique est en cours de production. Un pari dangereux qui risque fort de dénaturer cette oeuvre singulière (on va forcément y perdre la subjectivité de la narratrice, élément pourtant essentiel), mais le casting quatre étoiles (Natalie Portman, Jennifer Jason Leigh, Oscar Isaac) et le réalisateur qui me semble être un choix pertinent (Alex Garland, réalisateur du très bon « Ex-Machina » qui avait le bon goût de ne pas céder au spectaculaire, en espérant que l’adaptation reste sur ce créneau) permettent de garder espoir. Wait & see. En attendant, savourez cet excellent bouquin.
Lire aussi les avis de Gromovar, Yogo, Claire, Culture-SF, le Fictionnaute, Charybde27.
J’ai oublié plein de choses dans ma chronique à moi: influence Dickienne (à quel point la narratrice est-elle sûre de ce qu’elle vit et voit ? Couple à la dérive) ? Et la Zone ressemble énormément aux zones irradiées (Tchernobyl…): une nature qui a repris ses droits et un danger invisible.
Quoiqu’il en soit, je t’encourage à jeter un oeil sur La Cité des Saints et des Fous si tu ne l’as pas encore lu.
Oui on peut trouver plein de références que l’auteur a bien digérées. Ce fut un grand plaisir de lecture en tout cas.
Du coup, j’ai bien envie d’aller voir de plus près « La cité des saints et des fous ». Mais ce n’est pas gagné, il n’est plus très dispo…
Si tu avais été voisin, je te l’aurais prêté 🙂 Si la trilogie marche + le film, on aura peut-être une réédition en poche.
Une réédition en poche, vu la mise en page du truc, c’est pas gagné, mais sait-on jamais.
En fait ça me parait tout à fait faisable. Les pages « étranges » devraient supporter un passage en petite taille. Ils font bien des BD en format poche – bon, très difficiles à lire, je viens d’en faire l’expérience.
Pourquoi pas. Et puis ça ferait un petit livre-univers qui tient dans la poche, ça a quelque chose de tout à fait étrange qui lui convient bien. 😉
Oh, je sens qu’il peut me plaire ! (j’avais adoré son roman « La Cité des Saints et des Fous » même si je ne le conseillerai pas à tout le monde)
C’est un roman d’ambiance, ça peut aussi ne pas plaire à tout le monde. Mais le suspense est bien dosé, l’intrigue est régulièrement relancée. Et du coup, sur moi ça a très bien fonctionné, alors tente le coup. 😉
Maintenant que je suis venue à bout de la Cité des saints et des fous, je ne peux que lire celui-là !
Et bien moi, maintenant que je suis venu à bout de « Annihilation », je ne peux que lire « La cité des saints et des fous » ! 😉
Héhé en cours. J’aime beaucoup finalement.
Ah cool ! 🙂
Celui-ci va vite remonter dans ma pile on dirait. Un mélange entre Strougatski, Lovecraft et le nature writing… c’est osé, mais ça me parle 😉
Osé sans doute, et pourtant ça le définit plutôt bien. 🙂
Mais ça à l’ai génial!!!!
C’est malin tient, wishlist!
En voilà une bonne idée ! 🙂
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